Les Docteurs des Puissants : Le Dr Claude Gubler et les secrets de François Mitterrand

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Le Collectif Citoyen, France-Soir
Publié le 09 juin 2025 - 17:00
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Les Docteurs des Puissants - Dr Gubler & François Mitterand
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France-Soir, IA, DR, AFP
Les Docteurs des Puissants : Le Dr Claude Gubler et les secrets de François Mitterrand
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En 2023, France-Soir cherchant des informations sur l’état de santé du président Macron, s’est lancé à la recherche du Dr Jean-Christophe Perrochon, mystérieux médecin de l’Élysée, dont le rôle discret auprès des présidents français intrigue. Aurait-il assisté le président Macron à ne pas remplir ses promesses de campagne, d’être transparent et de fournir ses bulletins de santé ? Cette investigation nous a inspiré une série inédite, "Les Docteurs des Puissants", où nous explorons les relations intimes et souvent controversées entre les médecins et les dirigeants qui ont façonné l’histoire. Que font-ils pour soigner ces figures ? Que murmurent-ils à leur oreille dans le secret des consultations ? Après le Dr Theodor Morell et Adolf Hitler, ce second chapitre explore le lien entre le Dr Claude Gubler et François Mitterrand, et la dynamique complexe qui a marqué un secret d’État, soulevant une question : la santé du président est-elle d’intérêt national ?

 
Dr Claude Gubler, le gardien du secret de Mitterrand

François Mitterrand, président de la France de 1981 à 1995, projetait l’image d’un leader cultivé et tenace, mais sa santé fut marquée par des fragilités. Jeune, mobilisé en 1939, il est blessé par des éclats d’obus en 1940, subissant des lésions légères à la jambe et à la poitrine. Prisonnier de guerre en Allemagne jusqu’à son évasion en 1941, il endure malnutrition et fatigue, sans séquelles majeures. Dans les années 1970, des biographes comme Pierre Péan notent des douleurs dorsales occasionnelles et une fatigue liée à ses campagnes électorales, mais sans maladie confirmée. 

En novembre 1981, quelques mois après son investiture, un cancer de la prostate est diagnostiqué, une tumeur potentiellement mortelle. Il souffrait aussi de douleurs lombaires et articulaires, liées à la maladie, et de fatigue croissante, exacerbée par les exigences de l’Élysée : longues journées, voyages, crises politiques. Après 1992, des métastases osseuses intensifiaient la douleur, l’amaigrissement et un déclin visible. Mitterrand ne buvait pas excessivement, se limitant à du vin modéré dans un cadre social, et aucune trace d’un usage de drogues illicites n’existe.

Le Dr Claude Gubler entre en scène en 1981, devenant le médecin personnel de Mitterrand. Gubler, généraliste et médecin militaire, avait servi comme officier dans l’armée française avant sa nomination. Selon son récit dans Le Grand Secret (1996), il était désigné spécifiquement pour suivre Mitterrand, une mission distincte du service médical de l’Élysée, qui soignait le personnel et les occupants du palais. Gubler, basé à l’Élysée, mais attaché au président, l’accompagnait en déplacements, supervisant son état jusqu’en 1995. 

Le médecin de l’Élysée, un rôle institutionnel souvent anonyme, collaborait avec Gubler pour produire des bulletins de santé semestriels, affirmant jusqu’en 1992, une bonne santé générale, malgré un cancer actif, un silence concerté pour protéger l’image du président.

 
Les traitements administrés à Mitterand

François Mitterrand recevait des traitements qui comprennent : 

  • Hormonothérapie : dès 1981, Gubler prescrit des analogues de la LHRH (ex. leuproréline), injectés régulièrement, pour bloquer la testostérone et ralentir le cancer.
  • Chimiothérapie : après 1992, face aux métastases osseuses, Gubler et des spécialistes administrent des agents comme le mitoxantrone, en cycles discrets, souvent au Val-de-Grâce, pour freiner la progression et apaiser la douleur.
  • Analgésiques : pour les douleurs lombaires et osseuses, Mitterrand recevait paracétamol, anti-inflammatoires, et, dans les phases avancées, des opioïdes légers comme la codéine ou le tramadol.
  • Bilans réguliers : Gubler organisait des examens sanguins (PSA pour le cancer) et des scanners, souvent à l’hôpital militaire, pour suivre l’évolution.
  • Soutien général : vitamines et compléments combattaient la fatigue, sans trace d’alcool excessif ou de drogues hors prescription.

À l’oreille de Mitterrand, selon Le Grand Secret, Gubler adoptait un ton rassurant, l’encourageant à poursuivre son mandat malgré la maladie, soulignant sa capacité à gouverner. Des proches, cités dans le livre et des biographies, rapportent que Gubler insistait sur le repos, alertant sur les dangers du surmenage face aux horaires intenses. Il collaborait avec le président et le service médical de l’Élysée pour minimiser la gravité dans les bulletins, une stratégie pour maintenir la confiance publique.

L’hormonothérapie stabilisait initialement la tumeur, soutenant un premier mandat actif – réformes, sommets du G7. Mais la fatigue, les bouffées de chaleur et la faiblesse s’amplifiaient. Après 1992, la chimiothérapie et les métastases alourdissaient son état : douleurs constantes, amaigrissement, énergie déclinante, rendant les apparitions laborieuses. Sa détermination tenait, marquant la cohabitation et le traité de Maastricht. 

Le cancer l’emporte en janvier 1996, huit mois après son départ.

Ces produits sont-ils encore utilisés ? L’hormonothérapie (ex. leuproréline) reste standard pour le cancer de la prostate. Le mitoxantrone est moins utilisé, supplanté par le docétaxel ou le cabazitaxel, mieux tolérés. Les analgésiques (paracétamol, codéine) persistent, sous contrôle pour éviter l’abus. Les bilans PSA et scanners sont courants, avec une imagerie plus avancée en 2025.

 

Le rôle du secret, équilibre délicat entre santé et vie privée

Le secret fut au cœur de la relation entre Gubler et Mitterrand. Le cancer, diagnostiqué en 1981, fut caché pendant plus d’une décennie, les bulletins de santé, co-rédigés par Gubler et le médecin de l’Élysée, proclamant une condition robuste. Ce silence, décidé avec l’entourage, visait à préserver l’autorité du président. Parallèlement, un autre secret marquait sa vie : l’existence de sa fille, Mazarine Mitterand-Pingeot, née en 1974 de sa relation avec Anne Pingeot.

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Mazarine Pingeot Par Marie-Lan Nguyen — Travail personnel, CC BY-SA 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15467725

Gardée hors des regards jusqu’à sa révélation par Paris Match en 1994, Mazarine était protégée par un cercle restreint, l’Élysée finançant discrètement son éducation et son logement. Selon des biographes comme Pierre Péan (Une jeunesse française, 1994), ce secret pesait sur Mitterrand, homme discret, mais attaché à sa famille parallèle. Aucune source, y compris Le Grand Secret, ne confirme que Mitterrand en discutait avec Gubler. Le médecin, focalisé sur la santé, n’aborde pas Mazarine dans ses écrits, suggérant une séparation entre vie médicale et privée.

 

Un Impact sur la Psyché de Mitterrand ?

Garder ces secrets – le cancer et Mazarine – a pu influencer la psyché de Mitterrand. 

Des biographes, comme Philipp Short (François Mitterrand : Portrait d’un ambigu), décrivent un homme « aux talents et aux défauts exceptionnels », habitué à cloisonner sa vie, jonglant entre devoirs publics et sphères intimes. Le stress du cancer, combiné à la charge de cacher une fille illégitime dans un pays scrutant ses leaders, a sans doute amplifié la tension, la fatigue et l’isolement. Des proches notent une détermination farouche, mais aussi des moments de lassitude, surtout après 1992, face à la maladie et aux pressions. 

Bien que Gubler ne lie pas explicitement Mazarine à la santé, le fardeau psychologique global, relevé par des observateurs, a pu accentuer les effets physiques de son état.

 

Le destin de Gubler et la radiation

Après la fin du mandat en mai 1995, Claude Gubler publie Le Grand Secret en janvier 1996, coécrit avec le journaliste Michel Gonod, révélant le cancer peu de temps après sa prise de pouvoir 1981 et la dissimulation via des bulletins falsifiés

Sorti huit jours après la mort de Mitterrand le 8 janvier 1996, le livre déclenche un scandale. La famille, notamment Danielle Mitterrand, et l’État dénoncent une violation du secret médical, protégé par le Code de déontologie et le Code pénal français. En 1996, la justice ordonne le retrait de l’ouvrage, une mesure rare, estimant que le livre constitue « une intrusion particulièrement grave dans l'intimité de la vie privée et familiale » du président. Gubler sera condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violation du secret médical. 

L’Ordre des médecins, saisie, le radie en 1997, sanction suprême, pour manquement éthique : divulguer la santé d’un patient, même ex-président, brisait la confidentialité, ainsi que pour avoir délivré des certificats médicaux de complaisance et avoir porté atteinte à l'honneur de la profession. Gubler, défendant son acte dans des interviews, argue qu’il informait le public d’un fait historique

 
La santé de Mitterrand, information d’intérêt national ?

La santé de Mitterrand soulève un débat brûlant. Pour ses défenseurs, dont des conseillers cités dans des articles (Le Monde, 1996), taire le cancer était d’intérêt national : révéler une maladie grave dès 1981 risquait d’affaiblir la présidence, de déstabiliser la France lors de réformes (nationalisations, abolition de la peine de mort) ou de crises (guerre du Golfe, Maastricht).

Mitterrand, lucide, gouvernait efficacement, disent-ils. Les critiques, relayés par la presse et des politiques, soutiennent que la transparence était un droit démocratique : les électeurs, en 1988, ignoraient la gravité, influençant leur vote. La dissimulation, orchestrée par Gubler et le médecin de l’Élysée, a-t-elle protégé la nation ou trahi la confiance ? 

En 2004, la CEDH donnera raison aux éditions Plon estimant que l'interdiction du livre aurait dû être levée quelques mois après, ceci est contraire à liberté d'expression (article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme). 

CEDH

La Cour considérât que la capacité d'un président de la République ne relève pas du secret médical, mais concerne la vie de tout un peuple. En février 2005, le livre sera réédité aux éditions du Rocher.

Le Grand Secret

Ce cas a marqué l’histoire, poussant des appels à plus de clarté sur la santé des leaders. Cela mènera François Hollande à prendre l’engagement, qu’il ne tiendra pas, de publier un bulletin de santé tous les six mois. 

En 2017, Emmanuel Macron s'engagera aussi à rendre public des bulletins de santé sur « tout ce qui peut avoir de l'importance ». Il réitérera son engagement en 2022, en déclarant au Quotidien du Médecin « Je m’appliquerai le droit que je reconnais à chaque Français de bénéficier du secret médical. Toutefois, je rendrai publique sans exception et sans hésitation toute information susceptible d’avoir des conséquences quant à ma capacité à diriger le pays. C’est une évidence pour moi. » Engagements non tenus à ce jour avec un seul bulletin publié le 19 décembre 2020 lorsqu'il contracta la covid.

 

Un rôle au cœur du pouvoir

La relation entre Claude Gubler et François Mitterrand mêlait loyauté et secret. Gubler, médecin militaire devenu personnel, suivait Mitterrand de près, distinct du médecin de l’Élysée, qui couvrait le palais. Ce dernier, via les bulletins, relayait une santé “bonne”, masquant la vérité avec Gubler. Le secret du cancer, comme celui de Mazarine, révèle un homme sous pression. Soins ou silence d’État ? 

La radiation de Gubler souligne les limites éthiques, tandis que le débat sur l’intérêt national perdure. Gubler aura contribué à façonner l’image publique d’un leader, frôlant l’histoire de France tout en jouant avec l’information au public. 

La CEDH aura tranché : la capacité d'un président de la République ne relève pas du secret médical, mais "s'inscrit dans un débat d'intérêt général portant en particulier sur le droit des citoyens, d'ête le cas échéant informé des affections graves dont souffre le chef de l'Etat, et sur l'aptitude à la candidature à la magistrature suprême d'une personne qui se sait gravement malade.  Plus encore, le secret imposé – selon la thèse de l'ouvrage – dès l'apparition de la maladie, par le président Mitterrand, sur l'existence de son mal et sur son évolution, du moins jusqu'à la date où l'opinion publique fut informée (plus de dix ans après) pose la question d'intérêt public de la transparence de la vie politique."
 

https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-66318%22]}

 

Prochain volet : les volets américains, avec le Dr Max Jacobson, alias "Dr Feelgood", de Kennedy, et les médecins de Biden et Trump, le volet chinois avec le Dr Li Zhisui de Mao Zedong, les médecins-conseils des bureaucrates de l’Union européenne puis retour en France avec l’absence de bulletins de santé d’Emmanuel Macron malgré ses promesses de campagne – un silence en guise de transparence. D’autres articles sur les liens entre les médecins et les sportifs comme Richard Virenque « dropé à son insu » évoqueront les recherches de performances de certains sportifs. Combien d’hommes politiques pourraient dire comme Virenque ? Restez à l’écoute !

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