Les Légendes dévoilées : les coulisses des mythes qui nous gouvernent - Partie I

Auteur(s)
Xavier Azalbert, France-Soir
Publié le 18 mai 2025 - 10:23
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Les legendes
Crédits
Pixabay, France-Soir
Les Légendes dévoilées : une enquête dans les coulisses des mythes qui nous gouvernent
Pixabay, France-Soir

Introduction

Paris, novembre 2015. Dans une salle obscure, Éric Rochant, créateur de la série « Le Bureau des légendes », scrute les rushes d’un épisode où un agent de la DGSE, Malotru, peaufine sa « légende » – une fausse identité pour infiltrer un réseau syrien. À Los Angeles, Arnold Schwarzenegger, star de True Lies, parade sur un tapis rouge, son image de héros d’action forgée par Hollywood. À Rouen, en 1431, Jeanne d’Arc, paysanne de 19 ans, monte sur le bûcher, son destin déjà en route pour devenir un mythe national. Ces récits, qu’ils naissent dans des planques secrètes, des studios de cinéma ou des chroniques médiévales, sont des légendes : des narrations où faits, ambiguïtés et fictions s’entrelacent pour captiver, manipuler ou inspirer.

Dans un monde saturé d’info-fiction – posts viraux sur X, blockbusters, campagnes électorales –, les légendes ne sont plus des contes d’antan. Elles sont une industrie, un art stratégique, comme le dévoile Bruno Fuligni dans « Le Bureau des légendes décrypté », où il explore les techniques des espions pour créer des couvertures crédibles. Mais qui fabrique ces mythes ? Pourquoi y croyons-nous si facilement ? Et quelles sont leurs conséquences ? Cette enquête plonge dans les arcanes des légendes, de Dracula à Edward Snowden, de Cléopâtre à Hollywood. Avec des schémas, des chronologies et des exemples saisissants, nous vous offrons une grille de lecture pour démêler le vrai du faux, décrypter les récits qui façonnent notre monde, et comprendre leur pouvoir.

 

I - Légendes vs autres narrations

Qu’est-ce qu’une légende ? Roland Barthes, dans Mythologies (1957), la définit comme un narratif durable, chargé d’émotions, qui transcende les faits pour incarner des valeurs ou des peurs. Contrairement à la propagande, qui sert une idéologie explicite (ex. : affiches nazies), ou aux fake news, éphémères et malveillantes (ex. : rumeurs sur X), une légende vise à perdurer, à captiver. « Le Bureau des légendes » illustre ce principe : sa fiction, ancrée dans les réalités de la DGSE, crée une légende crédible, brouillant vérité et drame. En distinguant ces formes, nous posons la première pierre d’une grille pour décoder les récits. Alors, comment une légende prend-elle vie ?

 

Les objectifs : pourquoi fabriquer une légende ?

Les légendes ne naissent pas par hasard. Elles sont des outils stratégiques, façonnés par des intentions précises – inspirer, contrôler, dissimuler, ou encore générer des profits. Comprendre ces objectifs, c’est poser la première pierre d’une grille pour décoder les récits qui nous entourent, des planques de la DGSE aux posts viraux sur X.

 

Forger une icône intemporelle

Une légende transforme un individu en symbole universel. En 1938, alors que l’Amérique suffoque sous la Grande Dépression, Jerry Siegel et Joe Shuster créent Superman, un extraterrestre invincible qui sauve Metropolis. Comme l’explique l’historien Bradford Wright, Superman n’est pas qu’un héros de BD : c’est une légende, un phare d’espoir dans une époque de chômage et de désespoir. Sa cape rouge, son « S », deviennent des icônes, gravées dans les esprits par des comics, des films et des séries.

Légendes Superman

Cléopâtre, reine d’Égypte (69-30 av. J.-C.), suit ce chemin. Ses alliances avec César et Marc Antoine, documentées par Plutarque, sont réelles, mais les Romains la transforment en séductrice fatale pour justifier leur conquête de l’Égypte. Shakespeare, puis le film Cléopâtre (1963) avec Elizabeth Taylor, amplifient ce mythe, faisant d’elle une légende d’amour et de décadence, loin de la stratège polyglotte décrite par l’égyptologue Joyce Tyldesley. 

Cette transformation sert un but : fasciner tout en légitimant le pouvoir.

 

Mobiliser les masses

Les légendes unissent les peuples, canalisent les émotions. En 1776, les États-Unis, fraîchement indépendants, mythifient George Washington. L’anecdote du cerisier – « Je ne peux pas mentir » –, bien que douteuse, est enseignée pour incarner l’honnêteté, comme le montre l’historien Joseph Ellis. Ce récit soude une nation naissante autour de valeurs communes.

Dans un registre spirituel, Saint-François d’Assise, avec son manteau partagé, devient une légende pour promouvoir l’humilité chrétienne, renforçant l’autorité de l’Église. Aujourd’hui, Greta Thunberg, portée par des campagnes médiatiques, est une icône climatique. Sa légende – une adolescente défiant les puissants – galvanise des millions, même si son impact divise, comme l’analyse la sociologue Rebecca Solnit.

 

Dissimuler la vérité

Certaines légendes cachent des réalités gênantes. En URSS, Lénine est érigé en dieu révolutionnaire, ses purges et ses erreurs effacées par des statues, des poèmes et des manuels scolaires. Dans les affaires, Steve Jobs, génie d’Apple, est mythifié comme un visionnaire solitaire, occultant ses méthodes autoritaires, comme le révèle la biographie de Walter Isaacson. Cette dissimulation s’étend aux entreprises technologiques modernes. Facebook, rebaptisé Meta, promeut une légende de « connectivité mondiale » via des campagnes publicitaires, masquant les scandales de données (Cambridge Analytica) et les impacts sur la santé mentale, selon les enquêtes de Frances Haugen. Dans l’affaire Fact & Furious, Libération dissimule les failles potentielles du fact-checking en victimisant le site, détournant l’attention des accusations portées par France-Soir, comme le note leur enquête de 2022. Cette stratégie, appelée « whitewashing » (blanchiment d’image), est similaire aux couvertures d’espions décrites par Bruno Fuligni : une vérité partielle (Meta connecte, Fact & Furious vérifie) est amplifiée pour occulter les zones d’ombre.

Dans l’espionnage, comme l’explique Fuligni dans « » Le Bureau des légendes décrypté » », une légende dissimule l’identité réelle d’un agent. Une fausse vie – diplômes truqués, amis fictifs – protège la mission, un art retranscrit dans la série avec une précision troublante. 

Cette dissimulation, qu’elle soit politique ou clandestine, façonne notre perception du réel.

 

Contextes propices aux légendes

Les légendes prospèrent dans les crises. La Grande Dépression enfante Superman, un sauveur imaginaire. La guerre de Cent Ans fait de Jeanne d’Arc une héroïne divine. L’après-11 septembre, marqué par la peur du terrorisme, inspire « Le Bureau des légendes », dont le réalisme répond à une soif de comprendre l’espionnage, comme le note Fuligni. L’anthropologue John D. Niles souligne que les sociétés en crise – guerres, révolutions, bouleversements numériques – cherchent des récits pour donner du sens au chaos. 

Aujourd’hui, la polarisation sur X et l’essor des deepfakes créent un terreau fertile pour de nouvelles légendes.

Contexte propice aux légendes
Contexte propice aux légendes

Légendes comme outils économiques

Les légendes ne se contentent pas d’inspirer ou de manipuler ; elles génèrent des profits, transformant des récits en moteurs économiques. En Roumanie, la légende de Dracula, née du roman de Bram Stoker, attire des millions de touristes au château de Bran, souvent associé à Vlad l’Empaleur, bien que le lien historique soit ténu, comme le note l’historien David Skal. Ce mythe, amplifié par Hollywood, génère des revenus via des visites, des films, et des produits dérivés, faisant de la Transylvanie une marque mondiale. Dans les affaires, Apple cultive la légende de Steve Jobs comme innovateur révolutionnaire, dopée par des keynotes spectaculaires, pour vendre des iPhones malgré des controverses sur les conditions de production, selon Charles Duhigg. 

Dans l’espionnage, les légendes servent aussi des enjeux financiers : Fuligni décrit des agents de la DGSE créant des couvertures pour sécuriser des contrats internationaux où des missions impliquent des tractations économiques secrètes. Même l’affaire Fact & Furious illustre cet objectif, car avec son contrat AFP, capitalise sur la légende du fact-checking comme « gardien de la vérité » pour obtenir des financements. Tandis que France-Soir exploite son image de « média libre » pour attirer des dons de lecteurs, amplifiant son enquête sur les réseaux sociaux. Ces exemples montrent que les légendes, loin d’être désintéressées, sont des actifs économiques, façonnés pour maximiser les gains.

Résumé Intermédiaire : Les objectifs des légendes – forger des icônes, mobiliser, dissimuler, ou profiter – révèlent leur pouvoir stratégique. Mais comment ces récits prennent-ils forme ? Plongeons dans leurs rouages.

 

II - Le processus, les rouages d’une légende

Créer une légende, c’est tisser une couverture digne d’un agent secret : chaque détail compte, chaque fil doit tenir. Ce processus repose sur des strates narratives, des techniques subtiles et une narration captivante, comme une opération de la DGSE. Explorons ces rouages, des faits bruts aux fictions envoûtantes, pour comprendre comment un récit devient mythe.

La base factuelle
Toute légende commence par des faits

La base factuelle permet l’ancrage dans le réel

Toute légende commence par des faits, même minces, qui lui donnent une illusion de crédibilité. Dans l’espionnage, cela s’appelle le « backstopping », comme l’explique Fuligni : une légende d’agent clandestin inclut des éléments vérifiables – un faux diplôme, un registre administratif – pour résister aux enquêtes. Dans le domaine historique, Alexandre le Grand illustre ce principe. Ses conquêtes, de la Perse à l’Inde entre 334 et 323 av. J.-C., sont documentées par des chroniqueurs comme Arrien. Mais les récits mythiques – son ascendance divine, ses dialogues avec des oracles – sélectionnent ces faits pour l’élever au rang de demi-dieu, occultant ses échecs, comme la révolte de ses troupes à l’Hyphase, selon l’historien Pierre Briant.

Prenons un exemple moderne : la légende de Beyoncé comme icône féministe. Ses succès – 32 Grammy Awards, des tournées mondiales – sont factuels, mais les récits amplifient son image de « reine » intouchable, minimisant les controverses, comme les accusations de plagiat. Ces faits, soigneusement choisis, ancrent la légende dans une réalité tangible, comme une couverture d’espion.

 

La zone floue ou l’art de l’ambiguïté

La logique floue injecte des ambiguïtés qui titillent l’imaginaire, ni prouvées ni réfutées. Ces zones grises permettent au public de projeter ses propres vérités, un mécanisme clé dans l’info-fiction. Marie-Antoinette n’a probablement jamais dit « Qu’ils mangent de la brioche », mais cette phrase, rapportée par Rousseau en 1766, est plausible dans le faste de Versailles. Comme l’analyse l’historienne Antonia Fraser, cette anecdote invérifiable cristallise la colère révolutionnaire, transformant la reine en symbole de décadence.

Dans l’ère numérique, la légende de Keanu Reeves comme « homme parfait » repose sur des ambiguïtés. Des anecdotes – il donne son siège dans le métro, il aide des fans – circulent sur X, mais leur véracité est floue. Ces récits, amplifiés par des mèmes, alimentent un mythe bienveillant, comme une légende d’espion qui s’appuie sur des témoignages vagues mais crédibles.

 

L’étincelle fictionnelle, la magie de l’invention

La fiction est le cœur battant d’une légende, transformant une figure en archétype. Le Roi Arthur, peut-être inspiré d’un chef britton du Ve siècle, devient un mythe grâce à des inventions médiévales : Excalibur, Merlin, la Table Ronde. Ces ajouts, nés de l’imagination de Chrétien de Troyes au XIIe siècle, font d’Arthur un symbole de chevalerie, comme le montre l’historien Geoffrey Ashe. Sans ces fictions, il ne serait qu’un obscur guerrier.

Dans « Le Bureau des légendes », la fiction joue un rôle similaire. Le personnage de Malotru, inspiré de cas réels mais romancé, incarne un espion déchiré entre devoir et passion. Comme le note Fuligni, ces éléments dramatiques, absents des dossiers de la DGSE, rendent la série addictive, transformant des agents anonymes en légendes modernes. Sur X, les influenceurs comme MrBeast, avec des mises en scène philanthropiques exagérées, utilisent la fiction pour bâtir des mythes de générosité. Zoé Sagan, IA prédictive interprétée par Aurélien Atlan-Poirson était précurseur dans cet environnement avant que le pouvoir ne vise à la débrancher.

Infofiction
Zoé Sagan, IA prédictive interprétée par Aurélien Atlan-Poirson était précurseur dans cet environnement avant que le pouvoir ne vise à la débrancher

 

Manipulation temporelle : réécrire le passé

Une légende ne se contente pas de faits ou de fictions : elle joue avec le temps. Les créateurs réorganisent la chronologie pour dramatiser le récit, comme un monteur cinématographique. La légende de Robin des Bois, née au XIVe siècle, place ses exploits sous Jean sans Terre (1199-1216) pour ancrer un contexte d’oppression, bien que les sources historiques soient floues, selon l’historien Maurice Keen. Cette manipulation temporelle donne au récit une cohérence dramatique.

Dans l’espionnage, les légendes d’agents réécrivent leur passé pour effacer toute trace suspecte, comme un faux CV datant de 20 ans. Fuligni décrit comment la DGSE construit des historiques crédibles, parfois sur des décennies, pour ses clandestins. Dans la pop culture, la légende d’Elon Musk comme « génie futuriste » réorganise son passé, mettant en avant ses succès (Tesla, SpaceX) tout en minimisant ses échecs précoces, comme le note le journaliste Ashlee Vance. Mais n’apprend-on de ses échecs ?

Manipulation intertemporelle
Manipulation temporelle

 

Création d’antagonistes : le drame par le conflit

Une légende a besoin d’un ennemi pour briller. Les récits médiévaux de Robin des Bois inventent le shérif de Nottingham, un antagoniste cruel qui justifie la rébellion, comme l’explique Keen. Sans cet ennemi, Robin ne serait qu’un bandit. Dans Le Bureau des légendes, les antagonistes – terroristes, agents doubles – sont romancés pour amplifier le suspense, bien que Fuligni note que les vrais ennemis des espions sont souvent plus banals (bureaucratie, erreurs humaines).

Dans les légendes modernes, les antagonistes sont parfois abstraits. La légende de Greta Thunberg la place contre « les puissants », une entité vague mais puissante qui dramatise son combat. Sur X, les mèmes opposant des figures comme Kanye West à Taylor Swift créent des rivalités fictives, renforçant leurs légendes respectives.

 

Le storytelling : l’art de la mise en scène

Les strates s’unissent dans une narration captivante – défi, lutte, triomphe ou tragédie. Nelson Mandela, emprisonné 27 ans avant de réconcilier l’Afrique du Sud, suit cet arc, amplifié par Invictus (2009) et des campagnes mondiales. Comme l’analyse l’historien Saul Dubow, ce storytelling simplifie les tensions raciales pour faire de Mandela une icône universelle.

Dans l’espionnage, le storytelling est crucial. Fuligni décrit comment les agents de la DGSE construisent des récits cohérents pour leurs légendes, mêlant détails banals (un hobby, une routine) et éléments dramatiques (une fausse crise familiale). Ce storytelling s’inspire souvent du « monomythe » de Joseph Campbell, où un héros répond à un appel, surmonte des épreuves, et revient transformé. La légende d’Elon Musk comme « génie futuriste » suit cet arc : un jeune entrepreneur (appel), des échecs et succès (épreuves), et une image de visionnaire (retour), amplifiée par des tweets et des biographies comme celle d’Ashlee Vance. Dans l’affaire Fact & Furious, France-Soir structure son enquête comme une quête de déconstruction des narratifs biaisés et incomplets – tandis que Libération s’exerce à protéger le site comme un héros défendant la vérité contre des « conspirationnistes ». Ces arcs, comme dans « Le Bureau des légendes », captivent en simplifiant la réalité, transformant des faits en épopées.

Sur X, les influenceurs comme Charli D’Amelio utilisent des vidéos soigneusement montées pour raconter une ascension fulgurante, transformant une adolescente en légende TikTok.

 

Récits transmédias et algorithmes

Les légendes modernes ne se limitent pas à un média ; elles se déploient à travers des récits transmédias, amplifiés par des algorithmes. Un récit transmédia utilise plusieurs plateformes – presse, X, YouTube, podcasts – pour créer une légende cohérente, chaque canal ajoutant une couche narrative. La légende de Keanu Reeves comme « homme parfait » illustre ce phénomène : des mèmes sur X (ex. : « Sad Keanu »), des interviews YouTube, et des articles BuzzFeed tissent un mythe de générosité, comme l’analyse danah boyd. L’affaire Fact & Furious, combine une enquête écrite, des vidéos d’Idriss Aberkane sur Odysee, et des posts sur X pour déconstruire la légende d’un « fact-checking captif et corrompu ». Libération riposte avec son article CheckNews, relayé par des experts sur X, renforçant la légende de Fact & Furious comme victime tout en omettant avec son narratif les zones opaques de Daoust. Ces récits, comme les couvertures d’espions décrites par Fuligni, s’appuient sur plusieurs canaux pour crédibiliser une narrative. Les algorithmes jouent un rôle clé : en priorisant les contenus émotionnels, comme le note Zeynep Tufekci, ils amplifient les posts viraux, transformant une anecdote en légende. Dans l’espionnage, les agents diffusent des récits via des canaux multiples (faux profils, articles plantés) pour renforcer une couverture, un art retranscrit dans « Le Bureau des légendes ». Cette diffusion transmédias, dopée par la technologie, redéfinit la création des mythes.

Outil de conception
Outil conceptuel de fabrication d’une légende avec les cercles concentriques, les zones factuelles, les logiques floues, les fictions

 

III - Pourquoi sommes-nous dupes ? Explication des biais cognitifs

Notre cerveau est le complice des légendes. Les biais cognitifs, ces failles de pensée étudiées par des psychologues comme Daniel Kahneman, sont exploités pour nous faire croire, même face à l’absurde. Décortiquons ces leviers, des plus subtils aux plus évidents, pour comprendre pourquoi nous tombons dans le piège.

Legendes

 

Voir ce que nous voulons (biais de confirmation)

Nous cherchons à valider nos croyances, un phénomène que Kahneman nomme « biais de confirmation ». En 1789, la légende noire de Marie-Antoinette – frivole, traîtresse – s’impose car elle alimente la fureur révolutionnaire, comme l’explique Antonia Fraser. Les Parisiens affamés, adhèrent à l’idée d’une reine insensible, même sans preuves. ahneman montre que ce biais repose sur la sélectivité cognitive : nous ignorons les faits contradictoires. Sur X, les chambres d’écho amplifient ce phénomène, comme l’analyse Zeynep Tufekci. Historiquement, la légende de Galilée comme martyr scientifique illustre ce biais : l’Église adhère à son dogme géocentrique, tandis que les savants valident l’héliocentrisme, chacun filtrant les preuves, comme le note l’historien David Wootton. Dans l’ère numérique, ce biais explose. Sur X, les théories conspirationnistes sur les élites prospèrent car elles confirment les méfiances. Par exemple, les rumeurs sur Bill Gates et les vaccins, amplifiées par des posts viraux, s’appuient sur des peurs préexistantes, comme l’analyse la sociologue Zeynep Tufekci. Dans « Le Bureau des légendes », les agents exploitent ce biais en semant des récits qui flattent les croyances de leurs cibles.

Biais de confirmation

 

L’aura qui aveugle (effet de halo)

Un trait positif – charisme, beauté – colore toute une réputation. L’effet de halo, décrit par le psychologue Edward Thorndike, est une arme des légendes. John F. Kennedy, avec son éloquence et son charme, est mythifié comme un président visionnaire, malgré des échecs comme la Baie des Cochons, selon l’historien Robert Dallek. Son image, amplifiée par des photos iconiques, éclipse les critiques.

À Hollywood, Marilyn Monroe incarne cet effet. Sa beauté dans « Les Hommes préfèrent les blondes » (1953) occulte ses luttes contre les studios, comme le note la critique Pauline Kael. Dans l’espionnage, une légende d’agent repose souvent sur une apparence séduisante ou banale pour désarmer les soupçons, comme le décrit Fuligni.

Effet de halo

 

La première impression compte (biais d’ancrage)

La première information reçue marque les esprits, un phénomène appelé biais d’ancrage par Kahneman. L’anecdote du cerisier de Washington, bien que douteuse, ancre son image d’honnêteté, comme le montre Joseph Ellis. Une fois cette idée plantée, elle résiste aux démentis.

Dans l’espionnage, une légende bien ancrée – un faux CV, une histoire familiale – résiste aux vérifications, selon Fuligni. Sur X, un post viral, comme une rumeur sur une célébrité, devient un ancrage, même si des fact-checks suivent. Par exemple, la légende de Keanu Reeves comme « homme parfait » s’est ancrée avec une photo de lui, seul sur un banc, en 2010, amplifiant son mythe de solitude bienveillante.

Effet d'ancrage

 

Ce qui est visible domine (biais de disponibilité)

Nous privilégions les informations accessibles, un biais de disponibilité étudié par Amos Tversky. La légende de Steve Jobs, portée par ses keynotes médiatisées, relègue les contributions de Steve Wozniak, comme le note la biographie d’Isaacson. Ce qui est répété devient vérité.

Les algorithmes de X amplifient ce biais, boostant les posts viraux. En 2020, la légende de « Baby Yoda » (Grogu) dans The Mandalorian domine les réseaux, éclipsant les autres aspects de la série, comme l’analyse le critique Matt Kamen. Selon Fuligni, les récits médiatiques sur l’espionnage, souvent simplistes, dominent les perceptions.

 

Les histoires nous envoûtent (effet de narration)

Une bonne histoire, même fausse, semble vraie. L’effet de narration, étudié par le psychologue Robert Shiller, explique pourquoi les légendes captivent. La légende de Pocahontas, romancée par Disney comme une romance, éclipse la réalité – une adolescente capturée –, comme le montre l’historienne Camilla Townsend.

Effet de naration

Dans « Le Bureau des légendes », cet effet est central : les arcs dramatiques de Malotru, mêlant faits et fiction, rendent la série addictive, selon Fuligni. Sur X, les influenceurs comme MrBeast exploitent cet effet avec des vidéos racontant des gestes altruistes, amplifiant leur légende philanthropique, même si les coulisses sont plus complexes.

 

La fraîcheur des récits (biais de récence)

Les informations récentes influencent plus, un biais de récense décrit par Kahneman. Une légende qui domine l’actualité s’impose. En 2013, Edward Snowden devient une légende – héros ou traître – car ses révélations inondent les médias, selon The Guardian. Les récits plus anciens, comme les abus de la NSA avant Snowden, sont oubliés.

Sur X, les légendes virales, comme les mèmes sur des figures politiques, prospèrent grâce à leur récense. Dans l’espionnage, une légende doit rester « fraîche », avec des mises à jour régulières (ex. : nouveaux documents), pour rester crédible, comme le note Fuligni.

 

Biais de conformisme social

Les légendes prospèrent grâce à la pression sociale, où les individus adhèrent à un récit pour se conformer à leur groupe, un biais étudié par Solomon Asch. La légende de Greta Thunberg comme icône climatique s’impose chez les jeunes, qui adoptent son discours sous l’influence des pairs et des campagnes sur X, comme le note Rebecca Solnit. Ce conformisme, amplifié par les likes et retweets, transforme des récits en vérités apparentes. Historiquement, la légende de Jeanne d’Arc s’est imposée par le conformisme religieux, les Français adoptant son image de sainte sous la pression de l’Église. Dans l’espionnage, les agents exploitent ce biais en créant des récits conformes aux attentes d’un groupe cible, comme le décrit Fuligni, une tactique visible quand Malotru (Bureau des Légendes) gagne la confiance en s’intégrant socialement. Ce biais montre que les légendes ne séduisent pas seulement les esprits, mais aussi les foules.

Les leviers
Légende : les leviers psychologiques

Fin de la premiere partie sur les coulisses des mythes qui nous gouvernent. Dans la seconde partie, nous aborderons l'art de façonner les mythes, mais aussi de les décrypter.

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