La CEDH commence à traiter les violations aux garanties constitutionnelles liées aux années covid

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 18 mars 2022 - 18:30
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La Cour euopéenne des droits de l'Homme (CEDH), le 7 février 2019 à Strasbourg
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© FREDERICK FLORIN / AFP/Archives
CEDH
© FREDERICK FLORIN / AFP/Archives

Les cas d’ingérence aux libertés fondamentales commencent à arriver à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Deux condamnations ont été prononcées, contre la Suisse et contre Malte. L’affaire la plus spectaculaire au regard de son impact jurisprudentiel est celle de la Communauté genevoise d’action syndicale. Cette organisation se plaignait de ne pas avoir pu participer à des événements propres à son activité, en raison des restrictions sanitaires. Dans son arrêt du 15 mars, la CEDH estime que la marge d’appréciation des autorités helvétiques a été « disproportionnée » et retient la violation de l’article 11 (droit de réunion et d’assemblée).

Pour mesurer l’impact de cette décision, France Soir a interrogé Maître Julien Martin, avocat au barreau de Strasbourg et président de la commission des Droits de l’Homme du même barreau. « L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme contre la Suisse a une force contraignante, et la solution adoptée par la Cour est opposable à tout État membre qui aurait adopté des mesures d'ingérence, y compris en période de crise sanitaire, à condition que ces mesures d'ingérence aient eu un caractère disproportionné aux buts poursuivis, à savoir : la protection de la sécurité sanitaire. Il pourrait donc y avoir violation du droit à la liberté d'association dans une affaire dont les faits et circonstances seraient similaires ou identiques à celles de l'arrêt rendu contre la Suisse. Tout État membre de la Convention européenne des droits de l'homme est lié par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, au titre de leurs obligations conventionnelles de respecter les droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, y compris au regard de décisions de violation rendues par la Cour à l'encontre d'un autre État membre. »

Dans le cas genevois, la CEDH a été remarquablement rapide. En temps normal, la juridiction instituée par le Conseil de l’Europe ne se saisit des affaires que lorsque toutes les voies de recours auprès des instances nationales ont été épuisées. « Si la requête n'est pas déclarée manifestement irrecevable par le greffe de la Cour européenne des droits de l'homme, elle est alors communiquée au gouvernement défendeur pour ses observations en réplique. Cette étape peut durer en moyenne de six mois à un an pour ce qui concerne la division française de la Cour », précise l’avocat. Il est à prévoir que la plupart des cas de violations des garanties constitutionnelles et libertés au cours des années covid atterriront au greffe de la CEDH dans les cinq prochaines années, exception faite d’affaires ayant trait à l’article 2 (droit à la vie) ou à l'article 3 (interdiction de traitement inhumain ou dégradant) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, auquel cas, la CEDH peut se saisir d’office. Cependant, un critère entre en ligne de compte qui est celui de l’appréciation de l’impact du cas par les juges. Impact médiatique, social : ce critère instaure un soupçon de lecture politique au regard de la sélectivité de recevabilité.

Voir aussi : L'intérêt à agir

Il est une affaire sensible pour beaucoup de citoyens qui est celle de l’obligation vaccinale imposée à certaines catégories professionnelles. (loi du 5 août 2021). Il s’agit du cas Thevenon v. France, du nom d’un pompier suspendu de son travail et ayant perdu la jouissance de son salaire. L’automaticité de la recevabilité a été rejetée et transférée à l’État, en attendant un débat sur le fond, si toutefois il a lieu.  

Face au risque judiciaire, il aurait été imaginable que les États membres, spécialement ceux qui ont eu recours aux mesures les plus répressives de l’état sanitaire, activent l’article 15 ou clause dérogatoire. Cet article ménage aux États contractants la possibilité de faire l’impasse sur les libertés dans un contexte limité et supervisé par le Conseil européen. Pourtant, ils ne l’ont pas fait. Selon Maître Martin, « l'intérêt pour les États membres de ne pas invoquer l'application des dérogations exceptionnelles au titre de l'article 15 de la Convention est à [son] avis celui de rester soumis à un contrôle classique de proportionnalité par la Cour et conserver le bénéfice d'une marge d'appréciation plus large reconnue par la jurisprudence de la Cour dans la mise en œuvre des mesures pouvant constituer une ingérence dans l'exercice des droits et libertés des individus. Cette marge d'appréciation des États est de manière générale considérée comme "large" par la Cour européenne des droits de l'homme en période de crise, et on l'a vu notamment en période de crise terroriste. ».

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