Le vrac, exemple d'une écologie exclusive qui tourne aux fausses bonnes idées

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Axel Messaire, pour France-Soir
Publié le 27 avril 2025 - 20:00
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Une cliente se sert du riz en vrac dans une boutique Day by Day à Nantes, le 29 avril 2015
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© GEORGES GOBET / AFP/Archives
© GEORGES GOBET / AFP/Archives

Avec toutes les instructions qui leur sont données, les bobo-écolos ont la tête en vrac. Si bien que leurs bonnes actions se révèlent parfois contre-productives, faute d'une information complète et d'un effort de cohérence, révélant souvent une certaine hypocrisie. Entre mésinformation, gaspillage et exclusion sociale, le vrac et son objectif "zéro déchet" est un digne représentant de ces pratiques (pas si) simples qui masquent des enjeux complexes.

Derrière le marketing vertueux du “sans emballage”, la vente en vrac pourrait bien être l’une des plus belles arnaques écologiques et sociales. Loin de l’image bucolique des bocaux en verre et des marchés en conscience – qui tapissent Instagram –, le vrac devient vite un terrain fertile pour les dérives s'il est mal accompagné : confusion, gaspillage, exclusion. Ce qu'il y a, c'est qu'acheter vos pâtes en sachet ne fait pas de vous un nutritionniste, un naturopathe, ni même un écologiste. Il y a beaucoup à faire, à réfléchir et à comprendre avant de maîtriser son sujet et d'agir en connaissance de cause, de manière cohérente et responsable. Et quand on brûle les étapes, fût-ce pour sauver la planète, ça n'est pas bon.

Responsables mais pas coupables

Le vrac n'est pas une mauvaise idée en soi, loin de là. Comme souvent, c'est ce qu'on en fait et la manière dont on le présente (trop simplement) qui le transforme en casse-tête pour initiés. Résultat : beaucoup se prêtent au jeu, mais très peu le font correctement. Et parfois, il y a des conséquences.

Comme le rapporte The Conversation à travers la plume de Sarah Lasri, à défaut d’un encadrement sérieux, cette pratique engendre parfois plus de problèmes qu’elle n’en résout. D'abord, en supprimant l’emballage, on supprime aussi un outil logistique, sanitaire et éducatif. Et ce vide, ce sont les consommateurs qui le comblent, à leurs risques et périls.

S'il est évidemment support marketing, l’emballage est aussi un acteur-clé de la chaîne de distribution, qui protège, informe et oriente, quand il est lu et compris. Ingrédients (dont additifs), propriétés nutritives et indications de conservation ne servent pas seulement à faire joli, d'autant qu'aujourd'hui, ils le sont de moins en moins. Nous avons au moins la possibilité de nous renseigner avant d'acheter. Si l'emballage disparaît, c'est tout de suite plus compliqué. On fait confiance, on achète, on met tous les petits sacs en papier dans un joli tote-bag, on prend le vélo pour retourner à la maison, et arrivé à la cuisine, patatra : la lessive se met dans une bouteille de jus de fruit sans étiquette, les fruits se mélangent sans distinction, parfois au frais, parfois pas, les légumes subissent le même sort, les fruits secs restent au fond du placard, les plus aventureux ne savent pas quoi faire de la spiruline, enfin, on jette tous les sacs dans la poubelle jaune. Voilà.

Fais ce que je dis pas ce que je fais

"Utiliser une bouteille de jus de fruits pour stocker de la lessive liquide peut être dangereux si tous les membres du foyer ne sont pas au courant de ce qu’elle contient", alerte Lasri. Avoir un gamin qui se sert de la lessive comme si c'était du lait ne doit pas arriver tous les jours, mais l'idée reste la même : sans date de péremption visible (c'est déjà difficile quand il y a l'emballage), les aliments finissent souvent à la poubelle ; faute d’éducation culinaire ou de repères visuels, certains consommateurs ne savent même plus quoi faire de ce qu’ils ont acheté ; on cuisine sans trop savoir et advienne que pourra. 

Bien sûr, il y en a qui s'en sortent très bien, puisqu'ils savent comment faire, ils connaissent les produits, ils sont habitués, mais ça n'est pas la majorité. Les autres abandonnent, ou cherchent des solutions alternatives. Et alors là, c'est cata.

L’un des paradoxes les plus troublants du vrac réside dans l’obsession... de l’emballage. Exit le plastique industriel, comme on nous a dit de faire, et bienvenue les bocaux stylisés (Parfaits !), les étiquettes calligraphiées, les contenants design repérés sur Pinterest et achetés en ligne – parfois de l’autre côté du globe. "La priorité de certains consommateurs n’est pas tant de réutiliser d’anciens emballages, mais plutôt d’en acheter de nouveaux… fabriqués à l’autre bout du monde !", note Lasri. Ils vous diront que c'est pour la conservation, pour repérer les aliments ou pour les recettes, mais souvent, c'est surtout pour faire joli dans la cuisine. En voulant supprimer les déchets, on a créé un nouveau marché – celui du contenant tendance – qui alimente des logiques de consommation bien éloignées de la sobriété.

Et ce glissement montre bien à qui le vrac appartient. Alors qu'on pourrait le croire accessible et centré sur le partage, il reste le domaine quasi-exclusif d’une clientèle urbaine, diplômée, CSP+, qui sait seulement parfois ce qu'elle fait. 70% des consommateurs réguliers ont plus de 50 ans et sont issus de milieux favorisés. Pour les autres, moins aguerris ou moins informés, le vrac devient une source d’exclusion : incompréhension des produits, peur de mal faire (à juste titre), voire sentiment d’illégitimité. Une rupture de plus dans une société qui se veut pourtant inclusive.

Être mal accompagné

Malgré tout, le vrac est appelé à se développer. La loi anti-gaspillage de 2020 oblige, d’ici à 2030, les magasins de plus de 400 m² à consacrer 20 % de leur surface à la vente en vrac. Une ambition dont l’application reste incertaine. Le premier baromètre du réseau Vrac et Réemploi, cité dans The Conversation, indique une reprise de la fréquentation depuis 2023, avec des innovations à la clé. Mais sans accompagnement réel, tant du côté des distributeurs que des consommateurs, cette démocratisation risque fort de rester théorique.

Le vrac ne peut fonctionner que dans une société éduquée à ses codes et soutenue dans sa pratique. Il exige une nouvelle pédagogie de la consommation, une formation des vendeurs et des repères clairs pour les acheteurs. En somme, pour que ce type de projet fonctionne, il faut qu'il soit réellement collectif et non une lubie individuelle ou une vitrine marketing

Sans suprise, il en va de même pour la passion électrique du moment et la ruée vers les véhicules "propres", qui ne le sont pas tout au long de leur fabrication. La Chine, d'ailleurs, remet de l'essence dans la batterie. Idem pour les éoliennes, qui produisent certes de l'énergie dite "propre", mais dérèglent, voire détruisent, la biodiversité autour d'elles. 

Qu'il faille agir, c'est une chose. Qu'il faille le faire en connaissance de cause, et avec intelligence en est une autre. Et les questions complexes méritent souvent des réponses complexes, qui elles, nécessitent un niveau d'éducation et d'information approprié, que tout le monde puisse saisir pour éviter de faire pire que le moyen.

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