Prélèvement à la source : fiscalité "indolore" et fin de l’imposition par ménage, les vrais objectifs à terme de la réforme

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 15 novembre 2017 - 13:41
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Pour les salariés, l'impôt sera prélevé par l'employeur. Pour les retraités, la caisse de retraite s
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Malgré l'apparence de la simplicité, le prélèvement à la source cache bien des désagréments.
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Le gouvernement a confirmé que le prélèvement à la source sera effectif pour l'année 2019. Si la réforme peut paraître "pratique" à certains contribuables, elle cache son lot de désagréments que les salariés vont rapidement découvrir. Elle serait surtout le premier pas vers une réforme plus vaste qui viserait à mettre fin à la fiscalisation par ménage pour se diriger vers impôt entièrement personnalisé. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, détaille pour "France-Soir" les revers de ce changement majeur.

La mise en œuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu a été différée d'un an et sera donc effective à compter du 1er janvier 2019. Vu de loin, on se dit que cette année de décalage de la réforme montre une fois de plus que la situation est plus complexe à maîtriser que ne le pensaient les anciens ministres Sapin et Eckert. Vu d'un peu plus près, il faut rester vigilant sur l'opportunité de cette réforme.

La France n'avait pas besoin de cette modification car les rentrées fiscales de l'impôt sur le revenu sont excellentes et dépassent les 97%. Chiffre que les progrès de la mensualisation et du prélèvement automatique contribuaient à renforcer.

Alors, il y a le discours officiel de Bercy qui estime que les citoyens auront plus de confort en payant l'impôt dû au fur et à mesure, mois après mois, contrairement à la situation présente où l'on paye en 2017 l'impôt issu des revenus perçus en 2016. C'est ici que commence le débat autour de cette réforme. Tout d'abord, il y a cette curieuse idée d'avoir confié aux entreprises le rôle d'être les percepteurs de premier rang, les collecteurs d'impôts. Ce qui aura un coût.

Ceci va obliger les entreprises à connaître votre taux d'imposition –même si un taux neutre pourra être appliqué– et donc lui permettre d'estimer sans difficulté le montant de vos revenus hors salariat: cas des revenus fonciers d'un placement locatif, etc. Or, qu'on le veuille ou non, on augmente moins un collaborateur dont on sait qu'il a des revenus extra-professionnels: il y a donc un aspect liberticide et contre-productif à cette communication d'informations à votre employeur. Quant aux sanctions pénales prévues pour les employeurs bavards, il est évident qu'elles ne trouveront quasi-jamais à s'appliquer dans les PME où la cellule comptable n'est pas toujours étanche.

De plus, il a été annoncé qu'en cas de recours à un taux neutre, une régularisation aura lieu en fin d'année via une communication directe entre la DGFIP et le contribuable. Autant dire que ceux qui pensent encore que cette réforme va leur simplifier la vie ("c'est plus simple, au mois le mois!" pensent-ils sans doute) la réalité va vite les rattraper et dès 2019, ils n'auront plus la même position favorable qu'actuellement.

L'a priori positif sera évanescent face à la complexité de la liquidation totale de cet impôt qui devra prendre en compte les évènements de la vie moderne: périodes de chômage, divorce, décès d'un conjoint, etc.

Au plan symbolique, il ne faut pas écarter l'existence d'une onde de choc: celle qui va atteindre nombre de salariés lorsque ceux-ci verront leurs salaires nets mensuels minorés, voire "amputés", du montant de l'impôt sur le revenu.

Au plan technique, je suis soucieux des risques de fraudes provenant de certaines entreprises qui collecteront l'impôt mais déposeront parfois le bilan (déclaration de cessation des paiements) avant d'avoir loyalement abondés les caisses du Trésor public. On retrouvera forcément des montants d'impayés comme ceux que subissent les Urssaf ou le Trésor public en matière de TVA. Voir l'importance des "créanciers publics super-privilégiés " dans les passifs de sociétés en liquidation. Sous un autre angle d'approche, nul n'est d'accord sur le montant du coût financier de la collecte de l'Impôt sur le revenu (IR) par les employeurs notamment du fait de la conjugalisation qui est objectivement un élément de complexité.

C'est là que l'on aboutit à la réalité de cette réforme qui va connaître, d'ici à moins de dix ans, plusieurs étages. L'objectif des décideurs de Bercy est d'abolir l'impôt conjugal et de le rendre uninominal. Par ailleurs, il faut se souvenir que de nombreux colloques ont envisagé la fusion de la CSG et de l'IR. Je cite ici bien volontiers l'excellente formule d'Eric Chaney, ancien chef économiste d'AXA, qui considère que la CSG est "en fait la première tranche de l'impôt sur le revenu"…

Dernier point absolument essentiel, le prélèvement à la source va nous priver d'une capacité essentielle: celle de porter un jugement sur la qualité de la gestion publique. Une fois soustrait mois après mois, l'impôt va être indolore par rapport au principe des tiers provisionnels d'autrefois. Bien des contribuables seront dans l'incapacité de reconstituer le coût annuel de la charge fiscale. Tels nos prélèvements mensuels (EDF, mutuelles santé, etc.) l'impôt sur le revenu sera inclus dans nos dépenses "contraintes" et nous continuerons de nous focaliser sur le revenu disponible net.

Pour conclure, il faut évoquer la délicate question des bas revenus qui sont, pour la plupart, non imposables à l'IR. Si une année de succession d'un de ses ascendants, le contribuable redevient imposable, il devra le signaler à son employeur. Autant dire qu'en cas de contentieux, cette relation triangulaire Etat-particulier-employeur risque d'être source de litiges. Qui s'imagine aller contester chez le comptable de son boss pour une question fiscale ?

Voilà les vrais enjeux de cette réforme incomplète et saugrenue dans une France où je suis d'accord avec feu Marc Blondel (Force ouvrière) qui déclarait dès 2001 que l'impôt "c'est le cordon ombilical de la citoyenneté" et contestait ainsi que plus de 50% des foyers fiscaux en soient désormais exonérés. Payer l'impôt c'est connaître la dépense publique et introduire ainsi une vraie possibilité de censure des élus dispendieux.

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