En Tunisie, la menace de l'Etat islamique grandit mais reste marginale

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 19 avril 2019 - 16:44
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Les djihadistes de l'Etat islamique en Tunisie restent assez peu nombreux.
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Les djihadistes de l'Etat islamique en Tunisie restent assez peu nombreux.
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L'attentat du Bardo en 2015 avait mis en lumière le danger que l'Etat islamique faisait peser sur la Tunisie. Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de l'organisation terroriste, revient en détail pour France-Soir sur cette branche encore embryonnaire du groupe terroriste.

Alors que se dessinait la disparition de son dernier "réduit" territorial en Syrie, à Baghouz, l'Etat islamique a continué à mettre en avant dans sa propagande ses implantations en dehors du Levant, pour montrer qu'il n'était pas terrassé. Dans la seconde quinzaine de mars, l'appareil médiatique du groupe a ainsi choisi de mettre en lumière le petit contingent qui continue de se battre en son nom en Tunisie: Jund al-Khilafah.

L'implantation de l'EI dans le pays est ancienne. En 2013, en Tunisie, Chokri Belkaid avait été assassiné le 6 février; puis le 25 juillet 2013, Mohamed Brahmi, député tunisien, est également tué. Plus d'un an plus tard, le Franco-Tunisien Boubakeur el-Hakim, qui a alors rallié le groupe terroriste en Syrie, revendique les deux assassinats, bien qu'à l'époque il était peut-être encore membre, ou peut-être déjà plus, du groupe Ansar al-Sharia en Tunisie, loyal à al-Qaïda. Ces opérations avaient été menées par le réseau Ansar al-Sharia en Tunisie et en Libye, avec des camps d'entraînement à Sabratha dans ce dernier pays, alimentant l'aile militaire secrète du groupe.

L'Etat islamique s'implante en Tunisie via le ralliement, en 2014, d'une cellule de la Katibat Uqba Bin Nafi (KUBN), la branche locale d'al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Cette cellule opère dans les Jabal al-Maghilah et Jabal Salloum, dans la province de Kasserine, où les attaques se concentrent toujours actuellement. Les deux formations sont implantées dans la même province, mais elles ne se combattent pas, elles collaborent même tacitement. En décembre 2014, la branche tunisienne de l'EI revendique la décapitation d'un policier à Tourief. En 2015, c'est l'attaque du musée du Bardo en mars, une opération inghimasi sur des bases militaires à Sidi Bouzid en juin, suivie du massacre sur la plage de Sousse. Le 13 novembre, l'organisation terroriste exécute un espion, avant de frapper la garde présidentielle avec une attaque kamikaze 12 jours plus tard. En mars 2016, l'EI attaque, sans succès, Ben Gardane. Le nombre d'opérations diminue par la suite: quatre sur l'année 2016, contre onze en 2015. Il y aura également quatre opérations en 2017: assassinat d'un "espion" dans le Jabal al-Maghilah, bastion de l'EI, à l'ouest de Kasserine, en juin 2017, attaque contre l'armée en juillet, deux attaques à l'IED sur un véhicule en août dans le Jabal al-Maghilah.

En 2018, un kamikaze fait sauter sa ceinture d'explosifs en mars au milieu de militaires. Un sergent est tué et plusieurs soldats blessés lors d'un accrochage dans le Jabal al-Maghilah en avril. Un IED saute sur un pipeline à l'est de Sfax en juin. En novembre, une patrouille de police est attaquée dans un quartier à l'ouest de Kasserine. Toujours quatre attaques pour l'année. Le 29 octobre 2018, une jeune femme, Mouna Guebla, se fait exploser dans Tunis sur l'avenue Bourguiba. Elle semble avoir été radicalisée à distance et avoir prêté allégeance à l'EI; toutefois le groupe n'a pas revendiqué l'opération. Pour 2019, la branche a revendiqué le 20 février l'assassinat d'un "espion" dans le Jabal al-Maghilah (celui de la vidéo du 16 mars, voir ci-dessous) et plusieurs blessés lors d'une embuscade, et l'explosion d'une mine le 1er mars dans le Jabal Abaretia dans la province de Gafsa.

Juste avant la chute du réduit de Baghouz, l'Etat islamique se met à communiquer frénétiquement sur l'activité de ses combattants tunisiens. Le 16 mars, une courte vidéo d'un peu plus de quatre minutes, produite par le média al-Furat de l'EI (créé par les russophones en juillet 2015, quasiment disparu de la production de propagande depuis août 2017, à l'exception d'un nasheed diffusé par la propagande de l'organisation en août 2018), montre l'exécution en Tunisie d'un prisonnier, Lakhdhar Makhloufi, dont le corps avait été retrouvé sur le mont Mghila dans le secteur de Sidi Bouzid le 21 février. Le corps avait été piégé et le groupe terroriste l'avait fait exploser à l'arrivée de l'équipe d'inspection. Il s'agit de la 3ème vidéo d'exécution de la branche tunisienne de l'EI (Jund al-Khilafa), mais de la première reprise par la propagande officielle du groupe.

Capture d'écran de la vidéo du 16 mars, éditée par le média Furat de l'EI, jusqu'ici quasiment éteint.

Le 17 mars, la propagande de l'Etat islamique diffuse un reportage photo intitulé "Vie quotidienne des soldats du califat en Tunisie". Le reportage photo comprend huit clichés en plus du bandeau de présentation "nouveau modèle" créé il y a peu. Les deux premiers montrent un petit groupe de combattants de l'EI (trois hommes) en patrouille dans les montagnes. Le suivant permet de voir trois hommes: celui de gauche tient un fusil d'assaut Steyr AUG A1, capturé sur les forces tunisiennes. Les deux autres ont des fusils d'assaut AKM/Type 56. Les clichés suivants montrent le petit groupe préparer la nourriture mais aussi des IED. A noter que l'un des combattants tient cette fois un AK-103, une arme probablement venue des stocks libyens de Kadhafi. Sur le reportage photo, une dizaine d'hommes différents apparaissent en tout. Le timing semble parfait: la fin approchant à Baghouz, le groupe djihadiste veut montrer qu'il reste actif y compris dans des pays jusqu'ici présentés comme quasiment débarrassés de sa présence.

Deux jours plus tard, le 19 mars, la garde nationale tunisienne investit une grotte près du parc national Sidi Toui, où se cachent Samir Bin Jalal Bin Hamid Bin Yusuf et Dhakr Bin Khalifah Bin Ahmad Bu’ajilah, deux des membres les plus recherchés de l'Etat islamique dans le pays. Yusuf jette une grenade sur les forces tunisiennes avant de se faire exploser, comme le fera son compagnon. Les deux hommes préparaient un passage de la frontière vers la Libye. Ils avaient tous les deux fait partie de la Katibat ‘Uqbah Bin Nafi avant de rallier le groupe terroriste. L'EI rend hommage à Yusuf le 8 avril en lui consacrant un poster de la série "Caravane de martyrs".

Combattants de Jund al-Khilafah dans les montagnes de la province de Kasserine. Reportage photo du 17 mars.

Poster de la série "Caravane de martyrs" montrant Abd al-Rahman al-Monastiri, tué le 19 mars par la garde nationale tunisienne. Photo diffusée le 8 avril. Il s'agit de Samir Bin Jalal Bin Hamid Bin Yusuf.

Le 10 avril 2019, les hommes de Jund al-Khilafah accrochent l'armée tunisienne dans le Jabal al-Maghilah. Un caporal succombe à ses blessures, l'EI revendique rapidement l'embuscade.

Dans la province de Kasserine, l'EI opère principalement dans les Jabal Maghilah et Salloum, autour de la ville de Kasserine.

Ainsi, à des fins de propagande, l'Etat islamique a donné plus de visibilité à son petit contingent tunisien, fort limité au demeurant. Mais cela permet au groupe d'affirmer qu'il est toujours présent. D'autant que plus à l'est, sa branche libyenne, elle aussi, connaît un regain d'activité, et d'une toute autre ampleur.

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