L'IFI : une rupture d'égalité devant l'impôt ?

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Gérard Auffray avec Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 17 octobre 2017 - 18:01
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Un immeuble ancien à Paris
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
L'IFI pourrait pousser des contribuables à épargner plutôt qu'à investir dans l'immobilier.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
L'ISF va être remplacé par l'IFI, impôt sur la fortune immobilière, comme l'avait promis Emmanuel Macron pendant sa campagne. Une nouvelle forme de la taxe qui entraînera une baisse des investissements dans l'immobilier, poussant les investisseur vers l'épargne, selon Gérard Auffray, président fondateur de la Maison de l'Epargne et Jean-Yves Archer, économiste.

En temps de crise économique et de tensions sur le pouvoir d'achat, les Français sont connus pour demeurer, néanmoins, de solides épargnants. A hauteur de près de 14,8% du revenu disponible.

C'est la fameuse notion d'épargne de précaution où la crainte de l'avenir (et de ces aléas tel le chômage) oriente l'effort d'épargne. On retrouve là un des axiomes de la pensée du dernier prix Nobel d'économie, l'américain Richard Thaler. Adepte de la finance comportementale, cet économiste réputé a toujours insisté sur l'existence et l'importance du "nudge" (coup de pouce) qui vient épauler nos décisions souvent marquées par l'irrationnel.

Les chiffres fiables sont, sans conteste, rationnels: ainsi une récente analyse du Crédit Foncier rapporte que l'immobilier est bien le premier choix de placement (70%) devant l'assurance-vie. Mieux, il faut garder à l'esprit que 16,3% des logements construits (contre 11,6 % en 2014) sont dédiés à du locatif privé.

Autant dire que le nouvel ISF dénommé IFI va bouleverser la donne en attaquant frontalement le palmarès comparé des placements.

Le nouvel IFI, s'il est adopté tel que connu actuellement, risque d'entraîner une sérieuse injustice, une sorte de vraie fracture patrimoniale.

Prenons un cas concret et lisible dans ces matières vite complexes. Imaginons ainsi trois maisons d'égale valeur les unes à côté des autres comme il en existe des milliers en banlieue parisienne. Posons l'hypothèse que leur valeur unitaire se situe juste en-deçà du seuil de déclenchement du futur IFI.

Dans la première maison, le contribuable a l'avantage conséquent de détenir une Bentley et un yacht. Il ne sera pas assujetti à l'IFI et devra s'acquitter de modiques taxes sur ces deux signes ostentatoires de richesse.

Dans la deuxième maison où le maître des lieux est moins matérialiste et plus raffiné, celui-ci détient des objets d'art et des tableaux de grande valeur. Grâce à l'historique de l'IGF, puis de l'ISF et maintenant du futur IFI, il ne paiera rien. Non rien de rien pour reprendre des paroles de la môme Piaf.

Dans la troisième maison, le contribuable a investi, en bon père de famille, ses économies dans un studio pour y loger sa fille étudiante et a investi dans les murs d'un petit magasin pour son fils commerçant. Ceci afin que celui-ci conserve les ressources nécessaires pour les aménagements de son commerce et pour sa publicité sans immobiliser stérilement et bloquer ses moyens dans les murs. Ce contribuable, vous l'avez bien évidemment compris, sera le seul à payer le nouvel impôt sur la fortune.

Où est la justice sociale ? Quid de l'égalité devant l'impôt?

Sur un plan loin de notre exemple, il faut aussi évoquer la question des SCPI (Société civiles de placement immobilier): sujet pratiqué par Gérard Auffray depuis des années.

Les SCPI représentent un produit d'épargne inventé dans les années 60 pour intéresser des petits souscripteurs qui étaient régulièrement rassurés par la perception de revenus trimestriels non spéculatifs et qui investissaient bien souvent dans la perspective de se constituer une retraite complémentaire personnelle.

Comment peut-on imaginer que des épargnants à la surface patrimoniale correcte –sans plus– et qui apprécient le produit SCPI, puissent être attirés par des placements boursiers ou par des start-up là où la spéculation joue à cache-cache avec le risque en capital.

L'IFI va abîmer l'immobilier et les autres placements (hors IFI) vont générer du risque non pas en perte de rendement mais en pertes sèches.

L'épargne est le fruit de la peur et l'investissement le fruit de l'optimisme à condition que l'échelle de risque soit maîtrisable.

Il n'y a jamais vraiment eu d'osmose entre ces deux mondes et il est illusoire qu'il y en ait une, même pour parer la menace d'un nouvel impôt.

D'ailleurs concernant l'IFI, les deux auteurs de cette contribution attirent l'attention avec force sur les risques de contentieux qui vont fleurir quand les porteurs d'assurance-vie qui détiennent une partie de leurs supports en unités de compte (UC) pour partie libellés en SCPI devront déterminer l'assiette imposable –ou non– à l'IFI.

Les quelques 700.000 porteurs de parts de SCPI, qui sont accessoirement des électeurs de plein droit, auront du mal à se figurer que la promesse électorale de toilettage profond de l'ISF ne s'appliquerait pas à leur sort. Voilà un deuxième affluent de ce fleuve de fracture patrimoniale que constitue l'IFI.

Les meilleures intentions de certains parlementaires LREM n'y suffiront probablement pas et la France, cinquième puissance mondiale, va encore faire cavalier seul en matière de taxation du capital en ignorant de facto la base même du comportement des épargnants: la confiance dans les produits, dans les professionnels du placement et dans l'Etat lui-même.

Dans le quartier de la Sorbonne se trouvent réunies, à la Maison de l'Epargne, près de 1.000 affiches qui permettent d'observer que depuis des siècles de nombreux scandales ont ruiné certains épargnants hélas trop crédules ou mal avisés. Du canal de Panama à Stavisky ou Bernard Madoff.

Dans un article du 13 octobre sous la plume de Laurence Boccara, le site Les Echos rappelait: "Leur rentabilité baisse, mais les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) demeurent l'un des meilleurs rapports rendement-risque du moment. Autre atout, elles peuvent être acquises à crédit".

Dès lors, il est économiquement hasardeux de les inclure dans l'IFI sans des règles plus fines et sans tenter de lisser les points saillants de la fracture patrimoniale ici établie.

Une fois de plus, avec le recul historique nécessaire, la conclusion est la même: "l'Histoire de l'épargne est l'histoire d'un grand malentendu".

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