Pegasus : la difficile cession du logiciel d'extorsion politique israélien

Auteur(s)
Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 17 juin 2022 - 16:25
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Illustration du site web de NSO Group, entreprise du logiciel Pegasus.
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JOEL SAGET / AFP
Cette illustration montre un smartphone avec le site web du groupe israélien NSO qui comporte le logiciel espion "Pegasus", exposé à Paris le 21 juillet 2021.
JOEL SAGET / AFP

CHRONIQUE — Emmanuel Macron, Pedro Sanchez, Imran Khan. Sur leur téléphone, des traces d’intrusion du système d’écoute israélien, connu sous le nom de marque Pegasus, ont été détectées entre 2019 et 2021. NSO Group Technology Limited, l’entreprise qui commercialise ce logiciel espion, pourrait désormais le céder à L3Harris, groupe fournisseur en technologie de défense des États-Unis. L’information a d’abord été publiée par les quotidiens The Washington Post, The Guardian et Haaretz. La menace que représente Pegasus, en termes de sécurité institutionnelle, en fait un sujet stratégique de premier plan.

NSO Group est une société de culture d’intelligence mafieuse, fondée sur le principe du kompromat (dossier compromettant), ayant délibérément vendu son logiciel à des États voyous dans le but d’espionner des journalistes, des chefs d’États, des opposants. Il est démontré que c’est un outil qui sert à créer des situations d’extorsion, à tordre le bras à une toute série d’acteurs politiques. Récemment, le changement de politique de Pedro Sanchez sur la question du Sahara occidental, pris en totale solitude et sans signe avant-coureur, serait la résultante d’écoutes téléphonique de la part du système Pegasus, ordonnées par le Maroc. Sur l’affaire d’Imran Khan, ex-Premier ministre Pakistanais, difficile de dire si les écoutes auraient précipité la machination des Ides de Mars (avril dernier dans son cas), lors du vote de défiance qui a fini par destituer. Ça ne lui a pas porté bonheur, en tous les cas.

Les "Pegasus leaks", publiés par le journal The Guardian en 2021, affirment que les dispositifs téléphoniques de 13 chefs d’États ont été piratés par Pegasus entre 2019 et 2021. Et pas que des chefs d’États. Des figures centrales de la vie publique internationale, tels que Tedros Adhanom Ghebreyesus, secrétaire général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Lire aussi : Pegasus, le logiciel d’espionnage israélien au cœur d’un scandale diplomatique

Si une partie du contre-espionnage consiste à entrer dans des systèmes fermés en trouvant la faille, une autre consiste à chercher la faille chez un sujet d’intérêt pour alimenter un chantage, le conditionner, l’évincer, selon son degré de résilience, voire en faire un obligé. Avec l’avènement de la technologie Android et Apple, pour une entreprise comme Pegasus, plus besoin de mettre du personnel en danger. C’est devenu un jeu d’enfant de pénétrer au cœur des secrets d’États.

En 2021, Amnesty International, au travers de son propre laboratoire, a fait procéder à un audit sur le téléphone d’une infinitude de personnalités de la société civile, avocats, journalistes, membres d'ONG. Un rapport qu’il est bon de consulter pour s’informer sur les failles dont Pegasus a su tirer profit à partir de 2016.

Parmi les grands clients de NSO, se trouve le Maroc, grand consommateur de ce type de voyeurisme électronique. Le roi Mohamed VI en serait friand. Cela devrait améliorer ce que les amuses-gueules des frères Azaitar ne parviennent plus à combler, surtout depuis qu’il n’est plus en grâce à Paris. Mais c’est aussi le signe d’une diplomatie de l’extorsion portée à son paroxysme. Si son père Hassan II s’est distingué par le raffinement dans la torture de ses opposants, Mohamed VI le fait plus proprement par le chantage. Et cela, il n’aurait pas été capable de le faire sans Pegasus. Son nom fait partie de la liste des chefs d’État écoutés par le groupe israélien. Ce n’est pas un paradoxe. Dans ce genre d’environnement, il est courant de vouloir tenir en laisse les clients.

Ces histoires d’espionnage sont désormais tellement énormes qu’elles passent à l’as, y compris lorsqu’elles sont communiquées.

Teresita Dussart

Parmi les autres grands consommateurs d’écoutes illégales se trouve le chef d’État indien, Narendra Modi. La Cour Suprême de ce pays vient de créer une commission technique pour enquêter sur l’étendue et l’impact de ses écoutes. Ce, à la demande de Rahul Gandhi, petit-fils d’Indira Gandhi. L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis seraient d’autres grands comptes pour l’entreprise NSO, lui permettant d’exercer par proxy un travail de contre-espionnage sur d’autres états de la région, tels que l'Irak, et de garantir leur compliance avec les visées du département d’État américain.

Pegasus a travaillé à maintes reprises pour des entreprises privées et publiques américaines. Toutefois, le groupe NSO est désormais considéré comme une société hostile dans ce pays. En novembre dernier, la société a même été blacklistée. Aucune entreprise américaine ne peut plus acheter sa technologie. Ce qui explique en partie l’endettement de la société israélienne à hauteur de 450 millions de dollars. Et les procès s’amoncellent.

Acheter de la technologie à une puissance étrangère, ayant été utilisée contre d’autres puissances étrangères, pourrait supposer une série de problèmes en cascade pour le gouvernement américain. Il serait difficile de se confier en un système, tout en sachant que la clé du software reste à Jérusalem. Même si en théorie, la vente inclurait les codes de sécurité de piratage et le transfert des ressources humaines qui ont travaillé à son développement.

Shalev Hulio, le PDG et actionnaire unique de NSO, a admis que « sous certaines circonstances, certains de [ses] clients peuvent faire une mauvaise utilisation de [ces] services ». En théorie, NSO Group, dont les ventes sont placées sous le strict contrôle du ministère de la Défense israélien, ne peut vendre sa technologie qu’à des agences d’intelligence de nations souveraines. Ce qui pose d’ailleurs la question de la responsabilité directe du gouvernement israélien sur les écoutes hostiles intervenues à partir de 2013. Reste que le groupe ne pourrait illustrer un cas, dans lequel Pegasus aurait été mis au service de la lutte contre le terrorisme ou le narcotrafic. Son historique démontre que l’unique usage qui lui soit attribué, est celui de l’espionnage politique ou économique.

Pour illustrer son propos, dans une déclaration sous serment auprès du Tribunal du district nord de Californie, le 13 mai 2020, Shalev Shilo déclarait avoir été approché par deux représentants de Facebook en octobre 2017, qui cherchaient à acheter les droits de Pegasus. Ceux-ci alléguaient de ce que le spyware acquis par Facebook en 2013, ONAVO, n’était pas assez efficace sur les dispositifs Apple. Shilo aurait refusé parce que Facebook n’est pas une centrale d’intelligence d’État.

Ces histoires d’espionnage sont désormais tellement énormes qu’elles passent à l’as, y compris lorsqu’elles sont communiquées. Le plus urgent est de comprendre non seulement l’étendue de personnes espionnées et en dégager la matrice en peaufinant le travail d’Amnesty International. Mais plus crucial encore serait de savoir, s’il y a eu écoute, y a-t-il eu extorsion ? Comment ces écoutes ont configuré le destin des entreprises et des sociétés ciblées ? Au-delà de la dimension morale sur l’intrusion extrajudiciaire par une puissance étrangère sur des téléphones ciblés comme stratégique, se trouve celle de l’ingénierie politique, sociale, économique que cela a pu produire, laquelle reste encore largement inconnue du public.

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