Syrie : les ISIS Hunters, ces soldats du régime de Damas formés par la Russie

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Stéphane Mantoux, édité par la rédaction
Publié le 30 mai 2017 - 17:08
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ISIS Hunters forces spéciales régime de Damas Bachar al-Assad
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Formés et armés par Moscou, les ISIS Hunters.
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Les ISIS Hunters forment une unité d'élite de l'armée syrienne, formés, entraînés et équipés par la Russie, comme contrepoids à l'influence iranienne grandissante dans l'appareil militaire du régime de Damas. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, revient, en partenariat avec "FranceSoir", sur cette force d'élite de l'armée de Bachar al-Assad.

Les ISIS Hunters font partie du 5ème corps de l'armée arabe syrienne, constitué avec l'appui de la Russie, à partir de novembre 2016. La Russie cherche en effet à s'appuyer sur des forces syriennes solides pour renforcer les capacités militaires du régime, déliquescentes avant son intervention: d'où la formation du 5ème corps (à vocation "commando", "antiterroriste"), après celle du 4ème corps d'armée. Mais alors que ce dernier visait à remettre sous la tutelle du régime des milices déjà existantes, le 5ème corps sera constitué uniquement de volontaires. La Russie cherche aussi à bâtir des forces qui peuvent servir de contrepoids à l'Iran, dont les objectifs diffèrent, en Syrie, de ceux de Moscou.

De fait, le 5ème corps connaît, malgré les salaires alléchants qui sont proposés, des problèmes de recrutement: les vides sont en partie comblés par les brigades du parti Baas. Le 5ème corps a reçu de la Russie des chars T-62M et des véhicules blindés BMP-1, en plus d'autres véhicules logistiques. Cette unité a manifestement été encadrée par les forces spéciales russes (ce qui est confirmé par une source pro-russe); elle aurait été entraînée à Lattaquié avant d'être déployée sur le front de Palmyre. Les ISIS Hunters auraient été conçus pour garder les installations stratégiques dans et autour de Palmyre: l'aéroport militaire, les cantonnements, les champs gaziers et pétroliers.

La Russie cherche manifestement à former des troupes solides pour le régime syrien, capables de tenir le terrain conquis. Bien que les ISIS Hunters soient formés avec du personnel syrien, l'encadrement russe est évident. Ivan Slyshkin, 23 ans, qui a servi deux ans en Tchétchénie, intègre la compagnie de sécurité privée "Wagner" russe, qui opère à partir de la base de Molkino, à Krasnodar, où se trouve la 10ème brigade indépendante du GRU (forces spéciales), et envoie des hommes en Syrie depuis l'intervention russe en 2015. Slyshkin est tué le 12 février 2017 par un sniper lors d'une opération près du champ gazier d'al-Shaer. Il participait à la formation des ISIS Hunters. Il est probable que d'autres Russes de la compagnie "Wagner" participent à l'encadrement de l'unité.

La tombe d'Ivan Slyshkin, ancien soldat russe, membre de la compagnie privée Wagner, tué en Syrie le 12 février 2017. Il participait à l'encadrement des ISIS Hunters.

La page Facebook du groupe est créée le 27 février 2017. Le compte Twitter du groupe apparaît le lendemain, le 28 février 2017, quelques jours avant la reprise de Palmyre par le régime syrien. Une première et courte vidéo, en forme de bande-annonce, montre une dizaine de combattants, avec fusils d'assaut Type 56-2, casques et gilets pare-balles, évoluer dans le désert, autour de Palmyre. Une photo du 28 février montre neuf fantassins, avec casque, le même uniforme et Type 56-2, en colonne dans le désert. Dans une autre vidéo du même jour, une GoPro montée sur un fantassin filme une progression sur une colline autour de Palmyre; le porteur de la GoPro montre une position avec mitrailleuse PK abandonnée.

Capture d'écran de la première vidéo postée par les ISIS Hunters. La standardisation de l'équipement montre déjà la main de la Russie derrière l'unité.

Dans une vidéo du 1er mars, ISIS Hunters filme une dizaine de corps de combattants de l'Etat islamique, et des positions souterraines dans lesquelles ceux-ci s'abritaient. Une autre vidéo montrant la destruction supposée d'un char de l'EI à courte portée ressemble fort à une mise en scène. Le groupe annonce combattre vers l'aéroport militaire de Palmyre, puis dans la citadelle. Des sources russes indiquent effectivement que les ISIS Hunters auraient joué un rôle important dans l'assaut sur l'aéroport, sans doute aidés par les forces spéciales russes. Dans une vidéo du 2 mars, un des hommes du groupe parle en arabe.

Un cliché du 4 mars montre le drapeau du groupe derrière lequel on aperçoit un canon D-30. Une vidéo du même jour, accompagné d'un commentaire provocant à l'égard de Daech, filmée avec un smartphone, montre des installations souterraines de l'EI et plusieurs corps. Le lendemain, une photo s'accompagne d'une légende indiquant que les ISIS Hunters vont tenir garnison dans Palmyre, et que la ville ne sera jamais reprise par les djihadistes.

Une photo du 6 mars montre les ISIS Hunters dans les catacombes de la citadelle de Palmyre. Le 12 mars, le groupe annonce se tenir prêt pour la bataille de Raqqa. Un portrait de groupe du 15 mars montre 13 combattants du groupe. Une publication du 16 mars promet aux combattants de l'EI d'être "écorchés vifs" (!). Le 19 mars, une vidéo mise en scène dans l'amphithéâtre de Palmyre voit un combattant syrien, parlant en arabe mais sous-titré en anglais, inviter à rejoindre les rangs de ISIS Hunters.

Le 23 mars, l'Etat islamique lance 120 hommes dans une attaque au nord de Palmyre: les soldats syriens prétendent avoir contribué à repousser l'attaque, tuant 24 adversaires et en blessant 12. Un drone détruit un technical de l'EI (Land Cruiser avec bitube ZU-23) comme le montre une vidéo. Le 28 mars, une vidéo filmée par drone montre la destruction d'une position de mortier des djihadistes sur la route Damas-Palmyre; on voit trois hommes s'enfuir d'une tranchée.

Un membre d'ISIS Hunters avec un AKS-74U. Capture d'écran du reportage RUPTLY.

Début avril, les ISIS Hunters opèrent toujours pour libérer les champs gaziers autour de Palmyre. Ils sont filmés par la chaîne Russia Today: l'un d'entre eux est armé d'un AKS-74U, un autre d'un AK-74M. Ils protègent une installation gazière ou pétrolière, près de laquelle évolue un char et deux hélicoptères russes Mi-28. Un site russe pro-régime syrien, South Front, confirme fin avril 2017 que le groupe est entièrement pris en charge par la Russie et surtout composé de Syriens de la région de Homs, volontaires et ayant perdu des membres de leur famille des mains de l'EI.

Le 23 avril, les ISIS Hunters combattent autour du champ gazier d'al-Shaer, au nord-ouest de Palmyre. Le groupe aurait utilisé surtout ses RPG-7 et aurait eu l'appui de chars T-72. Le lendemain, le groupe filme quatre corps de combattants de l'EI et deux fusils d'assaut dans ce même secteur. Le 14 mai, Ameer Ahmad Ahmad, un membre assez âgé d'ISIS Hunters, est filmé tenant un discours sous-titré en anglais. Il accuse notamment les Etats-Unis d'être à l'origine de l'Etat islamique et dénonce les tirs de missiles Tomahawks sur la base aérienne de Shayrat. Le 24 mai, une vidéo filmée par drone montre un char T-55 de Daech touché par une frappe de mortier à l'est de Palmyre (difficile de dire si le char est complètement détruit).

Un combattant d'ISIS Hunters avec un AK-74M.

L'emblème du groupe est à la fois simple et évocateur: au centre, une tête de mort dans une cible (on se rappelle que la tête de mort est l'emblème de la Garde Républicaine syrienne...), deux impacts de balles de part et d'autre, et le nom ISIS Hunters en anglais et en arabe. Le rouge et le noir renvoient à deux couleurs utilisées sur le drapeau du régime syrien.

L'emblème d'ISIS Hunters.

En dehors de sa qualification d'unité de "forces spéciales", ISIS Hunters ne fait pas trop la propagande du régime syrien, même si l'association est évidente, notamment dans les vidéos. Il faut remarquer que le compte Twitter et la page Facebook, créés quasiment en même temps, proposent des vidéos où les discours en arabe sont systématiquement sous-titrés en anglais (ce qui n'est pas forcément le cas des bandeaux en arabe). Il faut sans doute y voir la main de la Russie, soucieuse d'assurer à cette petite unité de forces spéciales, servant de "vitrine", une certaine visibilité.

ISIS Hunters, en tant qu'unité de forces spéciales, ne doit pas compter un effectif important: tout au plus les vidéos montrent-elles une dizaine d'hommes ensemble. Une vidéo de Ruptly le 3 mars montre une vingtaine de combattants. Le recrutement est syrien mais l'encadrement russe ne fait guère de doute. Certains Syriens membres de l'unité sont particulièrement âgés.

Ameer Ahmad Ahmad, le combattant qui prend la parole le 14 mai dans une vidéo où ils accusent les Américains d'être à l'origine de l'EI et dénoncent la frappe de missiles sur la base de Shayrat.

La prise en main par la Russie se voit aussi dans l'équipement: uniforme standardisé (avec camouflage "MultiCam" russe sur le casque), casques, gilets pare-balles. Quant à l'armement, il se compose d'après les images de fusils d'assaut Type 56-2 pour tous les fantassins, sans que des armes collectives soient visibles, sauf dans la vidéo du 3 mars, où l'on voit un tireur RPG-7 avec 2 pourvoyeurs et une mitrailleuse RP-46, ancienne et assez rare. Un drone armé est utilisé le 23 mars contre un technical de l'EI. Un canon D-30 est visible derrière le drapeau de l'unité sur un cliché. Les armes visibles en avril (AK-74M, AKS-74U) montrent une amélioration croissante des moyens mis à disposition de l'unité par la Russie.

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