Harcèlement scolaire : briser la loi du silence, est-ce la solution ? (Tribune)

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Serge Farnel, édité par la rédaction
Publié le 08 novembre 2017 - 18:15
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Dans une école.
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©Jeff Pachoud/AFP
Dans le milieu scolaire, le harceleur ne craint pas d'être identifié. Il peut même en tirer une certaine "gloire".
©Jeff Pachoud/AFP
La journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire a lieu ce jeudi. A cette occasion Serge Farnel, professeur de sciences physiques au collège et auteur de "La malicieuse revanche d’un souffre-douleur" (Ed. Fayard/Mazarine) appelle, dans une tribune publiée en exclusivité par "France-Soir", à une réflexion sur les méthodes de lutte contre ce fléau. Il interroge notamment sur la manière de "briser la loi du silence" dans ce milieu si particulier qu'est le collège.

TRIBUNE - Comme chaque année, le ministère de l’Education nationale consacre une journée à la sensibilisation et la prévention du harcèlement scolaire. Il s’agit notamment d’inciter les élèves harcelés à briser la loi du silence en se confiant à des adultes. On pense aussitôt à une sorte de "hashtag balance ton harceleur au collège". Si ce n’est qu’il ne s’agit pas ici de répandre sur la place publique le nom du ou des harceleurs, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord parce qu’il s’agit de choisir un adulte et un seul à qui confier le nom du harceleur, charge pour cet adulte d’engager une action auprès de ce dernier, ce qu’il fera sans qu’il soit nécessaire d’alerter la terre entière.

Ensuite, parce qu’il n’y a tout simplement rien à dévoiler, le harceleur et ses suiveurs ne se cachant pas, bien au contraire, pour humilier ou bousculer la victime qu’ils ont choisie. Leur sentiment de fierté, d’impunité, les conduit même à poursuivre leur forfait à l’extérieur de la cour de récréation, non seulement dans la rue, mais aussi sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire sans la moindre crainte de laisser des traces écrites de leurs insultes, de leurs menaces.

Aussi ne craignent-ils pas que leur nom soit publiquement associé à du harcèlement scolaire: ce sont eux-mêmes qui se chargent de rendre public leurs agissements, quand bien même on a également recours à l’anonymat sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs en harcelant sa victime publiquement que le harceleur va tenter d’asseoir son pouvoir. Le désarroi de l’enfant harcelé sera alors proportionnel au nombre de spectateurs de son calvaire. Voilà pourquoi un tel hashtag amuserait sans doute les harceleurs. Probablement moins leurs victimes.

Si la mise sur la place publique de faits de harcèlements sexuels peut entraîner la mort sociale du harceleur, en ce que de tels fait vont à l’encontre des règles de la société, il en va autrement dans le milieu scolaire. Le harceleur voit la position qu’il occupe dans le microcosme du collège être au contraire confortée, dès lors qu’il se rebelle aux yeux de tous contre les règles d’une société portée par ceux-là mêmes qui tentent de lui faire entendre raison. C’est qu’il y a aussi un conformisme de la jeunesse lorsqu’elle se positionne parfois systématiquement contre ce que représente le monde des adultes. C’est entre autres sa façon de se construire. Il faudra patienter quelques années avant que l’élève harceleur, une fois sa scolarité derrière lui, une fois définitivement à l’extérieur de la cour de récréation, pactise avec ce diable qu’autrefois il bravait fièrement devant ses camarades.

Ainsi donc, "briser le silence" signifie-t-il, pour l’institution, briser celui entre les élèves et le monde des adultes, non se répandre sur la place publique. Une fois l’adulte averti, le protocole consiste à convoquer le harceleur à qui il tente d’abord d’expliquer les souffrances occasionnées par son comportement. Il s’agit de lui en faire changer en misant sur son empathie. Si besoin est, on le menace de sanctions. N’est-on pas toutefois bien loin de la façon dont raisonnent les collégiens?

Dans "La malicieuse revanche d’un souffre-douleur" (Ed. Fayard/Mazarine), Arthur, mon personnage principal, tente le tout pour le tout afin d’éviter d’être victime de harcèlement. Sa stratégie? Faire tout ce qui est en son pouvoir pour être puni, en commençant par insulter le pion, puis en se comportant de façon insolente face au proviseur qui comptait pourtant passer sur l’incident.

C’est que les collégiens sont lucides et savent ce qui peut favoriser ou au contraire nuire à leur popularité. Un élève harcelé sait que l’intervention d’un adulte enverra au harceleur le signal de sa vulnérabilité, confortant ce dernier dans le choix qu’il a fait de le prendre pour cible, l’installant dès lors définitivement dans un rôle de victime: "Si je parlais, je me serais officialisé souffre-douleur", confesse Thierry, le voisin de classe d’Arthur. Sans parler des représailles possibles en cas de sanction du harceleur par l’adulte: "Il les aurait convoqués, les aurait punis. Et tu crois qu’il aurait été là tout le temps près de moi pour me protéger ensuite?", ajoute Thierry. L’efficacité de ce type d’intervention pour résoudre une situation de harcèlement, pourtant louable dans son intention, est loin d’être évidente.

L’école de Palo Alto prend, sur ce point, le contre-pied de l’Education nationale et préconise de développer des stratégies relationnelles pour aller chercher le harceleur sur le terrain de la popularité, popularité qu’il tente d’asseoir au détriment de celui qu’il harcèle. Arthur analyse ainsi la stratégie de son voisin de classe: "Il se disait que le monde était un jeu à somme nulle et que, pour qu’il soit positif pour les uns, il fallait qu’il soit négatif pour les autres".

Les adultes n’ignorent pourtant pas ce souci de la popularité, en ce qu’elle est aujourd’hui partagée par tous ceux –et pas seulement les collégiens– qui comptent avec anxiété le nombre de pouces levés en contrebas du dernier message qu’ils ont posté sur les réseaux sociaux. Or que pèse, pour le harceleur, la culpabilisation que tente sur lui l’adulte au regard de son désir d’être populaire?

Alors briser la loi du silence, oui. Mais n’est-ce pas à l’élève harcelé de tenter de le faire en s’adressant de façon adéquate à ceux qui le harcèlent? Et ne s’agit-il pas de lui fournir les moyens de le faire efficacement, plutôt que de se substituer à lui? C’est en tout cas ce que préconise l’école de Palo Alto. Serait-ce donc la solution? Et si oui, serait-ce la seule? Ne faut-il pas plutôt sélectionner un protocole particulier pour s’adapter à une situation particulière? La question mérite d’être posée.

Les salons du livre sont l’occasion d’échanger avec des personnes d’expériences très diverses. Celui qui s’est tenu dimanche dernier au Nebourg (Normandie) m’a permis d’écouter une élève chargée d’intervenir, pour des cas de harcèlement, auprès de ses camarades dans son collège situé dans l’Eure, à Beaumont-Le-Roger. Elle m’a expliqué qu’il ne s’agissait aucunement de leur imposer quoi que ce soit, mais de les aider à penser le problème par eux-mêmes et éventuellement y apporter leurs propres solutions.

Surprenante maturité de la part de cette élève, qui m’expose posément le protocole qui a été mis en place, et dont elle m’assure que la démarche est couronnée de succès. Voilà donc un "cas d’école" pour nous rappeler à la nécessité d’être à l’écoute du terrain. La question de l’efficacité de la lutte contre ce fléau qu’est le harcèlement scolaire nécessite en effet plus que jamais que nous mobilisions notre intelligence tout en étant pragmatiques.

Cette tribune a été écrite par Serge Farnel, professeur de sciences physiques au collège et auteur de La malicieuse revanche d’un souffre-douleur (Ed. Fayard/Mazarine)

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