Vincent Lambert : dix ans dans l'impasse

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Par Fanny LATTACH - Reims (AFP)
Publié le 28 septembre 2018 - 11:33
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Des membres du comité de soutien de Vincent Lambert devant l'hôpital Sébastopol de Reims le 23 juillet 2015
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© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP/Archives
Des membres du comité de soutien de Vincent Lambert devant l'hôpital Sébastopol de Reims le 23 juillet 2015
© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP/Archives

Dix ans que les autres parlent pour lui: Vincent Lambert a fêté en septembre ses 42 ans, dont dix comme patient tétraplégique au CHU de Reims (Marne) sans que ses proches, déchirés par des valeurs contraires, ne s'accordent sur son sort qui fait écho au débat sur la fin de vie.

Les anniversaires défilent mais sa vie ne lui appartient plus depuis ce 29 septembre 2008, jour où la voiture de Vincent Lambert, 32 ans, marié et père de famille, a percuté un arbre.

Cet accident, sur une petite route près de Châlons-en-Champagne (Marne), a laissé cet infirmier psychiatrique cérébrolésé et tétraplégique. Cinq ans plus tard, le début de la bataille judiciaire autour de son maintien en vie ou non le propulse sur le devant de la scène médiatique: son cas devient une affaire.

Au moment de la première tentative d'arrêt des soins en 2013, "les médecins ont arrêté la nutrition mais continué l'hydratation: c'était une erreur. S'ils n'avaient pas fait ça, il n'y aurait pas d'affaire Lambert, parce qu'il serait mort", confie à l'AFP Bernard Devalois, directeur du Centre de recherche bientraitance et fin de vie, relié au centre hospitalier de Pontoise (Val d'Oise).

Outrés d'apprendre le traitement réservé à leur fils, ses parents obtiennent par décision de justice le rétablissement de l'alimentation, car aux yeux de Pierre et Viviane Lambert, catholiques proches des milieux intégristes, cette option est tout simplement inenvisageable.

La deuxième procédure d'arrêt des traitements, menée comme la précédente par le Dr Kariger en 2013, n'a jamais été mise en oeuvre, avortée par le manque de réactivité de l'hôpital et engloutie sous les recours juridiques, malgré les lésions cérébrales "irréversibles" pointées par le Conseil d'Etat en 2014, puis l'avis favorable de la Cour européenne des droits de l'Homme en 2015.

L'administration du CHU de Reims n'a, selon le Dr Devalois, qui fut expert consultant dans cette procédure collégiale, "pas brillé par un courage émérite" et gère le dossier "les deux pieds sur le frein", plaçant les médecins en première ligne. Deux ont jeté l'éponge face aux pressions, l'actuel a déjà reçu des menaces.

- "Légume" -

"Vincent m'avait dit +Ma hantise, c'est de finir comme un légume+. Il avait ce côté absolu, indépendant", avait confié son neveu François Lambert, décidé à faire respecter, à l'instar de cinq frères et soeurs du patient et de son épouse Rachel, son refus d'un acharnement thérapeutique, une volonté que son oncle n'a toutefois jamais écrite.

De Belgique où elle s'est réfugiée loin des soubresauts de l'affaire, sa femme et tutrice légale depuis 2017 vient à l'hôpital de Reims voir un mari pas tout à fait absent, pas vraiment présent non plus... C'est toute la complexité de l'état de conscience minimale.

Il reçoit parfois de curieuses visites comme celle, le 5 juin 2015, d'un membre de son comité de soutien, opposé à l'euthanasie, qui le filme pour prouver sa supposée capacité à déglutir ou à suivre des yeux un interlocuteur.

"On va te faire sortir de là, c'est injuste", lui dit alors au téléphone sa mère, qui écrira plus tard en 2018, dans une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, sa crainte que son fils "handicapé" mais "vivant" puisse être "sacrifié pour faire un exemple".

Cette vidéo qui expose l’intimité d'un homme sur son lit d'hôpital totalise à ce jour plus de 700.000 vues.

Il faudrait que Vincent Lambert soit transféré dans une unité spécialisée, qu'il soit rééduqué et qu'il ait une "vie sociale" car il a montré des "progrès", sources "d'évolutions majeures", ont plaidé à maintes reprises les avocats des parents devant les tribunaux.

Le cas Lambert, symbole malgré lui du débat sur la fin de vie, fédère un agglomérat de "la catho-fachosphère, qui n'est pas l'église catholique, mais un mouvement intégriste doté d'une puissance sur les réseaux sociaux", estime M. Devalois, soulignant que "dans un Etat de droit", on assiste à "l’acharnement juridique extrêmement intelligent de la part des +pro-life+".

De recours en référés, cette partie s’appuie sur l’arsenal juridique à sa disposition et, même après l'échec d'obtenir la tutelle ou le refus de pouvoir transférer le patient vers un autre établissement, n'abdique jamais.

- Consensus "illusoire" -

Depuis dix ans, l'hôpital est le purgatoire de Vincent Lambert, pris au piège dans ce "corps souffrant", selon son médecin du CHU, le Dr Vincent Sanchez.

Se réveiller et s'endormir, cligner des yeux, émettre quelques sons, déglutir: est-ce cela, vivre ? Au terme d'une nouvelle procédure collégiale -la quatrième en cinq ans- celui-ci a décidé que non et conclu, le 9 avril, à l'arrêt des soins comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, en vertu de "l'obstination déraisonnable" faite au patient, selon ses observations.

Pourtant, une nouvelle expertise a été demandée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par les parents. La valse des experts -nomination, désistement, re-nomination- pour la réaliser a repoussé la remise du rapport, attendu fin octobre.

A l'intérieur de ce mélodrame familial, les lignes se sont tendues, ce qui fait dire à Gérard Chemla, avocat de François Lambert, que "tout ce qui va vers un consensus et une médiation est complètement illusoire". Dix ans après, chacun reste barricadé dans son camp, retranché derrière sa douleur et ses convictions.

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