MKUltra et frameworks modernes : Des secrets d’un programme de manipulation mentale de la CIA aux outils de contrôle de l’information


De 1953 à 1973, le projet MKUltra de la CIA a exploré les confins de la manipulation mentale, laissant un héritage de traumatismes et de controverses. Ce programme secret, qui a utilisé drogues, électrochocs et torture psychologique sur des milliers de cobayes, souvent sans leur consentement, visait à contrôler l’esprit humain. Aujourd’hui, son ombre plane sur des débats modernes, notamment autour des « frameworks » comme DISARM, des outils de gestion de l’information qui, selon certains, rappellent les ambitions de MKUltra sous des formes plus subtiles. Retour sur les faits, les victimes et les échos contemporains de ce scandale.
Un programme né de la peur
En 1953, dans le contexte de la guerre de Corée, la CIA, sous la direction d’Allen Dulles, lança MKUltra pour contrer les techniques présumées de « lavage de cerveau » des forces communistes. Dirigé par le Dr Sidney Gottlieb, surnommé le « sorcier noir » pour son expertise en poisons, le programme succédait à des projets comme Bluebird et Artichoke, qui expérimentaient déjà l’hypnose et les psychotropes. L’objectif : devancer les ennemis des États-Unis dans la maîtrise de la manipulation psychologique.
Des ambitions terrifiantes
MKUltra avait trois objectifs prioritaires. Tout d’abord programmer des comportements en créant des agents conditionnés pour des missions, y compris des assassinats. Ensuite, extraire des confessions à l’aide du développement de sérums de vérité pour les interrogatoires. Dans l’optique d’influencer des leaders, par exemple en testant des méthodes pour neutraliser des figures comme Fidel Castro. Enfin, exploiter les traumas en étudiant les effets des drogues et des chocs psychologiques pour des applications offensives.
Ces objectifs ont conduit à des expériences d’une cruauté sans précédent, menées dans le plus grand secret.
Méthodes et exemples concrets
MKUltra englobait plus de 150 sous-projets dans 80 institutions – universités, hôpitaux, prisons et laboratoires – aux États-Unis et au Canada. Les méthodes étaient variées et souvent inhumaines :
- Drogues psychotropes : le LSD était la substance phare. Dans l’Opération Midnight Climax, des prostituées attiraient des hommes dans des appartements sécurisés à San Francisco, où ils recevaient du LSD à leur insu. Les agents, cachés derrière des miroirs sans tain, observaient leurs réactions. Au Lexington Narcotics Farm, des détenus étaient exposés à des drogues comme la mescaline, parfois en échange de doses d’héroïne.
- Techniques psychologiques : à l’Institut Allan Memorial de Montréal, le Dr Ewen Cameron pratiquait le « psychic driving», soumettant des patients à des messages audio répétés sous sédation, combinés à des électrochocs et des comas artificiels. Val Orlikow, épouse d’un député canadien, a perdu des années de souvenirs après ces traitements, initialement présentés comme une thérapie pour sa dépression.
- Torture mentale : à l’université McGill, des étudiants, croyant participer à des études anodines, étaient placés en isolement sensoriel, certains développant des troubles psychiques graves.
Le cas du Dr Frank Olson illustre les dérives du programme. Ce biochimiste de la CIA, drogué au LSD en 1953, mourut neuf jours plus tard après une chute du 10e étage d’un hôtel à New York. Officiellement un suicide, sa mort est aujourd’hui soupçonnée d’être un assassinat pour le réduire au silence, Olson ayant exprimé des réserves sur MKUltra.
L’affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit (1951)
En août 1951, le village français de Pont-Saint-Esprit fut secoué par une vague d’hallucinations collectives, touchant environ 250 à 500 personnes, avec sept morts et des dizaines d’internements. Attribuée officiellement à une intoxication par l’ergot de seigle, un champignon produisant des alcaloïdes proches du LSD, l’affaire fut liée à MKUltra par le journaliste Hank P. Albarelli Jr. Dans A Terrible Mistake (2009), il cite des documents de la CIA mentionnant un “Project SPAN” impliquant Frank Olson, un scientifique de l’agence, et suggère que le pain local ou l’air furent contaminés par du LSD pour tester son potentiel comme arme chimique. Un représentant de Sandoz, producteur du LSD, aurait nié la responsabilité de l’ergot, pointant vers le « diéthylamide ».
Cependant, l’historien Steven Kaplan rejette cette thèse, arguant que les symptômes ne correspondent pas pleinement au LSD et que la chaleur des fours aurait détruit la drogue. Malgré l’absence de preuves directes, l’incident, relayé par des posts sur X en 2025, reste un symbole des soupçons d’expérimentations secrètes de la CIA sur des civils, alimentant les débats sur MKUltra.
Des victimes oubliées
Les cobayes, souvent non consentants, incluaient des employés de la CIA, des prisonniers, des patients psychiatriques et des citoyens ordinaires. À l’Arsenal d’Edgewood, des soldats ont été exposés à des drogues expérimentales, certains souffrant de troubles permanents. Au Canada, les expériences de Cameron ont détruit la vie de dizaines de patients, dont beaucoup ignoraient leur lien avec la CIA. Des poursuites, comme celles des familles canadiennes dans les années 1980, ont obtenu des indemnisations partielles, mais les victimes restent largement ignorées.
Révélations et impact
Le programme resta secret jusqu’en 1974, lorsque le New York Times révéla son existence. Les commissions Rockefeller et Church de 1975 exposèrent les abus, et en 1977, 20 000 pages de documents, échappées à la destruction ordonnée par Richard Helms en 1973, confirmèrent l’ampleur du scandale. La CIA reconnut que MKUltra manquait de rigueur scientifique et avait causé des dommages irréversibles, mais peu de responsables furent sanctionnés.
Programmes similaires en France : DGSE, DGSI et autres organes
Aucun programme français équivalent à MKUltra, impliquant des expérimentations systématiques de manipulation mentale avec drogues ou tortures psychologiques, n’a été officiellement documenté ou déclassifié. Cependant, les services de renseignement français, comme la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) et la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), ont été impliqués dans des activités de collecte de renseignement et de contre-ingérence qui soulèvent des questions sur leurs méthodes. La DGSE, créée en 1982 et succédant au SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage), se concentre sur le renseignement extérieur et les opérations clandestines, y compris l’espionnage économique et le contre-terrorisme. Dans « Dictionnaire du renseignement » de Hugues Moutouh et Jérôme Poirot, le chapitre « Manipuler – manipulation » de Gorka Inchaurraga, indiquent que tous les services de renseignement, y compris la DGSE, utilisent des techniques de manipulation pour obtenir des informations ou intoxiquer des adversaires, souvent par la persuasion ou la désinformation.

La DGSI, créée en 2014 et héritière des Renseignements Généraux (RG) et de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), se focalise sur la sécurité intérieure, notamment la lutte contre le terrorisme et les ingérences étrangères. Elle surveille activement les manipulations de l’information, comme les campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, qui visent à déstabiliser la France. Un incident rapporté par Mediapart en 2019 suggère que la DGSI a manipulé des déclarations dans un rapport sur l’attentat de Karachi pour privilégier une thèse (attentat d’Al-Qaïda) au détriment d’une autre, illustrant des pratiques de gestion de la perception. Bien que ces actions relèvent de la désinformation plutôt que de la manipulation mentale au sens de MKUltra, elles montrent une volonté d’influencer les récits publics.
En dehors des services de renseignement, des débats sur la manipulation mentale en France se sont concentrés sur les sectes. En 2000, l’Assemblée nationale a envisagé de créer un délit de manipulation mentale pour réprimer les abus sectaires, défini comme l’exercice de pressions graves ou de techniques altérant le jugement, mais y a renoncé en raison de craintes sur les libertés publiques. Ce débat, analysé par Arnaud Esquerre dans « La manipulation mentale et dispositif d’État. Sociologie des sectes en France », montre que l’État français a ciblé des groupes accusés d’emprise psychologique, sans jamais lier ces pratiques à des programmes officiels de renseignement.
Aucune preuve concrète n’indique que la DGSE ou la DGSI aient conduit des expériences comparables à MKUltra, comme l’usage de drogues ou d’hypnose sur des cobayes. Cependant, des spéculations persistent, alimentées par des œuvres de fiction comme L’Emprise de Marc Dugain, qui dépeint la DGSE et la DGSI comme rivales manipulant des acteurs politiques, ou par des témoignages non vérifiés sur des forums comme X. Ces hypothèses manquent de fondement documentaire, et les archives françaises, contrairement à celles de la CIA, restent largement inaccessibles. Les activités de la DGSE et de la DGSI, bien que secrètes, semblent se limiter à des formes de manipulation plus conventionnelles, comme la désinformation ou la persuasion, dans le cadre de leurs missions légales.
Reprogrammation neurosensorielle dans le sport : une héritière éthique ?
Les techniques de reprogrammation neurosensorielle, popularisées dans le sport de haut niveau, illustrent une application moderne et éthique des neurosciences, contrastant avec les abus de MKUltra. Paul Dorochenko, kinésithérapeute, ostéopathe et préparateur physique, est un pionnier dans ce domaine, notamment via la méthode Allyane, qui combine imagerie mentale, proprioception et sons de basse fréquence pour optimiser les performances. En biathlon, où les tireurs doivent viser avec un rythme cardiaque élevé (parfois 160-180 battements par minute), la reprogrammation aide à automatiser les gestes sous stress. Par exemple, l’Allemand Justus Strelow, connu pour sa précision au tir, a révélé en 2024 que son entraînement intégrait des techniques pour maintenir la constance malgré un cœur battant fort, un domaine où Dorochenko a travaillé pour stabiliser les schémas moteurs sous haute intensité.

Dans le football, Dorochenko a utilisé ces approches pour corriger les déséquilibres, comme chez des joueurs présentant une asymétrie entre les tirs des jambes droite et gauche, en reprogrammant les activations musculaires via des exercices proprioceptifs et des sons alpha (7-14 Hz) pour harmoniser les hémisphères cérébraux. Un cas emblématique est celui de l’athlète française Christine Arron, dont le temps de réaction lent au départ des courses était un handicap. Dorochenko, en collaboration avec des coachs, a employé des techniques d’imagerie mentale et de stimulation neurosensorielle pour améliorer son interprétation du signal du starter, réduisant son temps de réaction. Ces efforts ont contribué à son succès, notamment sa victoire au 100 mètres des Championnats d’Europe de 1998.
La méthode Allyane, soutenue par des études comme celle de Chatain, Dorochenko et Friggeri (2018) sur les déficits d’épaule, montre des gains fonctionnels significatifs, mais son application au sport reste un domaine de pointe, réservé à des professionnels formés.
Accès aux sources et archives
Si la plus grande partie des pièces ont été détruites et ce qui est connu n'est qu'une infime partie de ce qui a été fait, les documents déclassifiés sur MKUltra sont accessibles via plusieurs sources. La Bibliothèque du Congrès conserve les rapports des commissions Church et Rockefeller, disponibles dans ses salles de lecture ou via des bases de données comme ProQuest. Les chercheurs peuvent utiliser le catalogue en ligne catalog.loc.gov avec des termes comme « MKUltra » ou « Church Committee » pour localiser des références, bien que certains documents nécessitent une visite physique. La CIA FOIA Reading Room propose des milliers de pages, dont le Memorandum on MKULTRA project (Document #0005444836).
The Black Vault offre une collection numérique complète, tandis que la National Security Archive compile des mémos et témoignages. Ces ressources, bien que fragmentées par la destruction partielle des archives, permettent de reconstituer l’histoire de MKUltra.
Frameworks modernes : l’héritage de MKUltra ?
Les ambitions de MKUltra résonnent dans les débats actuels sur la manipulation de l’information. Des articles de France-Soir Comprendre les frameworks décrivent les « frameworks » comme DISARM, un outil conçu pour contrer la désinformation, mais critiqué pour son potentiel à restreindre la liberté d’expression. Ces cadres, qui structurent la gestion de l’information, évoquent, selon France-Soir Résister aux frameworks, une « normatisation » rappelant les techniques de contrôle mental de MKUltra. En 2025, des discussions sur X relient ces outils à des scandales récents, comme les révélations sur la censure de contenus en ligne par des agences gouvernementales, suggérant que l’esprit de MKUltra perdurerait sous des formes technologiques.
David A. Hughes et les échos pandémiques de KUBARK
Dans « Covid-19, Psychological Operations, and the War for Technocracy » (2024), l’universitaire David A. Hughes soutient que les mesures de la pandémie de Covid-19 ont repris des techniques du manuel KUBARK, issu de MKUltra, pour manipuler les populations à grande échelle. Il compare les confinements, l’isolement social, et les campagnes de peur (comme « personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas vacciné ») aux méthodes de KUBARK, qui utilisaient le stress et la privation sensorielle pour induire la soumission.
Hughes cite des déclarations d’Ursula von der Leyen sur la vaccination obligatoire ou la marginalisation des non-vaccinés comme des tactiques visant à uniformiser les comportements, évoquant les objectifs de contrôle mental de MKUltra. Il y voit une opération psychologique pour instaurer une technocratie mondiale, une thèse partagée par des figures comme Jean-Dominique Michel, qui dénonce une « corruption systémique » dans la gestion pandémique. Cependant, ces parallèles, bien que provocateurs, restent spéculatifs, car aucun document n’établit un lien direct entre KUBARK et les politiques sanitaires.
L’historien Alfred W. McCoy, dans A Question of Torture (2006), confirme l’influence durable des techniques de MKUltra sur les opérations psychologiques, mais sans les relier à la pandémie. Les thèses de Hughes, alimentent les débats sur la manipulation moderne, tout en soulignant la nécessité d’une vigilance critique.
Un héritage trouble
Officiellement clos en 1973, MKUltra continue d’alimenter les spéculations. Des témoignages, comme ceux de Brice Taylor, évoquent des programmes dérivés, bien que leur crédibilité soit débattue. En France, l’absence de documents déclassifiés sur des programmes similaires limite les conclusions, mais les activités de la DGSE et de la DGSI dans la désinformation et la contre-ingérence soulignent la persistance de techniques d’influence. Les avancées en reprogrammation neurosensorielle, bien qu’éthiques, et les analyses comme celles de Hughes, rappellent que la frontière entre optimisation et manipulation reste ténue.
MKUltra reste un avertissement : jusqu’où le pouvoir peut-il aller pour contrôler les esprits ? Les archives et les récits des victimes rappellent l’urgence de protéger les libertés face à toute forme de manipulation, qu’elle soit chimique, psychologique ou numérique.
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