L'Albanie veut déraciner le cannabis de ses montagnes

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 11 octobre 2016 - 14:26
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Des plants de cannabis.
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©Manuel/Flickr
Pour un paysan albanais, deux kilogrammes de cannabis se vendent au prix d'une tonne de blé.
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Plaque tournante du trafic de stupéfiants en Europe et dotée de conditions idéales pour la culture du cannabis, l'Albanie s'est lancée dans une guerre contre la drogue, avec la difficile recherche et destruction des plans. Un coup dur pour les paysans qui cultivent le cannabis pour quelques dizaines d'euros par jour.

"Je ne fais que survivre". Dans les montagnes de Krujë, Ilir est un de ces paysans pauvres qui font de l'Albanie le premier producteur européen de cannabis et sont la cible d'une campagne policière.

Pays de transit de la cocaïne sud-américaine et de l'héroïne afghane, la nation des Aigles dispose des conditions climatiques et géographiques idéales pour le cannabis. Ses montagnes sont des citadelles difficiles à prendre pour les forces de l'ordre; ses côtes sont à moins de 100 kilomètres de l'Italie et du marché européen. Si le trafic est maîtrisé par des réseaux criminels, des agriculteurs subsistent grâce à ce qu'un diplomate occidental décrit comme "une culture du désespoir".

Le calcul est rapide pour Ilir, 50 ans: deux kilogrammes de cannabis se vendent au prix d'une tonne de blé, soit quelque 600 euros. Il a planté ses premiers plants il y a un an, en bord de ruisseau, sur une parcelle rocailleuse derrière sa maison, difficile à repérer depuis les hélicoptères de la Guarda di Finanza italienne qui aide la police albanaise.

"Je ne commets pas un crime, c’est le désespoir qui me fait planter du cannabis ", dit à l'AFP cet homme que la crise a forcé à quitter la Grèce où il avait émigré. Sous pression de la communauté internationale, inquiète du poids du narco-trafic dans l'économie de ce candidat à l'Union européenne, les autorités albanaises veulent décourager les paysans grâce à des destructions massives et des saisies.

"Depuis janvier, la police a effectué plus de 1.252 opérations" et "détruit plus de 2,3 millions de plants de cannabis", résume le directeur général de la Sécurité publique, Altin Qato. Près de 250 personnes ont été arrêtées, une centaine sont recherchées. Quelque 8.900 policiers sont mobilisés, plus de neuf tonnes de cannabis ont été saisies.

Face à cette offensive, les cultivateurs se retirent sur des terrains "très difficiles d'accès", explique Altin Qato. Et plantent une variété transgénique néerlandaise: le rendement est aléatoire, mais le cycle de floraison a l'avantage d'être court, moins de deux mois avant la récolte.

Une fois les parcelles repérées, les policiers marchent des heures dans des terrains escarpés. En s'aidant d'indices enfouis dans la végétation épineuse: les pompes en bas de montagne et les tuyaux d'irrigation qui serpentent, les mèneront aux plants.

Près de Krujë, depuis un champ sur la montagne d'Onur, leur progression a été repérée: une bouteille d'eau entamée, du pain et du fromage témoignent d'un départ précipité. Ce terrain "n'appartient à personne sur le papier", explique, sous couvert d'anonymat, le commandant d'escouade de dix policiers qui vont arracher et brûler 250 pieds. L'enquête devra déterminer "qui est derrière", dit-il.

"On vend la récolte à celui qui en veut et ça ne manque pas", explique le père d'Ilir, Xhafer, 82 ans. Il prévoit sa prochaine récolte dans deux semaines si la police n'intervient pas.  Les profits des trafiquants sont incomparables avec les 2.000 à 5.000 leks quotidiens (15 à 35 euros environ) que touchera un cultivateur. Vendu 200 à 300 euros en Albanie, le kilo sera écoulé dix fois cette somme en Grèce ou en Italie.

En 2014, la police avait pris le contrôle de Lazarat (sud), "le royaume du cannabis". Selon un rapport italien, chaque année y étaient produites 900 tonnes de cannabis, avec une valeur marchande à l'époque de quelque 4,5 milliards d'euros, le tiers du produit intérieur brut (PIB) albanais.

Une drogue écoulée surtout vers l'Italie, avec la participation de la Sacra Corona Unita, la criminalité organisée de la région des Pouilles, qui fait face à l'Albanie. L'ampleur du trafic nécessite des soutiens. Actuellement, une vingtaine de policiers sont inculpés et les responsables politiques s'accusent mutuellement d'avoir partie liée avec les trafiquants.

Pour la droite, le gouvernement socialiste a fait de l'Albanie la "Colombie de l'Europe". Le Premier ministre Edi Rama rétorque que lorsque la droite était aux affaires, elle ne s'était jamais attaquée à Lazarat.

L'ambassadeur américain, Donald Lu, a récemment renvoyé tout le monde dos à dos, évoquant ces "politiciens qui ont bénéficié de leurs liens avec les trafiquants" ou ceux "condamnés pour trafic de stupéfiants" par tel ou tel tribunal en Europe.

"Nous sommes déterminés à rayer l'Albanie de la carte du trafic de drogue vers l'Europe", affirme à l'AFP le ministre adjoint de l'Intérieur, Stefan Cipa. Dans leur rapport annuel en juin, les services antidrogue italiens se sont félicités d'une baisse des saisies chez eux, y décelant notamment "un changement de pas flatteur de la police albanaise".

 

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