La décision de l’IAU de ne pas reconnaître le record mondial d’Ivan Zaborsky : un précédent controversé dans le sport

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France-Soir
Publié le 23 mai 2025 - 12:00
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La décision de l’IAU de ne pas reconnaître le record mondial d’Ivan Zaborsky : un précédent controversé dans le sport
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Le 18 mai 2025, l’International Association of Ultrarunners (IAU) a décidé de ne pas homologuer le record mondial établi par l’ultramarathonien russe Ivan Zaborsky, qui a parcouru 1 047,5 km lors des « Six Jours de France », une course organisée par la Global Organization of Multi-Day Ultramarathoners (GOMU). La raison ? Zaborsky a brandi le drapeau russe à l’arrivée, violant ainsi les règles imposées par World Athletics, qui interdit aux athlètes russes et biélorusses de concourir sous leurs couleurs nationales en raison des sanctions internationales liées au conflit russo-ukrainien. Cette décision, bien que conforme aux règlements, soulève des questions sur la politisation du sport et l’équité envers les athlètes. Elle s’inscrit également dans une lignée de précédents où des performances sportives ont été éclipsées par des considérations géopolitiques.

Contexte de la décision

Lors des « Six Jours de France », Ivan Zaborsky a réalisé une performance exceptionnelle, couvrant 1 047,5 km en six jours, surpassant le précédent record mondial. Cependant, l’IAU, alignée sur les directives de World Athletics, exige que les athlètes russes participent sous un statut « neutre », sans afficher de symboles nationaux. En brandissant le drapeau russe, Zaborsky a enfreint cette règle, ce qui a conduit l’IAU à refuser de reconnaître officiellement son record, bien qu’il reste listé comme vainqueur de la course sur le site officiel de l’organisation.

Cette décision a suscité des réactions contrastées. D’un côté, la coureuse ukrainienne Viktoriia Nikolaienko-Bryantseva a exprimé son malaise face à l’utilisation du drapeau russe, un symbole chargé dans le contexte du conflit en Ukraine. De l’autre, des médias russes et certains utilisateurs sur les réseaux sociaux ont dénoncé une décision « russophobe » et politisée, estimant que Zaborsky est sanctionné pour son identité nationale plutôt que pour sa performance.

Drapeau russe

Une politisation inévitable du sport ?

Le sport, souvent présenté comme un espace de neutralité et d’unité, est régulièrement confronté à des tensions géopolitiques. La décision de l’IAU s’inscrit dans un cadre plus large de sanctions sportives imposées à la Russie depuis 2014, renforcées après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ces sanctions, qui incluent l’exclusion de compétitions internationales ou l’obligation de concourir sous bannière neutre, visent à éviter que le sport ne serve de tribune à la propagande ou à des déclarations politiques. Cependant, elles placent les athlètes dans une position délicate, les obligeant à naviguer entre leur identité nationale et les exigences des fédérations internationales.

Dans le cas de Zaborsky, la sanction semble technique : il a violé une règle explicite. Pourtant, refuser un record mondial pour un geste symbolique peut apparaître disproportionné, surtout lorsque la performance est objectivement mesurable et incontestée. Cela soulève une question fondamentale : le sport doit-il primer sur la politique, ou les fédérations ont-elles le devoir d’appliquer strictement leurs règlements, même au détriment d’un exploit ?

Précédents historiques

Ce n’est pas la première fois que des performances sportives sont éclipsées par des considérations politiques ou des violations de règles liées à des symboles nationaux. Voici quelques précédents notables :

  • Suspension des athlètes russes aux Jeux olympiques (2016-2020) : après le scandale de dopage d’État révélé en 2015, la Russie a été bannie de plusieurs compétitions internationales, y compris les Jeux Olympiques de Rio 2016, PyeongChang 2018 et Tokyo 2020. Les athlètes russes autorisés à concourir l’ont fait sous la bannière du Comité Olympique Russe (ROC) ou en tant qu’« athlètes neutres ». En 2018, aux Jeux de PyeongChang, la patineuse Alina Zagitova et d’autres médaillés russes ont été scrutés pour tout signe d’affichage de symboles nationaux, comme le drapeau ou l’hymne, sous peine de sanctions. Ces restrictions, bien que liées au dopage plutôt qu’à la géopolitique directe, ont créé un précédent pour l’application stricte des règles de neutralité.
AnnéeÉvénementDétailsConséquences
1968Jeux Olympiques de MexicoTommie Smith et John Carlos lèvent le poing en signe de protestation racialeSuspension et exclusion du village olympique
1964-1988Exclusion de l'Afrique du SudBannie des JO en raison de l'apartheidAthlètes sud-africains empêchés de concourir
2016-2020Scandale de dopage russeAthlètes russes concourent sous bannière neutre (ROC)Records et médailles sous conditions spéciales
1980-1984Boycotts olympiques (Moscou, Los Angeles)Boycotts liés à la guerre froideAthlètes privés de participation à cause de la géopolitique
  • Protestations politiques aux Jeux Olympiques :  en 1968, aux Jeux Olympiques de Mexico, les coureurs américains Tommie Smith et John Carlos ont été exclus du village olympique, et suspendus après avoir levé un poing ganté de noir sur le podium, un geste de soutien au mouvement des droits civiques. Bien que leur action n’ait pas impliqué un drapeau national, elle a été jugée comme une violation de la neutralité politique exigée par le Comité International Olympique (CIO). Cet événement illustre comment des gestes symboliques, même sans lien direct avec un conflit géopolitique, peuvent entraîner des sanctions sévères.
  • Boycotts des Jeux Olympiques (1980 et 1984) : les Jeux de Moscou 1980 et de Los Angeles 1984 ont été marqués par des boycotts massifs en raison de la guerre froide. Les États-Unis et leurs alliés ont boycotté les Jeux de 1980 en réponse à l’invasion soviétique de l’Afghanistan, tandis que l’URSS et les pays du bloc de l’Est ont boycotté ceux de 1984. Ces boycotts ont privé de nombreux athlètes de la possibilité de concourir, montrant comment les tensions géopolitiques peuvent directement affecter les carrières sportives.
  • Sanctions contre l’Afrique du Sud sous l’apartheid : de 1964 à 1992, l’Afrique du Sud a été exclue des Jeux Olympiques en raison de sa politique d’apartheid. Les athlètes sud-africains, même ceux opposés au régime, ont été privés de compétitions internationales. Ce précédent montre que les sanctions sportives, bien qu’axées sur des principes moraux ou politiques, peuvent pénaliser des individus pour des actions hors de leur contrôle.
Analyse et implications

La décision concernant Zaborsky s’inscrit dans cette lignée de précédents, où les règles internationales et les contextes géopolitiques prennent le pas sur les performances individuelles. Cependant, elle se distingue par son caractère spécifique : contrairement aux cas de dopage ou de boycotts, l’infraction de Zaborsky est un geste symbolique, non une tricherie ou un acte illégal. Cela rend la sanction particulièrement controversée, car elle peut être perçue comme une punition de son identité nationale plutôt que de sa conduite sportive.

D’un point de vue éthique, la décision de l’IAU est compréhensible dans le contexte des tensions actuelles, notamment vis-à-vis de la sensibilité des symboles russes pour les athlètes ukrainiens et les pays soutenant l’Ukraine. Toutefois, elle risque d’alimenter un sentiment d’injustice, comme en témoignent les réactions sur les réseaux sociaux, où certains qualifient la décision de « discriminatoire » ou d’« hypocrite ». En outre, la course étant organisée par GOMU, qui pourrait reconnaître le record indépendamment, l’impact de la décision de l’IAU pourrait rester limité, ce qui soulève des questions sur son efficacité.

Vers une solution équilibrée ?

Pour éviter de tels conflits à l’avenir, les fédérations sportives pourraient envisager des approches plus nuancées. Par exemple, reconnaître le record tout en sanctionnant l’infraction par une amende ou une mise en garde aurait pu préserver l’exploit de Zaborsky tout en respectant les règles. Une telle approche permettrait de maintenir l’esprit du sport – célébrer les performances humaines – tout en tenant compte des sensibilités géopolitiques.

Conclusion

La non-reconnaissance du record d’Ivan Zaborsky par l’IAU illustre les tensions croissantes entre sport et politique dans un monde polarisé. Si la décision est techniquement justifiée, elle ravive le débat sur la place des athlètes dans les conflits géopolitiques. Comme dans les précédents historiques, elle montre que le sport, loin d’être un espace neutre, est souvent un miroir des luttes internationales. Pour Zaborsky, cette décision pourrait marquer un tournant dans sa carrière, mais elle pourrait aussi galvaniser un débat plus large sur la manière dont le sport peut rester fidèle à ses idéaux d’unité et d’équité dans un monde divisé.

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