Ecologie : la disparition des abeilles "pourrait être dramatique"

Auteur(s)
Victor Lefebvre
Publié le 27 octobre 2014 - 18:12
Mis à jour le 19 mars 2015 - 18:07
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Des abeilles mortes dans les mains d'un apiculteur.
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"L’abeille est un modèle phare pour nous montrer ce qui se passe dans l’environnement", dit Yves Le Conte.
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Depuis plusieurs années, les abeilles sont victimes d’une mortalité anormale et préoccupante.Directeur de l’unité de recherche Abeille et environnement à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), Yves Le Conte ne fait pas dans le catastrophisme mais considère qu’un changement de système s’impose pour sauvegarder les abeilles.

Comment a-t-on pris conscience du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles?

En France nous avons une mortalité hivernale de 20 à 30% selon les années. Quand j’étais petit, j’avais des ruches et on me disait qu’au-delà de 5%, il fallait s’inquiéter. Puis c’est passé à 10%. On retrouve les colonies mortes avec des ruches vides ou quelques abeilles qui se battent en duel, comme aux Etats-Unis, mais chez eux la mortalité survient à la belle saison. Par contre il y a sur les cadres tout ce qu’il faut pour le développement des abeilles, du miel, du pollen… Donc elles ne sont pas mortes de faim et on ne comprend pas pourquoi.

 

A quel niveau d’alerte sommes-nous?

C’est une question difficile. Avec les abeilles, on montre qu’on est dans un système relativement fragile. Actuellement lorsque les apiculteurs ont des pertes, ils vont dépenser de l’énergie pour refaire des colonies. Pendant ce temps-là ils ne font plus de miel et ont donc moins de rentrées. Tant qu’il y a des apiculteurs, ils pourront refaire le cheptel. Si on n’avait plus ces apiculteurs-là, cela pourrait être dramatique, car avec 20 ou 30% de mortalité tous les ans, au bout de quelques années il ne resterait plus beaucoup d’abeilles en France.

 

Et si le métier devient plus difficile, on risque d’avoir de moins en moins d’apiculteurs…

Exactement. Il faut se demander où on en est dans ce système. L’abeille est un modèle phare pour nous montrer ce qui se passe dans l’environnement. Actuellement, elle est sujet à plein de stress lié aux maladies, au changement climatique et, plus important, liés aux pesticides. Elle en ramène à la ruche dans le pollen, le nectar, nourrit la colonie avec des produits contaminés. Les apiculteurs sont rentrés en guerre contre les pesticides. Ça nous a ouvert les yeux car on ne savait pas qu’on en retrouvait dans les matrices apicoles.

Tous ces stress se surajoutent. Maintenant, les abeilles doivent vivre avec cet environnement. Vont-elles pouvoir continuer comme ça longtemps? On ne le sait pas. Il ne faut pas être alarmiste en disant "l’année prochaine il n’y aura plus d’abeilles en France". Il y en a encore. Mais les paysages français sont de plus en plus utilisés pour une agriculture intensive qui exclut les pollinisateurs.

 

"Pour nourrir la planète, on a besoin de pesticides"

 

Y a-t-il une hiérarchie des causes?

Je pense que les deux premiers à accuser sont les pesticides et les maladies. Des éléments pathogènes ont été amenés par l’importation ou le commerce d’abeilles. Il y a forcément des interactions entre pathogènes ou entre pesticides et pathogènes. Si un pesticide fragilise l’état immunitaire d’une abeille, les virus présents vont se réveiller et la tuer. Donc on va conclure que c’est le pathogène qui est responsable mais initialement c’est le pesticide, et vice-versa.

 

Sur quels facteurs de mortalité peut-on agir?

On peut agir en soignant les abeilles contre les parasites et notamment le varroa destructor. A priori, les apiculteurs savent le faire. Il faut aussi réduire l’exposition de l’abeille aux pesticides. Ce n’est pas idiot puisque nous sommes également concernés. Si on dit qu’il faut que l’abeille soit moins exposée aux pesticides, cela veut implicitement dire que l’homme le sera d’autant moins.

 

Le monde agricole peut-il se dispenser des pesticides?

Ce n’est pas forcément mon domaine, mais ce qui est sûr c’est que pour nourrir la planète, on a besoin de pesticides. Faire une agriculture plus raisonnée en limitant l’utilisation de produits chimiques, on peut sûrement le faire. Mais il faut une volonté réelle de la part de tous.

 

Peut-on agir efficacement à l’échelle nationale?

Les pesticides utilisés dans les autres pays ne viennent pas comme ça par le vent chez nous, ou alors en quantité infime. On peut, en France, protéger nos espèces en mettant moins de pesticides ou en les utilisant de manière plus intelligente.

 

Les agriculteurs qui utilisent des pesticides sont-ils les plus dépendants des abeilles?

Cela dépend du type d’agriculture. En Avignon, nous avons beaucoup d’arboriculteurs, de producteurs de fruits et légumes. Ils ont besoin de traiter leurs plantes contre les ravageurs, et souvent ces pesticides sont mauvais pour les abeilles. S’ils respectent les méthodes d’utilisation, normalement ça doit les protéger. Ces agriculteurs-là ont besoin des pollinisateurs. S’ils les tuent, leurs récoltes en pâtiront.

 

Plusieurs pesticides ont été suspendus pour deux ans. Est-ce assez long?

Pour moi c’est un peu court, et il faut des expérimentations qui prouvent que les abeilles mouraient avant et ne meurent plus après. Sur le principe, c’est une avancée qui est aussi une avancée politique.

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