Investissements dans l'Hexagone, concurrence en Afrique et paix en Asie : la première interview du nouvel ambassadeur du Japon en France

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Propos recueillis par Damien Durand
Publié le 26 septembre 2016 - 16:14
Mis à jour le 28 septembre 2016 - 17:51
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L'ambassadeur du Japon en France, M. Masato Kitera.
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©Ambassade du Japon
L'ambassadeur Masato Kitera a pris ses fonctions en juin.
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Pour sa première interview publiée dans la presse française depuis son arrivée en poste, l'ambassadeur du Japon Masato Kitera a choisi "France-Soir" pour évoquer les orientations des relations bilatérales franco-japonaises.

Le nouvel ambassadeur du Japon en France, Masato Kitera, a pris son poste en juin 2016. Signe d'un renforcement des relations franco-japonaise, ce diplomate très expérimenté occupait jusque-là l'une des fonctions les plus sensibles des Affaires étrangères japonaises: celui d'ambassadeur du Japon en Chine. Parfaitement francophone, et ancien élève de l'ENA (promotion Michel de l'Hospital, 1979), il arrive en France pour renforcer les relations bilatérales, marquées par un réchauffement notable, François Hollande s'étant déjà rendu deux fois au Japon lors de son quinquennat. Etat de la France, intérêt des entreprises nippones pour l'Hexagone, concurrence en Afrique et coopération diplomatique, l'ambassadeur répond pour France-Soir aux principales interrogations diplomatiques entre les deux pays.

 

Vous avez fait une partie de vos études en France et avez occupé un poste de diplomate entre 1979 et 1981. Vous devenez ambassadeur 35 ans après votre premier passage. Qu’est-ce qui a changé pour vous entre ces deux périodes?

"Je suis arrivé en France en 1977 et j’ai intégré l’ENA. Comme le japonais est une langue peu répandue dans le monde, les diplomates japonais doivent apprendre la langue de leurs partenaires. Dans mon cas c’était le français. Je me souviens d’une France qui, à ce moment-là, avait plus d’énergie. Le débat intellectuel accordait également une place beaucoup plus importante que maintenant aux idées politiques.

"Je reviens dans un pays qui, maintenant, me semble en attente face à son futur. Je pense bien sûr que les attentats qui ont frappé la France ont accentué cet état, avec un gouvernement qui essaie en premier lieu de s’adapter à ces nouveaux défis. Mais c’est pareil dans tous les pays. La situation évolue et le gouvernement et la population essaient de s’adapter. Tout le monde fait face aux mêmes défis".

Après plusieurs années de baisse des relations bilatérales sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les échanges entre la France et le Japon se sont intensifiés avec des visites mutuelles de François Hollande et de Shinzô Abe. Comment expliquez-vous cette embellie?

"Je tiens tout d’abord à dire en tant qu’ambassadeur que je ressens vraiment un niveau excellent dans les échanges entre nos deux pays. Cela est dû bien sûr à l'action des dirigeants respectifs qui multiplient les initiatives, mais ce n’est pas la seule raison.

"Il existe une évidente attraction culturelle entre nos deux pays. C’est en France que la culture japonaise s’apprécie le mieux, et les Japonais continuent à faire beaucoup d’efforts pour s’initier à votre culture. Grâce à cet attrait j’ai réellement le sentiment que la distance psychologique a été raccourcie entre la France et le Japon. Je me suis rendu à la dernière édition de la Japan Expo seulement quelques heures après l’ouverture, et il y avait déjà 50.000 visiteurs. J’étais impressionné.

"Mais ce rapprochement est aussi largement basé sur une attraction économique. Beaucoup d’entreprises japonaises sont venues en France pour travailler avec les Français dans la durée. Je vous rappelle par exemple que la société d’agroalimentaire Ajinomoto est basée à Amiens depuis 1974".

Mais justement, pourquoi les Japonais veulent-ils s’implanter en France, qui apparaît souvent aux yeux des investisseurs étrangers comme un pays de lourdeurs administratives et de forte pression fiscale?

"La France fait des efforts pour améliorer son potentiel auprès des investisseurs étrangers. Bien sûr, des points faibles comme ceux que vous évoquez existent, mais cela empêche aussi de voir les atouts du pays qui poussent des entreprises à développer des projets comme le fait actuellement la société de fibre de carbone Toray à Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques. La France garde une position centrale en Europe, et, pour le Japon, elle est aussi une porte d’entrée pour une relation avec l’Afrique, ce qui nous intéresse beaucoup".

Le Japon veut se faire économiquement et diplomatiquement une place en Afrique, où la France est déjà très présente sur une partie du territoire. Une rivalité sur ce continent pourrait-elle venir ternir nos relations bilatérales?

"Je ne suis pas quelqu’un qui sonne l’alarme tout le temps en disant +Attention c’est la concurrence!+. La France a longtemps eu une certaine appréhension dans sa concurrence avec le Japon. Je me souviens encore du blocus de 1982 sur nos magnétoscopes, que l’on présentait comme la +Nouvelle bataille de Poitiers+... mais finalement, ce que nous avons maintenant, c’est le Japon et la France qui travaillent ensemble.

"L’Afrique est un grand potentiel pour la France et le Japon pour travailler ensemble. Les entreprises japonaises voient des opportunités en Afrique et il serait dommage pour nous de les laisser passer. D’ailleurs, nos entreprises qui portent des projets en Afrique le font souvent en association avec des entreprises françaises comme l’alliance entre Toyota Tsusho (une filiale du géant Toyota, NDLR) et Bolloré dans la distribution, entre Mitsubishi Corp. et Egis (groupe Total, NDLR) sur des projets d’alimentation en eau potable en Côte d’Ivoire".

Le Japon compte-t-il toujours sur la France pour obtenir un soutien à l’ONU pour que vous puissiez enfin obtenir un siège de membre permanent avec droit de véto au Conseil de sécurité?

"La réforme du Conseil de sécurité est un effort que nous déployons, comme le font l’Allemagne, l’Inde ou le Brésil. Et la France a toujours été à nos côté pour nous soutenir. Nous allons donc continuer à défendre ce projet de réforme, et, quand le moment sera venu, et sans doute avec le soutien de la France, il y aura des actions plus +intensives+".

Le Japon subit une forte tension avec la Chine sur la question des îles Senkaku, que vos deux pays revendiquent. Demandez-vous à la France la prise d’une position diplomatique précise sur cette question?

"Ma tâche, c’est d’inciter le gouvernement français à garder un œil sur les problématiques qui existent en Asie de l’Est. Par exemple, tout récemment, il y a eu de fréquents lancements de missiles de la Corée du Nord et un essai nucléaire. La stabilité de la région est un élément indispensable de la paix dans le monde, et la France a aussi un rôle à jouer dans cette région, du fait de sa présence territoriale dans le Pacifique. J’ai déjà rencontré le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian pour échanger sur ces sujets.

"Sur la question des Senkaku plus précisément, nous essayons de mieux faire comprendre à nos partenaires notre point de vue. Parfois la France a du mal à apporter son soutien à certains pays sur les questions sensibles. Mais il y a suffisamment de conversations et d’échanges et il n’y a en tout cas pas de malentendu".

Quelle sera le sens de votre mission en France? Quelle est votre feuille de route?

"Ma mission, c’est de multiplier les +mariages heureux+. Il faut plus d‘entreprises japonaises en France… et pourquoi pas l’inverse. L’année 2018 sera également marquée par une série d’expositions sur la culture japonaise contemporaine, événement que nous appellerons +Japonisme 2018+.

"Sur la question de la défense, nous organisons chaque année depuis 2013 une réunion bilatérale réunissant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays. Nous n’avons pas encore défini le calendrier pour cette année mais le sujet est majeur pour nous: nous essayons de développer davantage notre coopération dans le domaine des équipements par exemple, de l’information ou autre".    

 

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