Serbie : le basket pour oublier les frontières ethniques

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Par Nicolas GAUDICHET ET Jovan MATIC - Bujanovac (Serbie) (AFP)
Publié le 12 mars 2019 - 07:15
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Bernard Murina, un Rom de 17 ans (à gauche), Hevzi Imeri, un Albanais de 17 ans (centre) et Branislav Prokopijevic, un Serbe de 18 ans, jouent au basket ensemble à Bujanovac, au sein du club Play 017,
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© Andrej ISAKOVIC / AFP
Bernard Murina, un Rom de 17 ans (à gauche), Hevzi Imeri, un Albanais de 17 ans (centre) et Branislav Prokopijevic, un Serbe de 18 ans, jouent au basket ensemble à Bujanovac, au se
© Andrej ISAKOVIC / AFP

Sur le parquet de Bujanovac, Bernard, Branislav et Hevzi ne sont plus rom, serbe ou albanais. Ils sont basketteurs du Play 017, rare lieu de rencontre interethnique dans cette région du sud de la Serbie.

Balle en main dans la salle de la Jeunesse, les adolescents n'entendent pas les rumeurs de frontières modifiées qui déplaceraient au Kosovo voisin leur vallée de Presevo, dont la population est majoritairement albanaise.

Depuis mi-2018, les médias répètent que Belgrade et Pristina envisagent un échange de territoires pour normaliser leurs relations 20 ans après la guerre entre forces serbes et guérilla kosovare albanaise. Il concernerait cette région déshéritée où, selon des chiffres officiels, plus de la moitié des 70.000 habitants est "menacée de pauvreté".

Entraîneur de l'école de basket du Play 017, Nenad Stajic, 37 ans, refuse de dire s'il partirait, le cas échéant: "Je ne réfléchis pas ainsi." "Nous sommes une équipe; nous sommes Play 017; nous avons un même but, gagner des matchs", martèle cet homme au visage rond et au crâne rasé.

"Ceci est un club de sport, il ne connaît ni religion, ni nationalité, ni couleur de peau, ni politique."

Le club accueille des jeunes de 6 à 17 ans. Son nom, référence au code téléphonique local, n'a pas de connotation ethnique, une gageure à Bujanovac où Serbes, Albanais et Roms vivent les uns à côté des autres, pas vraiment ensemble.

Hevzi Imeri, 17 ans, raconte sans s'attarder les réserves de son entourage quand il a préféré le Play 017 à l'équipe des Albanais, Elita. Ce qui l'a attiré, "c'est la haute qualité d'entraînement" qui va le faire "devenir un meilleur joueur", dit-il.

Dans cet "endroit spécial", Bernard Murina, un Rom de 17 ans, est loin de la discrimination dont souffre sa communauté dans les Balkans: "On est tous ensemble (...) J'ai amélioré mon serbe en les côtoyant. Moins l'albanais, mais j'ai appris à les comprendre".

- "Des gens bien" -

"Dès que je sors d'ici, je n'ai pas tellement d'amis d'autres communautés. Ce club m'a aidé à commencer à les côtoyer, à voir à quel point ce sont des gens bien, qu'ils ne sont pas ce que nous pensons souvent d'eux", explique le Serbe Branislav Prokopijevic, 18 ans.

Les Albanais de la vallée ont boycotté le recensement de 2011 mais selon le maire Shaip Kamberi, sa communauté représente 60% de la population de Bujanovac, contre 30% de Serbes et 10% de Roms.

Le succès de Play 017 peut sembler relatif: sur 150 joueurs, seulement quinze sont roms et dix albanais. Mais vu de Bujanovac, il est une réussite saluée par les sceptiques d'hier.

S'il reçoit aujourd'hui une subvention municipale annuelle de 400.000 dinars (plus de 3.000 euros), l'entraîneur Stajic se souvient de l'époque où des responsables lui expliquaient que "les miracles ne durent que trois jours."

Une cinquantaine de personnes sont mortes en 2000-2001 dans la vallée, quand une guérilla albanaise a pris les armes pour demander son rattachement au Kosovo.

Le calme est revenu mais chaque communauté a ses bars, ses écoles.

Cette ségrégation scolaire pose d'ailleurs problème pour les heures communes d'entraînement, dit Stajic.

Les enfants albanais reçoivent des cours de serbe, mais le parlent souvent mal. Quant aux Serbes albanophones, Shaip Kamberi en connaît "peut-être une dizaine dans la ville". Et "ils se gardent de le reconnaître..."

- "Moments très jolis" -

L'idée de Nena Stajic d'une équipe de basket ouverte à toutes les ethnies a germé au début des années 2000, quand un enfant albanais, Almir Selimi, est entré dans sa salle: "Il m'a demandé s'il pouvait jouer".

En réponse, l'entraîneur "m'a ouvert les portes et offert le respect de son équipe", se souvient Almir Selimi, 30 ans aujourd'hui, installé à Tirana où il anime une émission de radio en serbo-croate.

Soutenu par sa mère, Almir compose alors avec l'hostilité de son entourage. Stajic se souvient des supplications du grand-père pour qu'il ne l'aligne pas dans le derby contre l'équipe albanaise Elita, invoquant des menaces sur la famille.

"Ces années ont été les plus belles mais aussi les plus difficiles de ma vie sportive, c'était juste après la guerre", dit Selimi. "Nous n'étions pas à l'époque où on séparait sport et politique. Nous ne le sommes toujours pas..."

Stajic a aussi subi des remarques mais préfère raconter les "moments très jolis", les voyages en équipe, la fête du basket au printemps, les photos envoyées par ses protégés partis dans des clubs étrangers.

Son amitié avec Almir Selimi résiste aux frontières. Ils veulent jumeler le Play 017 et une équipe d'Albanie. "Albanais et Serbes ont beaucoup de préjugés réciproques. Jusqu'au moment où ils se connaissent", dit l'Albanais. "Les frontières s'effaceront lorsque nous intégrerons tous l'UE", renchérit le Serbe.

Comme beaucoup, Bernard, Branislav et Hevzi quitteront peut-être la vallée et sa misère. Mais ils partagent désormais un rêve de destination: la NBA.

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