Etats-Unis : un cheval porte plainte contre son propriétaire

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Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction.
Publié le 27 août 2018 - 18:28
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Grand mercato d'été à la justice pour des postes clefs de magistrats
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© LOIC VENANCE / AFP/Archives
La maltraitance d'un cheval va être examinée par un tribunal américain.
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Aux États-Unis, des avocats ont engagé des poursuites au nom de Justice, un cheval récupéré en 2017 dans un très mauvais état. Au-delà de l'aspect surprenant de cette affaire, Jean-Marc Neumann, juriste chargé d'enseignement en droit de l'animal à l'université de Strasbourg, revient pour France-Soir sur l'aspect juridique de cette procédure inédite et sur ces conséquences éventuelles sur le droit américain.

Un procès insolite aux conséquences potentiellement inédites voire même "révolutionnaires" a été engagé le 1er mai dernier devant le tribunal du comté de Washington dans l’Etat de l'Oregon aux Etats-Unis par l'Animal Legal Defense Fund (ALDF), la plus importante association américaine de défense juridique des animaux, au nom et pour le compte d’un cheval dénommé "Justice". Le cheval réclame 100.000 dollars à son ex-propriétaire, Gwendolyn Vercher.

Afin de mieux comprendre cette affaire, penchons-nous d’abord sur les faits, puis sur les fondements juridiques au soutien de la demande et voyons enfin quels sont les enjeux de cette procédure et quelles pourraient en être les conséquences potentielles.

> Les faits

Justice (âgé de 8 ans et précédemment dénommé "Shadow") a été victime de maltraitance et de défaut de soins de la part de son ex-propriétaire. Laissé à l’abandon, exposé aux intempéries, émacié, le cheval a beaucoup souffert et présente de graves lésions provoquées par le gel, la pluie et les poux. Il en est résulté pour lui un préjudice physique et psychologique nécessitant jusqu’à la fin de sa vie des soins vétérinaires particulièrement onéreux.

Justice se trouve désormais entre les mains d’une association ("Sound Equine Options") servant de refuge et de centre de réhabilitation pour chevaux. Compte tenu de son handicap et du coût élevé des soins, il n’est pas adoptable par un particulier.

> Le fondement juridique au soutien de la procédure

L’ex-propriétaire, Gwendolyn Vercher, avait fait l’objet de poursuites pénales pour négligence et défaut de soins. Elle avait plaidé coupable et s’était engagée dans le cadre d’un "Criminal plea agreement" ("accord judicaire mettant fin aux poursuites") à prendre en charge les frais vétérinaires antérieurs au 6 juillet 2017 date à laquelle l’accord judiciaire est intervenu.

Le fait que Justice doive bénéficier de soins vétérinaires onéreux jusqu’à la fin de sa vie a conduit l’ALDF à engager une procédure en son nom contre l’ex-propriétaire au titre de laquelle une somme de 100.000 dollars est réclamée (estimation des frais vétérinaires) plus des dommages-intérêts qui devront être évalués par le tribunal au titre du Pretium doloris (soit la valeur du préjudice subi).

Sur quels fondements cette procédure a-t-elle été engagée? Selon l’ALDF, elle repose sur deux principes juridiques clairement établis dans l’Oregon. Premièrement, les animaux peuvent être considérés comme des "victimes" selon la jurisprudence ainsi que cela a été, notamment, reconnu notamment par la Cour Suprême de l’état dans l’affaire "State of Oregon vs. Arnold Weldon Nix" du 7 août 2014. Et secondement, les victimes d’une infraction peuvent engager une action en réparation de leur préjudice.

En revanche la Cour suprême n’a pas encore eu l’opportunité de combiner les deux principes jusqu’à présent. C’est précisément tout l’enjeu de ce dossier. La question que l’on est en droit de se poser est celle de savoir s’il n’y aurait pas eu d’autre voie sur le plan juridique? Par exemple celle d’une procédure engagée par l’association ayant recueilli le cheval.

Selon Mathew Liebman directeur du département "litiges" de l’ALDF, la loi pénale de l’Oregon protège l’animal contre les actes de maltraitance et actes de cruauté. Ce n’est pas la "société" de manière générale qui est protégée; par voie de conséquence une association ou un individu ne peut agir car l’auteur des faits a le devoir d’indemniser l’animal et non celui qui l’a recueilli et soigné.

Selon l’ALDF il n’y avait donc pas, en l’espèce, d’autre voie juridique possible pour obtenir réparation au titre des frais futurs et du Pretium doloris.

Au niveau procédural, ce dossier vient de faire l’objet en date du 15 août d’un dépôt par la partie adverse d’une "Motion to dismiss" (requête tendant au rejet pur et simple sans examen au fond de l’affaire).

Une décision pourrait être rendue dans les tous prochains mois mais en toute hypothèse elle ne marquera pas la fin de la procédure car un appel de l’une ou l’autre partie est quasiment certain.

> Les enjeux de la procédure et ses conséquences potentielles

Selon Le professeur Richard L. Cupp de la Pepperdine University , la procédure engagée par l’ALDF est susceptible, si le tribunal faisait droit à la demande, de bouleverser considérablement le modèle sociétal existant.  Le changement serait radical et aurait des effets dévastateurs selon lui.

Des milliards d’animaux, rien qu’aux Etats-Unis (si la décision faisait jurisprudence au niveau fédéral) pourraient potentiellement assigner leur propriétaires et cela conduirait à une vague sans précédent de procès qui engorgerait les tribunaux mais surtout qui remettraient en question le statut de "bien" des animaux.

Le professeur Cupp estime qu’il serait plus approprié, plus raisonnable, de modifier la législation existante afin de prévoir qu’en cas de maltraitance animale, l’auteur pourrait être condamné à devoir également supporter les frais futurs engendrés par son acte ou son omission (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui).

Il rappelle à cet égard que les tribunaux de l’Oregon ont toujours su faire preuve de progressisme et ont, par le passé, tout en confirmant que les animaux étaient des biens, précisé qu’il s’agissait cependant de biens spéciaux qui sont "sentiments" c’est-à-dire qu’ils peuvent souffrir et méritant à ce titre une protection particulière.

Remettre en question le statut de "bien" ("Property") des animaux serait pour le Professeur Cupp une révolution sociétale majeure aux conséquences incalculables.

L’ALDF estime de son côté que l’objet du procès n’est pas de créer de nouveaux droits en faveur des animaux (rien à voir avec le "Non Human Rights Project" de Steven Wise consistant à demander des droits fondamentaux en faveur des grands singes par la voie judiciaire et le moyen juridique de l’Habeas Corpus) mais d’appliquer ceux existants par une combinaison à ce jour inédite de deux principes reconnus par les tribunaux de l’état.

Nous verrons d’ici quelques mois la suite réservée par le tribunal du comté de Washington.

Il est cependant fort probable que la demande soit rejetée. En effet, les tribunaux américains ont jusqu’à présent systématiquement rejeté les procédures engagées au nom des animaux pour les faire sortir de captivité ou qui auraient pour effet de les faire sortir de la catégorie juridique des biens (procédures engagées pour obtenir la libération de Tillikum l’orque aujourd’hui décédée de SeaWorld et celles engagées par le Non Human Rights Project en faveur des grands singes).

Lien- l'assignation de son ex-propriétaire par le cheval Justice: 

 

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