Japon - Scandales et démission de Tomomi Inada : Shinzô Abe est-il fini ?

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Damien Durand
Publié le 28 juillet 2017 - 14:21
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Le Premier ministre japonais Shinzo Abe au Parlement, le 24 mars 2017 à Tokyo
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© KAZUHIRO NOGI / AFP
La position de Shinzô Abe semble plus menacée que jamais.
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Ce vendredi, la ministre de la Défense du Japon, Tomomi Inada, a formellement démissionné (elle l'avait annoncé jeudi). Proche de Shinzô Abe, son départ avec fracas sur fond de scandale militaire, entache un peu plus le Premier ministre. La popularité de ce dernier chute. Il garde pourtant des raisons d'y croire, notamment face à une opposition politique en plein effondrement.

Elle était sur la sellette depuis plusieurs semaines et son départ du gouvernement était attendu pour le mois d'août. Mais l'exécutif japonais ne sera pas parvenu à désamorcer la bombe politique à temps. Tomomi Inada, la très contestée ministre de la Défense, a été poussée à présenter sa démission ce vendredi 28, prise dans le scandale sur la dissimulation de rapports sur les activités des forces japonaises d'auto-défense (l'armée japonaise, mais qui n'a théoriquement pas de pouvoir "offensif" depuis 1945). Engagés au Sud-Soudan aux côtés des forces de l'ONU dans le cadre de la mission UNMISS, les soldats japonais devaient supporter de mauvaises conditions de sécurité selon plusieurs rapports qui ont été émis pour alerter les autorités gouvernementales. Tomomi Inada a toujours nié avoir eu connaissance de ces rapports avant qu'un lanceur d'alerte ne fasse fuiter des pièces montrant que la ministre savait.

Sa démission dans des conditions aussi fracassantes est un coup dur pour Shinzô Abe. Le Premier ministre, dont Tomomi Inada est relativement proche sur le plan idéologique, a soutenu jusqu'au bout sa ministre qui a accumulé les erreurs et les "gaffes" depuis un an. Et qui voit avec ce départ sa situation s'assombrir.

Le Premier ministre, en poste depuis 2012 après un premier passage en 2006-2007 nourrit en effet deux ambitions. La première est de battre le "record" du chef de gouvernement resté le plus longtemps en place dans le pays. Il devra pour cela se maintenir jusqu'en novembre 2019 (les prochaines élections ayant lieu en 2018). La seconde, sans doute la plus importante, est de parvenir à son but politique avoué: parvenir à faire changer l'article 9 de la Constitution indiquant que "le peuple japonais renonce à jamais à la guerre" et qu"il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre". Raison pour laquelle notamment les forces japonaises sont cantonnées à un rôle défensif, un aspect que le Premier ministre souhaiterait faire évoluer, à la fois pour mieux appuyer son allié américain sur certaines opérations extérieures, et pour disposer d'un potentiel directement utilisable contre toute menace extérieure, notamment en provenance de Corée du Nord.

Or les Japonais qui soutenaient jusque-là largement Shinzô Abe, sont toujours restés très partagés sur l'opportunité de se doter d'une force militaire offensive. L'écueil est de taille pour Abe. Pour faire changer la Constitution en vigueur depuis 1947, ce qui n'est jamais arrivé, le Premier ministre conservateur doit réunir deux conditions. La première est de disposer d'une majorité des deux-tiers dans les deux chambres du parlement nippon. C'est le cas pour le moment. A charge pour M. Abe de faire en sorte que cela le soit toujours après 2018. La deuxième est l'approbation populaire lors d'un référendum. Un scrutin qui serait une première au Japon au niveau national, et dont l'issue risque donc de dépendre de l'opinion des Japonais pour leur Premier ministre. Or, celle-ci est en chute libre, un mouvement sans rapport d'ailleurs avec la question de la réforme constitutionnelle.

Dans l'une des dernières enquêtes nationales effectuées samedi 22 et dimanche 23  par le quotidien Mainichi Shimbun, le taux de soutien au gouvernement est tombé de 26%, soit une baisse de 10 points par rapport au mois dernier alors qu'il résistait jusque-là de manière notable à l'usure du pouvoir. La faute à une série de scandales présumés concernant Abe, où le Premier ministre aurait pu faire jouer de son influence pour permettre à des groupes scolaires privés, pour l'un d'obtenir des tarifs fonciers très attractifs (affaire Moritomo Gakuen), et pour l'autre d'obtenir les autorisations nécessaires pour ouvrir une école vétérinaire sans justification pédagogique apparente (affaire Kake Gakuen).

Si Shinzô Abe devait échouer, reste à savoir d'où viendrait la vague qui l'emporterait. Et pour l'instant, une chose semble à peu près certaine: elle ne viendra pas de l'opposition. Car jeudi 27, la vie politique japonaise a été marquée par un autre événement, la démission de Renhô Murata de la tête du Minshintô, le Parti démocratique du Japon (centre-gauche). Femme jeune, ancienne binationale (née d'un père taïwanais), son profil semblait pouvoir renouveler la classe politique japonaise et apporter un souffle face aux conservateurs. Arrivée en septembre à la tête du parti, son passage s'est soldé par un désastre électoral à Tokyo (dont elle est pourtant élue comme sénatrice) et une incapacité de proposer une alternative, à tel point que sa formation se fait déborder par le Parti communiste japonais sur des circonscriptions stratégiques (Tokyo la capitale ou Okinawa où son basés de nombreux soldats américains). Elle aura même raté sa sortie, l'annonce de son départ étant éclipsée par celui de Tomomi Inada.

Ceux qui pourraient faire chuter Abe semble donc venir de son propre camp, le Jimintô, le Parti libéral-démocrate (conservateur). Deux "pistes" sont envisageables. La première est celle de Yuriko Koike, la gouverneure de Tokyo, ancienne membre du parti libéral-démocrate a décidé de faire sécession lors du scrutin de 2017 en créant a propre formation ("les Tokyoïtes d'abord") et en débauchant une partie des troupes conservatrices de l'agglomération. Elle a ainsi infligé à Shinzô Abe une défaite historique lors du scrutin renouvelant l'assemblée de la mégalopole. L'autre possibilité proviendrait d'une transition interne au parti, avec le ministre des Affaires étrangères Fumio Kishida, ou de Shigeru Ishiba numéro 2 du parti. Un détail non négligeable cependant, même si Kishida ou Ishiba émettent des réserves, ils ne sont pas opposés à une évolution de l'article 9. Quant à la "rebelle" Mme Koike, elle est même franchement pour. Si Shinzô Abe est en train de jouer sa place, sa volonté politique, elle, restera bien en poste.

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