Affaire Carlos Ghosn : pourquoi la justice japonaise est-elle aussi sévère ?

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Damien Durand
Publié le 26 novembre 2018 - 16:45
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Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, le 15 septembre 2017 à Paris
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© ERIC PIERMONT / AFP/Archives
Carlos Ghosn est aux mains d'une justice japonaise qui l'a placé en détention dès sa descente d'avion.
© ERIC PIERMONT / AFP/Archives
Depuis le 19 novembre, Carlos Ghosn est emprisonné dans une prison de Tokyo, soupçonné d'avoir sous-évalué volontairement sa rémunération pendant plusieurs années. La justice japonaise reste discrète sur les éléments exacts qu'elle a en sa possession et s'avère particulièrement sévère à l'encontre de Carlos Ghosn, elle qui est volontiers complaisante avec ses grands patrons pris dans le scandale.

En une semaine, le patron de l'alliance la plus puissante du secteur de l'automobile est passé du statut de mythe du capitalisme international à celui de détenu en garde à vue dans une prison japonaise. Carlos Ghosn, 64 ans, a quitté lundi 19 son luxueux jet Gulfstream G650, où les policiers japonais sont venus le saisir, pour une cellule forcé de rester assis sur le sol en tailleur de 9h à 17h sous la surveillance des gardiens, comme tous les détenus. Un traitement de choc qui étonne en France, peu habituée à voir ses grands patrons en détention, provisoire ou définitive. Dans l'Hexagone, le cas ne semble plus s'être produit pour les patrons de premier plan depuis Loïk Le Floch-Prigent au milieu des années 2000.

Une partie des commentateurs s'est alors étonné –voire félicité pour les plus critiques– de la promptitude avec laquelle le Japon a mené l'investigation et a traité sans complaisance l'un de ses PDG les mieux payés. Une sévérité en apparence qui soulève pourtant des questions: le Japon a plutôt l'habitude d'agir avec une tolérance largement critiquée dans l'opinion publique à l'égard de ses patrons, parfois pour des scandales beaucoup plus graves.

Sur les dernières années, les grandes entreprises japonaises ont été secouées par une série de scandales qui n'ont pas débouché sur un placement en détention malgré la gravité des faits. Que ce soit Tepco, l'exploitant de la centrale de Fukushima, à Takata dont les airbags défectueux ont entraîné la mort de 15 personnes, les dirigeants d'entreprises dont les malversations présumées ont provoqué des décès ont échappé à la case prison. Idem pour les dirigeants de Toshiba, miné par un scandale financier, ou Olympus dont le dirigeant britannique Michael Woodford était impliqué dans une affaire de détournement sur 1,7 milliard de dollars. A côté, la sous-évaluation suspectée de 39 millions d'euros de la rémunération de Carlos Ghosn entre 2011 et 2015 semblerait presque une goutte d'eau. Mais c'est bien le patron français qui se retrouve enfermé dans une cellule de la prison de Kosuge dans la banlieue de Tokyo, pour une durée pouvant aller jusqu'à 22 jours.

Pourtant, malgré l'apparente vigueur de l'investigation, l'avancée de l'enquête reste opaque. Carlos Ghosn nie en effet les accusations qui lui sont portées et, sept jours après son arrestation, il n'a toujours pas été mis en examen pour l'infraction à la loi FIEL (Financial Instruments and Exchange Law) qui lui vaut d'être détenu. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a lui-même confirmé dimanche 25 sur l'antenne de BFMTV ne pas avoir "d'informations sur les reproches faits à Carlos Ghosn".

Lire aussi - Carlos Ghosn: un seul motif d'arrestation et de très nombreuses rumeurs

Seule certitude confirmée par les médias nippons pour l'instant dans cette affaire encore obscure, la justice japonaise a obtenu les éléments nécessaires à l'arrestation de Carlos Ghosn via deux "lanceurs d'alerte" qui seraient impliqués dans les montages financiers qui auraient permis au PDG de soustraire les 39 millions de ses revenus. Selon le journal Nikkei, l'un des deux hommes serait un cadre dirigeant de Nissan âgé de 54 ans qui n'est pas de nationalité japonaise, le second, lui, serait Japonais. Ceux-ci auraient négocié une clémence de la justice pour leur propore compte en échange d'informations pour "charger" leur dirigeant.

Pourtant, certains aspects du dossier laissent entendre que les éléments détenu par la justice japonaise sont sérieux. La presse japonaise avance que le parquet détiendrait d'autres éléments contre l'ex PDG de Nissan et Mitsubishi (mais toujours celui de Renault) sur des malversations postérieures à 2015, des éléments qui permettraient d'initier une nouvelle garde à vue à rallonge. Et les plus proches de Carlos Ghosn se sont très rapidement désolidarisés de leur ancien patron. Il y a bien sûr eu le cas étonnant de Hiroto Saikawa le directeur général de Nissan, fidèle du patron français, qu'il décrivait dans une interview à L'Obs comme "un génie", qui a tenu une conférence de presse dès le 19 novembre pour évoquer le "côté obscur" de son ancien chef. Mais il y a aussi la position prise par les deux membres français représentant Renault au conseil d'administration de Nissan, débarqué à Yokohama pour demander une suspension à titre provisoire et qui ont finalement voté le renvoi du PDG après consultation des éléments portés à leur connaissance. Autant de signes –mais point de certitudes– qui laissent augurer de révélations prochaines, et qui pourraient pousser l'Etat français (actionnaire à 15% de Renault) à sortir de sa position réservé vis-à-vis de Carlos Ghosn pour qui les jours à la tête de la marque au losange semblent comptés.

Voir aussi:

Carlos Ghosn nie les accusations qui le visent, selon la chaîne NHK

Nissan: le conseil d'administration révoque à l'unanimité Carlos Ghosn

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