Pour raconter les quartiers populaires, des sociologues passent par la case BD

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Par Sarah BRETHES - Pantin (AFP)
Publié le 13 novembre 2018 - 11:36
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Planche de la bande dessinée "La petite mosquée dans la cité" (Casterman) de Solenne Jouanneau (autrice) et Kim Consigny (illustratrice), publiée dans la collection Sociorama (image transmise par Cast
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© Handout / CASTERMAN/AFP
Planche de la bande dessinée "La petite mosquée dans la cité" (Casterman) de Solenne Jouanneau (autrice) et Kim Consigny (illustratrice), publiée dans la collection Sociorama (imag
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Banlieue, islam, immigration... Comment rendre compte de la réalité dans les quartiers populaires sans angélisme ni misérabilisme, avec une rigueur scientifique tout en restant abordable? Des sociologues ont résolu la quadrature du cercle en s'associant avec des auteurs de BD.

Pour brosser le personnage de l'imam Moussa et d'Omar, le fidèle "excité" qui veut être calife à la place du calife, héros de "La petite mosquée dans la cité" (Casterman), l'auteur de BD Kim Consigny a d'abord potassé les 500 pages de thèse de la sociologue Solenne Jouanneau : des mois d'immersion dans une mosquée de banlieue, des dizaines d'imams interrogés, des semaines de planques pour scruter le profil des fidèles...

"Quand on entend des journalistes dire à leur étudiants que ça ne sert à rien d'aller voir des chercheurs +hors sol+ qui se font des +nœuds au cerveau+, ça me rend dingue", s'est agacée la sociologue lors d'une rencontre début novembre à Pantin (Seine-Saint-Denis) autour du thème "Dessiner la banlieue".

Cause de ce courroux: "Inch'allah, enquête sur l'islamisation de la Seine-Saint-Denis", écrit par cinq étudiants en journalisme sous la houlette des enquêteurs du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Paru en octobre aux éditions Fayard, ce livre qui dresse un tableau alarmant du "93" se classait début novembre au quatrième rang des ventes d'essai selon Livre Hedbo.

C'est "par choix politique" que Yasmine Bouagga, chercheuse au CNRS, et Lisa Mandel, dessinatrice, ont eu l'idée d'utiliser le vecteur "sexy" de la BD pour faire connaître les travaux au long cours de chercheurs en sciences humaines lus, de leur propre aveu, "par 15 personnes maximum".

En 2016, en pleine vogue de la "bande-dessinée du réel", le tandem a lancé chez Casterman la collection Sociorama, pilotée par un "comité scientifique" de quatre chercheurs qui explorent la production universitaire en sciences sociales pour trouver des thèses "vulgarisables" via le médium du 9e art.

- Burkini -

En deux ans, douze livres, tirés à 5.000 exemplaires chacun, ont paru. Leurs sujets : le quotidien d'une caissière de supermarché, le travail au noir sur les chantiers, le harcèlement de rue, la "jungle" de Calais mais aussi la banlieue vue par la lucarne du journal de 20 heures ou le retour au "bled" de Français d'origine algérienne.

"L'idée était de répondre à des questions qui se posent dans le débat public. On a par exemple cherché des travaux sur l'islam après le débat enflammé sur le burkini à l'été 2016", se souvient Yasmine Bouagga, qui insiste sur la nécessité de lutter contre les "idées reçues" et les "caricatures" grâce à un travail "informé" sur les classes et les quartiers populaires.

Un an de gestation, au minimum, est nécessaire à la fabrication de ces livres de "fiction du réel", "exercice compliqué" qui nécessite de nombreux aller-retours entre l'artiste et le scientifique.

Dans "Vacances au bled", dernier ouvrage paru dans la collection, le dessinateur Singeon narre l'été algérien de quatre Français pris entre deux identités, sur la base d'une enquête de Jennifer Bidet.

"On parle toujours des jeunes hommes qui envahissent l'espace public dans les quartiers, j'ai eu envie de m'intéresser aux autres, des familles, des gens entre 18 et 50 ans, que l'on renvoie constamment à leurs origines", a expliqué la chercheuse lors de cette rencontre à Pantin.

Au passage de la douane, à la plage, devant un match de foot, au café, en boîte... La BD monte comment Férouze, Selim ou Sabrina, des "immigrés" comme on les appelle à Sétif, font les funambules entre deux pays et deux mondes. "Ici ils sont vus comme pas complètement français, là-bas comme pas complètement arabes. Au final c'est un mix raté entre les deux", résume Jennifer Binet.

Mais c'est aussi les habitants de ces quartiers populaires, qui se sentent souvent stigmatisés par les médias, que certains ambitionnent de toucher : "J'ai voulu donner à voir la fabrique de l'information pour qu'ils puissent comprendre", explique Jérôme Berthaut, auteur avec Helkarava de "La banlieue du 20 heures", l'histoire de Jimmy, jeune journaliste en CDD dans une grande chaîne de télé. Qui, pour un CDI, finit par oublier l'éthique de son métier.

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