Matchs truqués et paris illégaux : un début de réponse européenne
"Si nous ne veillons pas à protéger l’intégrité du sport, c’est son essence même qui sera détruite". C’est ainsi que l’ancienne Commissaire européenne àl’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse, Androulla Vassiliou,a décrit l’enjeu de la lutte contre la corruption dans le milieu du sport à l’occasion du Forum européen du sport en 2012. Emine Bozkurt, eurodéputé S&D (gauche européenne) et auteur d’une étude sur les matchs truqués et la corruption dans le domaine du sport, renchérit et précise "les matchs truqués peuvent sembler un problème mineur, mais ce n’est pas le cas en Europe […] Il s’agit d’une forme de criminalité difficile à repérer, avec des recettes élevées et des sanctions excessivement faibles".
Si le dopage ou la violence dans les stades sont des préoccupations plutôt anciennes dans le domaine du sport, la manipulation des résultats sportifs liée aux paris illégaux a pris une dimension de premier plan plus récemment suite aux nombreux scandales de matchs truqués relayés par les instances sportives et la presse depuis quelques années. Il y a peu, c’est le monde du tennis qui a été pointé du doigt suite aux révélations par la BBC et Buzzfeed de soupçons de trucage de matchs en lien avec des groupes de parieurs pesant sur plus de 70 joueurs de tennis, dont certains classés dans le top 50.
Mais ce qui a permis de faire des manipulations sportives un sujet majeur dans le sport européen, c’est la découverte puis le démantèlementen février 2013 par l’Office européen de police, Europol, d’un réseau criminel basé à Singapour,soupçonné d’avoir truqué puis pariés illégalement sur 680 matchs,et notamment des rencontres de Ligue de champion et de phases qualificatives de la Coupe du monde. Le directeur d’Europol, Rob Wainwright, constate ainsi que "l’enquête met en lumière un gros problème d’intégrité dans le football européen".
En pratique, il s’agit pour les auteurs de manipuler une rencontre sportive en corrompant certains de ses acteurs puis de parier, souvent avec de l’argent provenant d’activités criminelles, sur l’issue de la rencontre en question tout en connaissant d’avance le résultat. Le réseau peut alors engranger les gains tout en blanchissant l’argent issu de ses autres activités.
La disparité entre les législations des pays membres de l’Union européenne s’agissant de la lutte contre les matchs truqués et les paris illégaux ainsi que le caractère transfrontalier inhérent aux paris en ligne facilitent grandement les activités de corruption. A cet égard, l’Union européenne a un véritable rôle à jouer en termes d’harmonisation des législations et d’échanges entre les pays membres pour favoriser les meilleures pratiques pour lutter contre le trucage des matchs et les paris sportifs illégaux.
C’est pourquoi, dès 2007, la Commission européenne identifie clairement la corruption et le blanchiment d’argent comme un des principaux enjeux dans le domaine du sport. Par la suite, le sujet sera abordé de nombreuses fois que ce soit par la Commission, le Parlement européen ou le Conseil de l’Union européenne. Ce n’est toutefois qu’en 2014 qu’une action concrète voit le jour puisque l’éradication du trucage des matchs figure désormais parmi les objectifs du volet sport du programme Erasmus+,qui comprend une enveloppe de près de 266 millions d’euros pour la période 2014-2020. Cela permet aux actions de terrain et aux projets transfrontaliers de lutte contre le trucage des matchs de se voir financer directement par l’Union européenne.
Outre le financement de projets, l’Union européenne permet la mise en place de plateformes de coopération où tous les acteurs, tels les autorités judiciaires et policières, les opérateurs de jeux d’argent ou encore les organisateurs de compétitions sportives, échangent entre eux. L’Union européenne travaille notamment en relation avec le Comité International Olympique (CIO) et a participé aux négociations au Conseil de l’Europe pour rédiger la Convention internationale sur la lutte contre la manipulation des compétitions sportives du 18 septembre 2014. Cette Convention est à ce jour signée par 24 pays dont 13 membres de l’Union européenne.
L’Union des associations européennes de football (UEFA) a également signé un accord de coopération en mai 2014 avec Europol pour la lutte contre le trucage des matchs, puis, en octobre,un accord de coopération plus global avec la Commission européenne. L’ancien président de l’UEFA, Michel Platini, a déclaré sur ce sujet qu’"en travaillant (avec la Commission), nous veillerons à ce que le football relève les nombreux défis auxquels il est confronté, notamment la discrimination, le trucage des matchs, la propriété de joueurs par des tiers ou la violence".
De nombreux efforts restent néanmoins à produire sur le plan de l’harmonisation des législations nationales dans l’Union européenne qui demeurent très disparates. A titre d’exemple, l’interdiction pour les sportifs de parier sur leur sport n’existe pas dans tous les pays de l’Union européenne. Pour tenter de remédier à ce problème, la Commission européenne travaille depuis 2012 à l’élaboration d’une recommandation sur les bonnes pratiques en matière de prévention et de lutte contre les matchs truqués liés à des paris. Reste à voir ce que cette éventuelle recommandation contiendra, et dans quelle mesure les Etats membres la suivront.
(Avec la contribution de la Maison de l’Europe de Paris)
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