Brexit : le Royaume-Uni et la tentation du paradis fiscal

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DD.
Publié le 14 mars 2019 - 17:47
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La livre sterling en nette hausse
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© PAUL ELLIS / AFP
Le Royaume-Uni pourrait être tenté de jouer la carte du dumping fiscal.
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En cas de Brexit sans accord, le Royaume-Uni devra faire face à des risques majeurs pour son économie, en devenant un pays moins attractif pour les investisseurs étrangers. De quoi envisager pour Londres de jouer la carte du dumping fiscal, n'étant plus soumis à des critères européens sur ses comptes publics.

Croissance en berne, chute de l'immobilier, effondrement de la livre sterling et envolée des prix… Depuis le jour du vote manifestant la volonté des citoyens britanniques de quitter l'Union européenne, le pire a été annoncé en cas de Brexit sans accord. Quinze jours avant la date prévue, il n'y a toujours aucun accord. Et le Royaume-Uni est en train de penser, visiblement à la hâte, aux moyens d'éviter le choc économique.

Londres a déjà confirmé qu'elle garderait ses droits de douanes nuls sur 87% de ses importations pendant 12 mois (voir ici) pour ne pas bouleverser son commerce extérieur. Mais dans la durée, l'absence d'accord amènera la Royaume-Uni à être un pays en marge économiquement des 27 autres Etats. Autrement dit un territoire sans accord économique et commercial avec un marché de 500 millions de consommateurs. De quoi effrayer les investisseurs extra-européens dont certains ont déjà pris des mesures radicales. Le 19 février dernier, le japonais Honda annonçait par exemple la fermeture de son usine de Swindon (ouest de Londres) avec 3.500 emplois menacés à la clé. Face à la menace, quelle pourrait être la réponse de Londres? Acculé économiquement, le royaume pourrait opter pour le dumping fiscal. Un choc majeur pour l'Europe de la part d'un ancien membre devenu nouveau voisin, et accesoirement sixième économie mondiale.

Premier élément, dont les premiers jalons sont déjà posés: le taux d'impôt sur les sociétés (IS). Déjà faible au Royaume-Uni par rapport aux standards européens avant le Brexit avec un taux de 20% (la France taxe la majorité des bénéfices des sociétés à 33%, mais baissera à 25% en 2022), le taux britannique a baissé à 19% en avril 2017 (après le vote, mais la décision a été prise avant le référendum) et devrait passer à 17% en 2020. En apparence, la baisse du taux britannique vise à résister à l'attractivité fiscale de l'Irlande et son taux d'IS à 12,5%. Mais Londres pourrait tenter de jouer une autre carte: celle de la conquête des Gafam, ces géants américains du numérique qui ont élu domicile en Irlande pour des raisons fiscales, afin de facturer des services dans toute l'Europe depuis cette filiale irlandaise et profiter de la pratique "double irlandais" (voir ici) qui permet d'assurer une fiscalité réduite par un montage financier complexe et décrié, mais qui ne sera cependant plus possible après 2020. Or les géants du numérique pourrait être tentés de quitter le pays, membre de l'UE, pour se relocaliser à Londres où ces entreprises ont d'ailleurs déjà annoncé des projets d'implantation et de développement. Sur le papier, l'opération pourrait être rapide: une simple domiciliation de filiale est d'une simplicité sans commune mesure avec l'attraction d'un tissu industriel. Pour la majorité des autres Etats de l'UE qui n'ont jamais pu attirer les Gafam faute d'un cadre fiscal favorable, l'opération serait indolore. L'Irlande, elle, serait la grande perdante. Le Royaume-Uni pourrait être gagnant à long terme sous réserve d'encaisser un choc budgétaire à court terme issu de la baisse des rentrées fiscales. Une option envisageable pour un pays sorti de l'Union européenne, qui ne serait donc plus formellement soumis aux critères de Maastricht sur le déficit public.

Lire aussi: Les députés britanniques se prononcent sur un report du Brexit

Autre piste que Londres ne devrait pas se priver de choisir: les droits de douanes. Avec dans le viseur, la question sensible du rapport avec les Etats-Unis. Les négociations autour du traité Tafta, qui doit baisser les droits de douanes et les barrières réglementaires entre Europe et Amérique, s'enlisent. Le parlement européen a d'ailleurs refusé lors d'un vote ce jeudi 14 d'autoriser la reprise des négociations. Le Royaume-Uni pourrait être tenté de jouer la carte du dumping en proposant un accord bilatéral très favorable à Washington. La discussion est déjà en cours –un accord de "Mutual Reognition Agreement" doit déjà rentrer en vigueur entre les deux Etats le 29 mars– et, signe qui ne trompe pas, le projet est largement soutenu par les partisans du Brexit comme le rapporte la presse locale (voir ici).

Les possibilités britanniques sont donc bien réelles et pourraient durablement modifier les équilibres économiques en Europe. De quoi motiver Bruxelles qui derrière un discours ferme en façade –avec des réticences affichées pour accorder un nouveau délai à Londres– aurait tout intérêt à ne pas voir celui qui était son ancien membre devenir son principal rival.

Voir aussi:

"Dans les limbes" : les Britanniques de France las du feuilleton Brexit

Macron/Brexit: l'accord de retrait n'est pas "négociable"

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