Hésitation face aux vaccins : ne blâmez pas les gens

Auteur(s)
FranceSoir
Publié le 10 août 2021 - 23:58
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Trust vs mistrust
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Parti, le contrat de confiance...
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Le gynécologue Adam C. Urato, fait une recension du livre de la philosophe Maya J. Goldenberg, professeur associée, specialiste de la philosophie des sciences et attachée au département de philosophie de l’Université de Guelph. L’intérêt de ce livre réside dans l’étude des réticences d’un public de plus en plus méfiant envers les traitements et les vaccins. Loin de jeter l’opprobre sur la population souvent traitée d’ignorante de la part des scientifiques, la philosophe propose d’autres explications et revient longuement sur les différents scandales qui ont éclaboussé le monde médical ces dernières années. Dénonçant les liens d’intérêts entre l’institution médicale et les entreprises phramaceutiques dont l’objectif principal n’est pas la santé mais le profit, elle analyse les méfiances d’un public de mieux en mieux informé et estime que c’est une étape essentielle pour réformer le système de plus en plus frauduleux.

Article original paru le 9 août dans l'Indian Journal of Medical Ethics, traduit par France Soir.



Hésitation vaccinale : ne blâmez pas les gens
Critique du livre de Maya Goldenberg par le gynécologue Adam C Urato

Maya Goldenberg, Vaccine Hesitancy: Public Trust, Expertise, and the War on Science (Science, Values, and the Public), University of Pittsburgh Press; 1st edition, 2021 March 9; 264 pages, $45(hardcover) $ 41. 90 (Kindle), ISBN-10: ‎0822946556

En tant que spécialiste en médecine foeto-maternelle, je m'occupe tous les jours aux États-Unis de femmes enceintes à haut risque. Aujourd'hui, plusieurs fois par jour dans mon cabinet, des patientes me posent des questions sur le vaccin Covid-19. Lors de mes discussions avec ces femmes et leurs partenaires, beaucoup d'entre elles manifestent de réelles inquiétudes à l'égard des vaccins. Il est compréhensible que les femmes enceintes fassent preuve de prudence face à un nouveau vaccin. Cependant, mes discussions avec ces familles révèlent quelque chose de beaucoup plus large : une inquiétude générale concernant les vaccins et d'autres approches recommandées en matière de santé publique.
Pourquoi y a-t-il autant d'incertitude concernant les vaccins parmi de larges segments de la population ? Maya Goldenberg se penche sur cette question dans son nouveau livre intitulé L’hésitation face aux vaccins. Elle expose les explications les plus courantes : la guerre contre la science, le rejet de l'expertise et l'ignorance du public. Mais elle présente ensuite un argument convaincant et bien référencé selon lequel ces explications, qui mettent principalement l'accent sur le public et le blâment, ne sont pas la principale raison pour laquelle les professionnels de santé constatent autant d'hésitation à l'égard des vaccins. Elle se concentre plutôt sur la question de la faible confiance du public dans la médecine. (Par le terme "médecine", je fais référence aux institutions de santé publique, aux hôpitaux, aux médecins, aux chercheurs, aux experts, aux sociétés pharmaceutiques, aux fabricants d'appareils et aux autres groupes dont on pourrait dire qu'ils représentent "l'establishment médical"). Son explication de l'hésitation à se faire vacciner ne pointe pas du doigt le public mais plutôt l'institution médicale elle-même

Le livre de Goldenberg est essentiel car il est crucial d'identifier les raisons de l'hésitation à se faire vacciner si l'on veut s'attaquer au problème.

L'approche typique consiste à considérer que le public est en faute. Or si le public est en faute, des approches telles que l'éducation, la censure des informations erronées, la honte et l'obligation de vacciner peuvent constituer des solutions potentielles. Ces efforts visent à faire changer les habitudes d'un public difficile à manier et ignorant.

Toutefois, si le problème est la confiance du public dans la médecine, il incombe à l'institution médicale de se demander pourquoi elle a perdu la confiance du public de manière aussi spectaculaire au cours des dernières décennies.

Et la perte de confiance du public dans la médecine a été dramatique. Un récent sondage publié en mai 2021 par la Harvard School of Public Health (1) a confirmé ce que j'entends tous les jours de la part des patients de ma clinique : près de la moitié des Américains ne font pas confiance aux différents centrese pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), à l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration, FDA) ou à d'autres grandes institutions de santé publique (2).

Alors pourquoi y a-t-il un tel manque de confiance ? Goldenberg se concentre sur trois explications principales du manque de confiance : les médias sociaux, le racisme médical et la commercialisation de la science biomédicale. Dans son livre, elle semble leur accorder une importance égale. Cependant, de mon point de vue, et d'après ce que me disent les patients, la troisième raison (l'influence des entreprises) est de loin la plus importante. Pour dire les choses simplement, le public a perdu confiance dans la médecine parce que celle-ci est désormais perçue comme étant corrompue par l'argent des entreprises.

Les entreprises pharmaceutiques les plus influentes sont d'énormes multinationales cotées en bourse. Et malgré les messages qu'elles peuvent faire passer dans les publicités télévisées ou ce que disent leurs porte-paroles publics, le principal objectif de ces entreprises n'est pas d'améliorer la santé et le bien-être du public. L'objectif principal d'une société est de maximiser les profits et le rendement financier pour les actionnaires (3). C'est ce que les entreprises cherchent à faire. C'est ce qui se passe réellement dans la pratique. C'est ainsi que les entreprises se comportent. Ce ne sont pas des organisations caritatives. Elles ne sont pas des agences de santé publique. Ces entreprises ont un objectif principal de profit.

Maintenant, cela ne veut pas dire du tout que les employés de ces entreprises ou les cadres de ces entreprises ne se soucient pas de la santé du public. En tant qu'individus, en tant qu'êtres humains dans la société, ils peuvent s'en soucier énormément. Mais en tant qu'employés d'une entreprise, ils ont la responsabilité fiduciaire envers les actionnaires de se concentrer uniquement sur les profits.

Pour illustrer ce point, nous avons vu à maintes reprises, au cours des dernières décennies, des entreprises pharmaceutiques et des fabricants de dispositifs médicaux dissimuler des données et adopter d'autres comportements qui faisaient passer les profits des entreprises avant le bien public. La crise des opioïdes en est un exemple flagrant (4). Mais la liste des autres exemples est assez longue et comprend le Vioxx (5), l'étude 329, dans laquelle ont été cachées des données montrant une augmentation des suicides chez les enfants traités avec des antidépresseurs (6). Il y a également la controverse sur le Zyprexa, ce medicament contre la schizophrénie dont les rsiques ont été dissmulés (7). Et une longue liste est longue…

L'une des plus grandes menaces pour les profits des entreprises pharmaceutiques serait que des experts médicaux indépendants, des institutions de santé publique et des sociétés médicales professionnelles puissent recommander de ne pas utiliser leurs médicaments et leurs vaccins. Dans ce scénario, les médicaments pourraient ne pas être approuvés et, s'ils le sont, ils pourraient ne pas se vendre, car des voix médicales fiables et honnêtes pourraient en détourner le public.

La question cruciale est donc la suivante : comment l'industrie pharmaceutique évite-t-elle la menace sérieuse pour préserver ses profits qui pourraient être menacés par des voix indépendantes fortes en médecine ? La réponse est que les Big Pharma ont efficacement contourné ce scénario en injectant de l'argent dans la médecine. Les Big Pharma financent les experts (qu'elle a transformés en "principaux leaders d'opinion") (8), les institutions de santé publique (comme le CDC et la FDA) et les sociétés médicales professionnelles. À bien des égards, l'industrie pharmaceutique a pris le contrôle du corps médical. Cela a conduit à des politiques et des pratiques médicales qui placent les profits des entreprises au-dessus de l'intérêt du public. Ce qui a abouti à la perte de confiance dans ce système truqué.

Prenons l'exemple du CDC (et on pourrait avancer un argument similaire pour la FDA). L'idée que le CDC est un organisme indépendant, libre de toute influence des entreprises, est tout simplement fausse. L'industrie pharmaceutique déverse de l'argent dans la fondation du CDC depuis des années et les donateurs comprennent AstraZeneca, Johnson et Johnson et Pfizer (9). L'objectif de cet argent est de pousser les recommandations du CDC dans une direction qui augmentera les profits de ces entreprises. Le CDC et les entreprises elles-mêmes peuvent prétendre que les dons sont simplement destinés à soutenir le CDC dans sa mission d'amélioration de la santé publique. Mais la vérité est que les entreprises ne sont pas autorisées à utiliser arbitrairement l'argent des actionnaires pour des objectifs de santé publique. Si les dons au CDC ne contribuaient pas, d'une manière ou d'une autre, à améliorer les profits et le rendement des actionnaires, ces entreprises ne le feraient pas.

Et l'influence de l'industrie pharmaceutique ne se limite pas au financement de la Fondation CDC. Il y a également les liens d’intérêts directs des personnes entre ces organismes et les entre les entreprises pharmaceutiques. Lorsque Julie Geberding a quitté son poste de directrice du CDC, elle est immédiatement allée travailler pour Merck pour "diriger l'activité mondiale de vaccins de la société, qui représente 5 milliards de dollars". Les organes de presse ont documenté "un réseau de liens étroits entre l'agence [CDC] et les entreprises qui fabriquent des vaccins"(10). Il est intéressant de noter que les deux principaux examinateurs de la FDA qui ont initialement approuvé la demande d'oxycodone de Purdue ont tous deux pris des postes chez Purdue après avoir quitté l'agence (4).

Si le problème central derrière l'hésitation à se faire vacciner (et la raison principale du manque de confiance du public dans la médecine) est les liens avec les entreprises, alors pourquoi la médecine ne coupe-t-elle pas simplement ces liens ? La réponse à cette question est qu'une telle démarche entraînerait d'énormes pertes financières pour les principaux centres de pouvoir au sein de la médecine et des industries pharmaceutiques. La médecine perdrait l’argent de l'industrie pharmaceutique. Pour les entreprises pharmaceutiques elles-mêmes, la perte de ces relations financières affaiblirait considérablement leur influence et leur contrôle. Cette perte d'influence se traduirait finalement par des recommandations et des directives moins favorables et par une baisse significative des bénéfices des entreprises.

Goldenberg a correctement identifié le véritable problème de l'hésitation à se faire vacciner. Et c'est en cela que son livre apporte une contribution essentielle à notre compréhension. Le principal moteur de l'hésitation vaccinale n'est pas l'ignorance du public. Au contraire, c'est la connaissance du public et sa compréhension du fonctionnement des liens entre la médecine et l'industrie pharmaceutique qui alimentent la méfiance. Pourtant, l'essentiel de tout cela est que la médecine et l'industrie pharmaceutique n'ont aucun intérêt à s'attaquer à la cause réelle de l'hésitation du public à l'égard des vaccins. C'est pourquoi ces entités préfèrent de loin se concentrer sur le blâme du public. Elles ne se concentrent pas sur le problème de l'influence de l'industrie parce qu'elles n'ont pas de solution.

Le problème, en ce qui concerne la pandémie de Covid-19, est qu'aujourd'hui une grande partie du public ne fait plus du tout confiance au CDC, à la FDA ou à l'ensemble du système médical. Qui ferait confiance à un système si lourdement financé par l'industrie, dont le but premier est les profits de Wall Street ? Le public souhaite que les grandes institutions de santé publique soient libérées de l'influence de l'industrie pharmaceutique.

Cependant, il y a un bon côté à cela, car la méfiance du public nous donne en fait de l'espoir. Cette méfiance est une étape cruciale pour tenter de réformer le système. Le livre de Goldenberg nous aide à faire un pas de plus dans la bonne direction, afin que la médecine puisse finalement s'ériger en une voix forte et indépendante pour la santé publique et le bien public, sans l'influence corruptrice de l'argent des entreprises pharmaceutiques.


Références :
1. https://cdn1.sph.harvard.edu/wp-content/uploads/sites/94/2021/05/RWJF-Harvard-Report_FINAL-051321.pdf.
2. https://thehill.com/opinion/healthcare/553600-nearly-half-of-americans-dont-trust-cdc-and-fda-thats-a-problem.
3. https://hbr.org/2017/05/the-error-at-the-heart-of-corporate-leadership?ab=seriesnav-spotlight
4. https://journalofethics.ama-assn.org/article/how-fda-failures-contributed-opioid-crisis/2020-08
5. http://ijme.in/articles/the-new-england-journal-of-medicine-commercial-conflict-of-interest-and-revisiting-the-vioxx-scandal/?galley=html
6. https://www.bmj.com/content/351/bmj.h4320.long
7. https://www.seattletimes.com/nation-world/documents-suggest-lilly-concealed-drugs-risks/
8. Moynihan R. Key opinion leaders: independent experts or drug representatives in disguise? BMJ. 2008 Jun 19;336(7658):1402-3.
9. https://www.cdcfoundation.org/partner-list/foundations
10. https://www.upi.com/Odd_News/2003/07/21/UPI-Investigates-The-vaccine-conflict/44221058841736/

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