Parquet national antiterroriste : un effet d'annonce et des effets pervers ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 31 octobre 2018 - 11:36
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Justice.
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© LOIC VENANCE / AFP/Archives
Le projet de parquent national antiterroriste suscite plusieurs critiques.
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La réforme de la justice actuellement discutée au Parlement prévoit notamment la création d'un parquet spécialement destiné à la question terroriste. Si l'idée semble répondre à une réalité vécue depuis 2015, elle génère plusieurs critiques sur son utilité ou même ses effets pervers, analyse pour France-Soir Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

Le terrorisme islamiste a durement touché notre pays ces dernières années. Actuellement en matière de lutte antiterroriste, c’est le parquet de Paris qui est compétent au niveau national pour tous les dossiers terroristes.

Nous avons tous en tête les conférences de presse du Procureur François Molins, lequel vient d’être promu à la Cour de Cassation, qui donnait des informations précises et glaçantes sur le déroulement des sinistres attaques terroristes.

Au sein du parquet de Paris 14 magistrats spécialisés sont affectés à cette mission, soit 10% environ des effectifs du parquet.

Le gouvernement souhaite créer un parquet national spécialisé, sur le modèle du parquet national financier (PNF), qui fut mis en place en 2013 après le scandale des comptes cachés de l'ex-ministre Jérôme Cahuzac.

Dans un premier temps écarté du projet de réforme de la justice présenté au printemps, le parquet national anti-terroriste (PNAT) a fait un retour surprise dans le projet de loi qui est examiné au Parlement cet automne.

Le Premier ministre Édouard Philippe estime "désormais nécessaire de permettre à un procureur de se consacrer à temps plein à la lutte antiterroriste". "Avec la création d'un PNAT, le parquet de Paris se verrait dégagé de ce contentieux lourd et spécifique. (...) Il ne s'agit nullement de créer une juridiction d'exception mais (...) de renforcer l'action publique en matière terroriste face à une menace plus diffuse, moins lisible mais plus présente", assurait de son côté Nicole Belloubet en décembre dernier.

Le gouvernement souhaite, "scinder en deux" le parquet de Paris, avec un procureur de la République de Paris et un procureur antiterroriste. Ce dernier aurait également une compétence pour traiter les crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre, des infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive et aux infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Sa création s'accompagnerait par ailleurs de la désignation de procureurs délégués antiterroristes au sein des parquets territoriaux les plus exposés, a précisé le Premier ministre. L'idée étant de mieux surveiller les profils de délinquants pouvant tomber dans les affaires de terrorisme avec un "véritable maillage territorial antiterroriste".

Voir: L'exécutif veut un parquet national antiterroriste aux larges compétences

Ce parquet national anti-terroriste suscite des réserves.

D’une part du conseil d’Etat, qui dans son avis rendu le 12 avril 2018 au sujet de la réforme de la justice, disait craindre un "risque d'isolement des magistrats affectés à ce parquet, avec l'inconvénient de perdre la perception des liens entre la petite délinquance et le terrorisme, en particulier dans les parcours de radicalisation". Cet avis soulignait également une "rigidité inutile pour adapter les effectifs de magistrats affectés à la lutte antiterroriste aux variations de l'activité terroriste", même s'il reconnaît que la spécialisation des fonctions de ce parquet n'était pas "dépourvue de pertinence".

Les magistrats sont eux-mêmes assez peu favorables. Les principaux syndicats ont exprimé leur opposition à ce projet. "Le système actuel fonctionne bien. Il n'y a aucune raison valable de le remettre en cause", selon Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats. Le syndicat de la magistrature, dans un communiqué, craint que "l'autonomisation du PNAT" ne conduise à "déconnecter le parquet antiterroriste de la seule juridiction avec laquelle il entretient véritablement des relations (le parquet de Paris)". Le syndicat prend appui sur "l'avis réservé du Conseil d'État", et suggère qu’il s’agisse en fait "d’une mesure dans laquelle la recherche de l'effet d'annonce (prenne) le pas sur le fond et l'effet concret de la mesure".

Sur le plan parlementaire, le Senat a rejeté le 11 octobre dernier la proposition du gouvernement visant à mettre en place ce nouveau parquet antiterroriste, et a émis de sérieux doutes quant à son utilité. "En vous entendant, je ne comprends toujours pas en quoi un parquet national avec le procureur de Paris n’est pas satisfaisant. Vous ne l’avez pas démontré" a estimé le sénateur socialiste Jacques Bigot. Certains élus ont repris l'argument du conseil d'Etat voulant que la création d’un parquet antiterroriste aurait le désavantage de créer "un isolement" des juges affectés à ce parquet. "Avec l’inconvénient de perdre la perception des liens entre la petite délinquance et le terrorisme, en particulier dans les parcours de radicalisation" a expliqué François-Noël Buffet. A l’unisson de ces critiques le sénateur Républicain Philippe Bas, par ailleurs président de la commission des lois du Sénat s’interroge "Le procureur de la République de Paris et les membres du parquet de Paris ont-ils failli dans leurs missions ? La réponse est non".

Même s’il y a un une union sacrée sur l’objectif de lutte contre le terrorisme, la réponse judiciaire la plus efficace peut faire débat, comme on le voit au sujet de ce projet de PNAT.

Laissons le dernier mot à François René de Chateaubriand: "Je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste" (Mémoires d’outre-tombe).

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