Abattoir de Mauléon et vidéosurveillance : retour sur la frilosité du législateur

Auteur(s)
Estelle Derrien, édité par la rédaction.
Publié le 21 septembre 2018 - 18:35
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Images de cochons suspendus dans l'abattoir municipal d'Alès prises par l'association L214, le 14 octobre 2015
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© - / COURTESY OF L214 VIA YOUTUBE/AFP/Archives
Malgré un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la maltraitance animale dans les abattoirs, l'installation de la vidéosurveillance n'est toujours pas à l'ordre du jour.
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Six mois de prison avec sursis ont été requis au tribunal correctionnel de Pau contre l'ex-directeur de l'abattoir de Mauléon (Pyrénées-Atlantiques), deux ans et demi après la diffusion d'images choc de mauvais traitements envers les animaux. Estelle Derrien, avocate titulaire du diplôme universitaire en droit animalier de l'université de Limoges, revient en détails sur l'installation de vidéosurveillance dans ces établissements, un des sujets importants de ce procès.

Le procès qui s’est déroulé à Pau les 17 et 18 septembre dernier, suite aux vidéos tournées dans l’abattoir de Mauléon-Licharre au mois de mars 2016 par l’association L214[1], relance la question de la nécessité de mettre en place une vidéosurveillance dans ces établissements afin de vérifier le respect de la protection des animaux. Précédemment, un ancien salarié de l’abattoir du Vigan, également du fait d’images tournées par L214, avait été condamné sur le fondement de l’article 521-1 du code pénal, lequel réprime les délits de "sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux[2]", à huit mois de prison avec sursis, ainsi qu’une interdiction de travailler en abattoir pendant cinq ans[3]. Mardi 18, ce sont notamment des amendes pour la contravention de mauvais traitements à l’égard d’animaux[4] qui ont été requises[5].

Si le nouveau directeur de l’abattoir de Mauléon-Licharre, à la barre du tribunal correctionnel de Pau, s’est montré opposé à l’éventualité d’installer des caméras au sein de son établissement, les diverses auditions ont pourtant malheureusement relevé les carences ayant existé en terme de contrôle de la protection des animaux. S’ajoute le fait que l’on peut légitimement se demander si le scandale des images tournées, deux ans plus tôt, a eu pour conséquence d’engendrer des modifications significatives en ce domaine. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire "sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français", enregistré le 20 septembre 2016, avait d’ores et déjà relevé qu’existe dans les abattoirs un "contrôle essentiellement sanitaire, au détriment de la surveillance des postes sensibles pour le respect du bien-être animal".

Une telle carence pourrait cependant être majoritairement palliée par l’installation d’une vidéosurveillance, contrôle licite sur les lieux de travail s’il poursuit une finalité légitime dans la limite du principe de proportionnalité rappelé à l’article L.1121-1 du code du Travail[6], outre bien évidemment le respect de la sécurité des données collectées d’une part[7] et de l’information des salariés d’autre part[8]. Le but de ce système de contrôle peut ainsi répondre à un impératif de sécurité des personnes et/ou des biens, comme l’a rappelé la Chambre sociale de la Cour de cassation concernant "l'enregistrement de l'activité de la caisse", qui a été jugé comme "ne portant pas atteinte à la vie privée du barman[9]". Dans une autre affaire toutefois, le Conseil d’Etat a confirmé une sanction prononcée par la CNIL[10] dans la mesure où le système de vidéosurveillance mis en place par la société n’avait manifestement pas une "finalité de sécurité des personnes et des biens" mais dissimulait une "volonté de la direction de lutter contre des vols susceptibles d'être perpétrés par ses propres salariés", ce qui apparaissait dès lors disproportionné[11]. Cette haute juridiction avait en effet relevé qu’il existait un mode alternatif de contrôle dans cette entreprise prestataire de services informatiques, "l'entrée ne (pouvant) s'effectuer qu'après autorisation et vérification d'identité".

Dès lors appliqué aux abattoirs, "le principe de proportionnalité devrait permettre de (ne) recourir (à la vidéosurveillance) que lorsqu’aucun autre moyen ne permet d’atteindre efficacement l’objectif poursuivi, en l’occurrence la protection des animaux[12]". Or, les carences en terme de contrôle du respect de la protection des animaux dans les abattoirs ont d’ores et déjà été démontrées et c’est la raison pour laquelle la commission d’enquête parlementaire avait proposé dans son rapport du mois de septembre 2016 de "rendre obligatoire l’installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés", notamment au "poste d’abattage (…) car c’est lors de cette ultime étape que l’animal peut, si l’étourdissement et la saignée sont mal pratiqués, ressentir le plus de souffrance".

Dans le prolongement de cette enquête, la proposition de loi relative au respect de l'animal en abattoir, adoptée par l'Assemblée nationale le 12 janvier 2017, s’était ainsi attachée à respecter les principes susvisés de finalité légitime et de proportionnalité, outre l’information des salariés et le respect des données[13]. Cette proposition s’est malheureusement arrêtée au vote en première lecture par l’Assemblée nationale, déception suivie par une seconde d’autant plus grande un an plus tard dans le cadre des débats relatifs au projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable. Ce dernier projet prévoit en effet, à ce jour et après le rejet des divers amendements en la matière, uniquement la mise en place "à titre expérimental et sur la base du volontariat, pour une durée de deux ans, (d’un) dispositif de contrôle par vidéo des postes de saignée et de mise à mort, visant à évaluer l’efficacité des protocoles et l’application de la réglementation du bien-être animal". Et ce selon des modalités qui devraient être fixées par un "décret, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés"[14].

L'on peut s’étonner d’une telle frilosité malgré un rapport de la commission d’enquête parlementaire sans équivoque, et confirmé par de nombreux faits de maltraitance filmés dans des abattoirs, outre les règles juridiques d’ores et déjà applicables en matière de surveillance sur les lieux de travail. Il n’appartient pas aux membres des associations de prendre "de grands risques juridiques pour permettre à tous de voir ce que les acteurs de la filière de l'élevage ne voulaient pas voir eux-mêmes, et, en tout cas, ne voulaient pas laisser voir"[15], mais au législateur de tout mettre en œuvre pour prévenir les infractions dans les abattoirs à l’égard des animaux, "êtres vivants doués de sensibilité"[16].

Voir aussi:

Abattoirs: la vidéosurveillance ressuscitée, mais pour combien de temps?

Vidéosurveillance dans les abattoirs: Bardot écrit à Macron

Vidéosurveillance dans les abattoirs: l'Assemblée vote une expérimentation

 


[3]. Article 521-1, alinéa 3, du Code Pénal: "Les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent article encourent également les peines complémentaires d'interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal et d'exercer, pour une durée de cinq ans au plus, une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l'infraction. Cette interdiction n'est toutefois pas applicable à l'exercice d'un mandat électif ou de responsabilités syndicales".

[4] Article R.654-1 du Code Pénal: "le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d'exercer volontairement des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. »

[5] http://www.francesoir.fr/actualites-france/abattoir-de-mauleon-les-associations-reclament-des-condamnations

[6] "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

[7] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), dit RGPD, entré en application le 25 mai 2018

[8] CEDH, 09.01.2018, n°1874/13: La vidéosurveillance secrète de caissières dans un supermarché espagnol méconnaît le droit au respect de la vie privée. 

[9] Cass. soc., 02.02.2011, n°10-14.263

Article 9, alinéa 1, du Code civil: Chacun a droit au respect de sa vie privée.

[10] Commission nationale de l'informatique et des libertés

[11] CE, 18.11.2015, n°371196

[12] Jean Mouly, La généralisation de la vidéosurveillance dans les abattoirs – Le point de vue du "travailliste", Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2017, p.615 (http://www.unilim.fr/omij/files/2018/07/RSDA_2_2017.pdf)

[13] Article 4: "La section 5 bis du chapitre IV du titre Ier du livre II du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de la présente loi, est complétée par un article L. 214-22 ainsi rétabli:

"Art. L. 214-22. - À compter du 1er janvier 2018, à l'issue d'une expérimentation permettant d'évaluer l'opportunité et les conditions de leur mise en place, des caméras sont installées dans tous les lieux d'acheminement, d'hébergement, d'immobilisation, d'étourdissement, d'abattage et de mise à mort des animaux.

"La finalité exclusive de cette installation est la protection animale. Toutefois, si un accord collectif le prévoit, les images peuvent être utilisées à des fins de formation des salariés.

"Au titre de la protection animale, seuls ont accès aux images les services de contrôle vétérinaire et les responsables protection animale, au sens du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. Au titre de la finalité de formation des salariés, ont également accès aux images les représentants du personnel ainsi que les personnes habilitées et nommément désignées par l'établissement.

"Les images ne peuvent être conservées plus d'un mois.

"Ces enregistrements sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment en ce qui concerne le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et le droit d'accès aux enregistrements.

"Les modalités d'application du présent article et d'utilisation des données collectées sont définies par un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés".

[15] Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Les militants de l'association L 214 devant le tribunal correctionnel, Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2017, p.15 (http://www.unilim.fr/omij/files/2017/12/RSDA_1_2017.pdf)

[16] Article 515-14 du Code civil.

 

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