L’aide médicale à mourir signe la fin de la fonction soignante des médecins

Auteur(s)
Hélène Strohl pour France-Soir
Publié le 20 mai 2025 - 12:00
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Fin de vie
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engin akyurt-unsplash
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Commençons par une histoire : mon ami P. souffrait d’un cancer depuis longtemps, brusquement aggravé ; suivi dans un des deux meilleurs centres parisiens, il a bénéficié de toutes les thérapeutiques disponibles : radiothérapie, hormonothérapie et chimiothérapies. Les deux dernières années de sa vie ont consisté en une succession de périodes de soins douloureux et invasifs, empêchant presque toute vie sociale, amicale et d’examens d’imagerie, de dosage de marqueurs, de plus en plus négatifs. Les consultations clôturant une séquence thérapeutique se terminaient immanquablement par une nouvelle proposition thérapeutique. La lutte contre le Mal ne connaissait aucune trêve. Intensité du combat contre la tumeur occultant le soin de la personne. Ainsi ce ne fut que grâce à un ami attentionné et lui-même souffrant des reins qu’il fut envoyé d’urgence en urologie, un rein avait été nécrosé à la suite d’une radiothérapie trop invasive et il fallut l’opérer d’urgence. Mais l’oncologue n’était pas urologue et n’avait rien conclu des analyses médicales pourtant compréhensibles même pour un profane. 

Enfin, clopin-clopant la maladie progressait. Heureusement accompagné, soutenu, aimé par sa femme et son fils, mon ami put profiter malgré tout de ces années de vie amoindrie. Bientôt j’allai le voir chez lui plutôt que de déjeuner avec lui au restaurant, dans son jardin d’abord, puis sur le canapé de son salon, puis dans la chambre qu’il ne pouvait plus quitter, enfin dans un lit médicalisé avec un service de soins palliatifs à domicile. Je pense qu’il se déplaçait encore de sa chambre à son salon et de celui-ci à son jardin quand il m’apprit que désormais c’était terminé, l’oncologue (je ne sais pas le combientième oncologue de ce service prestigieux où se succédaient de jeunes chefs de clinique avant de partir exercer ailleurs) lui dit, « je vous adresse au médecin chargé des soins de soutien. » Le soutien fut à la hauteur : « Bonjour Monsieur, j’ai reçu votre dossier. Alors qu’avez-vous prévu pour votre fin de vie ? » -

Ils sont repartis, elle le soutenant et lui, comme toujours, se moquant de son désespoir, avec l’adresse du service de soins palliatifs à domicile. 

Mon ami n’a jamais revu aucun des oncologues, ni d’ailleurs aucun soignant du centre anti-cancéreux. La balle était dans le camp de la clinique spécialisée, qui fit autant qu’elle pouvait, avec la pénurie de soignants post Covid. 

Mon ami est mort quelques semaines plus tard, à domicile. Il ne voulait plus aller dans aucun hôpital, fût-ce un service de soins palliatifs. Parce qu’il avait une femme et un fils qui l’ont accompagné jusqu’au bout, des amis qui l’aimaient, il est mort « naturellement ». La mort fut longue à venir, mais sa femme put le confier à sa mère morte il y a longtemps et qui avait été l’autre amour de sa vie. Philippe est ainsi mort, accompagné sur Terre et accueilli dans la Mort. (et ce sans croyance en un dogme d’au-delà). Il n’a pas eu à faire de « directives de fin de vie », sinon exprimer le souhait de ne pas quitter sa maison. Il n’a pas eu non plus besoin d’une « sédation profonde », les doses de morphine suffisant à amoindrir la douleur sans trop d’effets hallucinatoires. Ce fut dur, très dur pour sa femme, car un mourant vous sollicite jour et nuit et les aide-soignants, malgré leur bonne volonté, passent deux fois par jour seulement ; les heures sont longues à voir s’éloigner celui qu’on aime. Est-ce à dire qu’il eût été plus humain, plus fraternel que mon ami s’administre lui-même une dose létale, qu’il embrasse ou se fasse embrasser, sachant que c’était le dernier baiser et qu’il meurt, comme prévu, là tout de suite. Je ne sais pas. Sa femme me dit que ce fut dur, mais qu’elle a le sentiment d’avoir fait au mieux ce qu’il voulait. Et cet amour oblatif est sans doute la plus belle conclusion de l’amour d’une vie. 

Faire cesser les souffrances, raccourcir la durée de l’agonie, ne même pas supporter d’attendre les quelques heures ou jours qu’agisse une sédation profonde et que le patient s’éteigne, naturellement, c’est d’abord soulager les proches, certains soignants et surtout nos héros de la lutte contre le Mal. Ces médecins qui ne sont plus des soignants, mais des administrateurs de thérapeutiques. 

Car ces médecins sont des expérimentateurs de nouvelles thérapeutiques,  mais plus des soignants de personnes. Et de plus en plus, ils éloignent d’eux la Mort, ressentie comme un échec. 

On peut aujourd’hui, réellement, supprimer les douleurs insupportables, grâce à de multiples techniques médicamenteuses et autres, acuponcture, sophrologie, hypnose, auto-hypnose, massage… Il n’en reste pas moins que la Mort, c’est la fin, la fin de la vie. La fin irrémédiable, la disparition de la personne présente physiquement, réellement. C’est la conclusion du cycle de vie d’un homme. Ma belle-mère que j’ai beaucoup aimée me disait : « Je n’ai pas peur de mourir, j’ai eu une belle vie ». Mais cette fin de la vie devrait être aussi la fin du soin, la conclusion d’un cycle de soin. Soigner, c’est soigner jusqu’au bout et non pas appliquer des protocoles, connus ou expérimentaux, à une image. Or dans nombre de maladies, les médecins ne soignent plus le malade, non seulement jusqu’à la fin, mais plus du tout. Et ceci est particulièrement vrai dans ces maladies à partir desquelles tout le monde réfléchit en termes de suicide assisté, les cancers : parce que d’une part la fin de vie comporte souvent beaucoup de douleurs, mais aussi parce que les thérapeutiques se déroulent dans une atmosphère de combat contre la maladie qui à terme annihile le soin au malade, à la personne du malade dans son intégralité. 

Le soin contre le cancer est devenu une intervention technique, purement technique, qu’on administre à une personne, sans se préoccuper d’elle, mais uniquement de sa maladie. Et encore, sachant que celle-ci est de moins en moins appréhendée par ses symptômes, par ses effets sur la vie, le corps et le psychisme du patient, mais par l’imagerie et les analyses de divers marqueurs. 

Le rendez-vous périodique, l’épée de Damoclès qui pèse sur le malade, qui l’angoisse à chaque échéance, c’est le scanner (ou l’IRM ou autre technologie) qui détermine si « le traitement marche ou pas ». Il faut que non seulement l’image n’augmente pas de volume, mais il faut qu’elle diminue d’un certain pourcentage. Le malade devient d’ailleurs lui-même expert et connaît les seuils. Ce suivi de l’image a peu à voir avec un examen clinique : si l’image de la tumeur pulmonaire n’a pas assez régressé ou a recommencé à augmenter, un peu, le médecin ne veut pas entendre le malade qui dit qu’il n’est pas essoufflé, qu’il se sent bien mieux qu’il y a deux ans, au début du parcours thérapeutique. Oui, mais si la tumeur n’est pas immobile, il faut continuer à la poursuivre. A n’importe quel prix. 

Le malade lui-même sait maintenant qu’il y a toujours (il croit toujours) des alternatives thérapeutiques. Une autre chimio, peut-être même une immunothérapie. Il peut arriver à supplier le médecin de lui « accorder encore une chance », de le faire entrer dans un ultime essai. Ou bien se laisser convaincre de faire une ultime tentative, car malgré tout le prestige du médecin demeure fort et il inspire souvent confiance au malade et à ses proches. 

Une des alternatives peut être un essai, le fameux essai

L’essai, que seuls peuvent diriger quelques centres, parfois même commandités depuis l’Amérique, voilà l’ultime espoir. Celui qui permet de ne pas faire, comme on fait pour d’autres traitements : peser avec le malade, le pour et le contre. Les chances de survie, les échéances éventuelles et les effets secondaires. Vivre plus longtemps, mais vivre comment ?

L’entrée en essai se fait sur critères et ne résulte pas d’un choix. Assommé par sa maladie, par de longs mois, voire de longues années de traitements plus ou moins durs, le malade minimise d’autant plus les risques d’atteinte à son intégrité, sa dignité, son bien-être que ceux-ci ne sont pas énoncés autrement que dans des termes abscons. 

Et puis tout est fait pour présenter l’essai comme une chance. Une chance pour le médecin qui le coordonne et le centre participant. L’essai est entièrement calibré par le commanditaire : les critères d’acceptation, les modalités d’inclusion, les doses à administrer et les résultats (imagerie, marqueurs) attendus. 

Le laboratoire paye tout : les produits, bien sûr, mais aussi les matériels, les journées d’hospitalisation du malade, son transport médicalisé et jusqu’à une société de coaching qui a pour fonction de s’assurer, par téléphone, de sa compliance. Sans doute le laboratoire paye-t-il aussi le médecin coordonnateur et le service où a lieu l’essai. Les malades n’aiment pas penser que leur médecin est vénal et ne vont donc pas sur Transparences santé. 

Il y a plus grave : la multiplication des essais et leur formatage selon les standards des laboratoires pharmaceutiques américains tendent à occulter peu à peu le soin à la personne pour ne plus considérer que les résultats standardisés de l’essai.

Partie II de l'article

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