Le statut de l'animal, une jurisprudence qui reste à écrire

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Lalia Andasmas, édité par la rédaction.
Publié le 20 septembre 2017 - 19:27
Selon l'article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime, l'animal est un être sensible.
Depuis le 28 janvier 2015, l’animal est reconnu dans le code civil (nouvel article 515-14) comme un "être vivant doué de sensibilité" et n’est donc plus considéré comme un bien meuble. Pour "FranceSoir", Lalia Andasmas, juriste spécialisée dans le droit animalier, s'est penchée sur l'évolution de leur statut et sur les défis qu'il reste à relever.

L'incohérence de la législation sur le statut des animaux était importante. Selon l'article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime, l'animal est un être sensible alors que le code civil l’assimilait à un bien. Cette incohérence a été dénoncée notamment par le Manifeste des vingt-quatre intellectuels[1] pour un nouveau statut juridique de l'animal du 24 octobre 2013. Une action initiée par la Fondation 30 Millions d'amis[2] dont le souhait était de réclamer le retrait de l'animal du droit des biens et la création d'une catégorie spécifique pour l'animal entre les personnes et les biens. De plus, les vidéos de l'organisation non gouvernementale L.214 ne pouvaient plus laisser s'installer l'indifférence. Le législateur a donc dû s'interroger sur le statut juridique de l'animal.

Le changement est intervenu par le biais de l'article 515-14 du code civil. Il est issu d'un amendement adopté dans le cadre du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Baptisé Glavany, ce dernier a été soutenu par le gouvernement et a été adopté par l'Assemblée nationale le 15 avril 2014 en première lecture, le 30 octobre 2014 en deuxième lecture (après l'échec d'une commission mixte paritaire) et en dernière lecture le 28 janvier 2015. Le Conseil constitutionnel a ensuite reconnu la conformité de cette loi dans sa décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015.

Par conséquent, depuis la loi du 16 févier 2015, "les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens[3]". Le professeur Jean-Pierre Marguénaud  précise que la première phrase est issue du rapport Antoine[4] et la seconde des propositions Périnet-Marquet[5].

Ainsi, selon le professeur Jean-Pierre Marguénaud, l'expression "les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité" est une définition positive empruntée au rapport de Mme Antoine qui l'avait choisie pour mieux marquer que, sur le plan de la hiérarchie des valeurs, c'est "incontestablement la valeur intrinsèque +de l'animal+ qui doit l'emporter sur sa valeur purement patrimoniale[6]". Ont également été modifiés certains articles du code civil[7] afin de les rendre compatibles avec le nouveau statut des animaux.

Cette avancée juridique est importante, même si pour certains celle-ci est purement symbolique. D'autant que tous les animaux ne sont pas pris en compte, ce qui est le cas des animaux sauvages. Néanmoins, il convient de remarquer que depuis ce changement, les animaux ne sont plus des biens même si l'article 515-14 est placé dans la partie du code civil consacrée aux biens (Livre deuxième "Des biens et des différentes modifications de la propriété") mais avant le Titre premier "De la distinction des biens".

Ainsi cet article 515-14 "occupe une place originale et perturbatrice[8]". Toutefois, l'idée révolutionnaire réside dans le fait que "les animaux ne sont plus des biens, ils sont seulement soumis au régime des biens[9]".

Néanmoins le Professeur Jean-Pierre Marguénaud reconnaît qu'"ils en relèvent toujours, en effet, mais ce n'est plus que par le jeu d'une fiction juridique; ils lui sont encore soumis, certes, mais par défaut et non par principe; ils en dépendent toujours, bien entendu, mais c'est seulement à titre subsidiaire puisque dans la mesure où les lois qui les protègent leur sont applicables, ils ne sont même plus soumis au régime des biens".

L'effectivité de ce changement de statut va dépendre notamment du travail des associations de protections des animaux et de leur prise en compte par le juge[10]. Ainsi, tout est à écrire[11] d'autant que des limites et des solutions existent[12]. Par conséquent, certains actes militants considérés illégaux aujourd'hui ne le seront plus dans un avenir proche.


[1] Manifeste des 24 intellectuels pour un nouveau statut juridique de l'animal à l'initiative de la Fondation 30 Millions d'amis. Il a été suivi d'une pétition ayant reçu 775 000 signatures.

[2] Cf. Jean-Pierre Marguénaud, L'entrée en vigueur de "l'amendement Glavany": un grand pas de plus vers la personnalité juridique des animaux. Revue Semestrielle de Droit Animalier 2-2014 p.15 http://www.unilim.fr/omij/files/2015/04/RSDA-2-2014.pdf

[3] Article 515-14 du code civil.

[4] Madame Suzanne Antoine "Rapport sur le régime juridique de l'animal" remis au garde des Sceaux le 10 mai 2005.

[5]Sous la direction de Hugues Périnet-Marquet, Proposition de l'Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, Litec, coll. "Carré droit", 2009

[6] Jean-Pierre Marguénaud, Article 515-14. Fasc. unique: Biens. Les animaux, êtres vivants doués de sensibilité. n°10, 15 février 2016.

[7] Il en va ainsi des articles 522, 524, 528, 533 et 564 du code civil.

[8] Jean-Pierre Marguénaud, Article 515-14. Fasc. unique: Biens. Les animaux, êtres vivants doués de sensibilité. n°7, 15 février 2016.

[9]Jean-Pierre Marguénaud, Article 515-14. Fasc. unique: Biens. Les animaux, êtres vivants doués de sensibilité. n° 14, 15 février 2016.

[10]Suzanne Antoine, Le nouvel article 515-14 du code civil peut-il contribuer à améliorer la condition animale ? Droit rural n°453, Mai 2017, étude 19,  n° 18.

[11] Une décision de la Cour de cassation est à retenir: C. Cass 1er chambre civile, 9 décembre 2015, n° 14-25.910: "Un animal de compagnie ne peut pas être remplacé par un autre animal, il s'agit d'un "être vivant, unique et irremplaçable". Revue Semestrielle de Droit Animalier  2-2015  p.216 http://www.unilim.fr/omij/files/2016/11/RSDA_2_2015.pdf

[12] Lucille Boisseau-Sowinski, Les limites à l'évolution de la considération juridique de l'animal: la difficile conciliation des intérêts de l'homme et de ceux des animaux. Tracés. Revue de Sciences humaines. Hors- série 2015 p.199 et s.

 

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