Louer des places de prison à l’étranger : plus de problèmes que de solutions ?


Confrontée à une surpopulation carcérale record, la France envisage de s’inspirer de ses voisins européens pour régler le problème. Lors de son interview sur TF1 mardi soir, le président Emmanuel Macron s’est dit favorable à la location de places de prison à l’étranger, confirmant une idée évoquée par son ministre de la Justice, Gérald Darmanin, plusieurs semaines auparavant. Le projet, dont les contours – et bien plus encore – restent à définir, suscite la réaction de syndicats, pour qui l’exécutif ne fait que “déshabiller Pierre pour habiller Paul”.
Fin avril, Gérald Darmanin a multiplié les propositions pour répondre à la crise de la surpopulation carcérale. La France figure parmi les mauvais élèves en Europe en termes de surpopulation carcérale, en troisième position derrière Chypre et la Roumanie, selon une étude publiée en juin 2024 par le Conseil de l'Europe. Au 1ᵉʳ avril, le nombre de détenus dans les prisons françaises était de 82.921 pour 62.358 places opérationnelles, un niveau inégalé.
Un “projet bancal”
Le garde des Sceaux a d’abord proposé de faire payer aux détenus une contribution financière pour leur incarcération, revenant ainsi à une pratique abandonnée en 2003. Cette mesure est justifiée par le coût très élevé du fonctionnement des prisons, qui coûte “10 millions d’euros par jour, quasiment quatre milliards d’euros par an".
Mardi dernier, interviewé sur TF1, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de “louer des places de prison à l’étranger”, c’est-à-dire de transférer des détenus français dans des établissements pénitentiaires d’autres pays européens, “si besoin”, pour désengorger les prisons françaises. "Oui, on louera, si besoin était, les places de prison là où elles sont disponibles", a-t-il affirmé. "Il n'y a pas de tabou” sur cette possibilité, jugée "pragmatique" et qui pourrait, selon lui, "régler le problème de la surpopulation carcérale".
Cette solution n’est pas méconnue en Europe. Le Danemark et le Kosovo ont conclu un accord pour que Copenhague loue 300 places dans l'une des prisons de Pristina pour une durée de 10 ans et un montant de 200 millions d'euros. Bruxelles souhaite de son côté reconduire un accord qui a existé de 2010 à 2016 avec les Pays-Bas et qui a coûté 300 millions d'euros.
Depuis la déclaration du président français, plusieurs autres détails -et autant de questions- ont émergé. Ce transfert de détenus concernerait principalement une partie des étrangers, qui représentent environ 20 000 individus. Mais ce sont surtout les interrogations qui fusent. Le droit applicable dans ces prisons, les personnels pénitentiaires, la question de la langue et surtout, le coût, entre les frais de location, le transfert des prisonniers entre les frais de location et les coûts d'acheminement des prisonniers… autant de questions suscitent de vives réactions.
Pour Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le projet “est totalement bancal”. “Ce n'est pas la marque d'un grand pays que d'envoyer ses détenus ailleurs que sur son territoire national. C'est comme si l'on effectuait une impossible délégation du pouvoir régalien français", fait-elle remarquer. "Les Belges en sont revenus, ça s'est très mal passé, notamment au regard de l'impossible maintien du lien entre les détenus et leurs proches", rappelle-t-elle aussi.
Une proposition “politique”
Estelle Carraud, secrétaire générale du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), soulève les mêmes questions. "Qui sera concerné ? Où enverra-t-on les détenus et avec quel argent ? Quelle langue parleront les surveillants, les encadrants et les agents ?"
Des questions qui resteront “inévitablement sans réponse” de son avis. "On va droit dans le mur et les politiques sous-estiment la responsabilité de leur parole (...) Ce projet fou ne répond pas à la réalité du terrain, mais à des perspectives plus politiques”, accuse-t-elle.
La proposition de transférer des détenus vers d’autres pays européens fait débat au moment où le rapport d’une commission d’urgence commandée par l’ex-ministre de la Justice, Didier Migaud, en novembre dernier, recommande tout autre chose.
Ses auteurs s’inspirent de la mesure prise lors de la pandémie en 2020, à savoir une "réduction de peine exceptionnelle" qui avait permis de repasser pour la première fois en 20 ans sous la barre des 100 % d'occupation dans les prisons.
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