Après plus de trois semaines de grève des avocats, des juridictions à bout de nerfs

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Par Caroline TAIX avec les bureaux de l'AFP en région - Paris (AFP)
Publié le 30 janvier 2020 - 19:11
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Des avocats en grève au tribunal de Bobigny, près de Paris, le 22 janvier 2020
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© Lucas BARIOULET / AFP/Archives
Des avocats en grève au tribunal de Bobigny, près de Paris, le 22 janvier 2020
© Lucas BARIOULET / AFP/Archives

A Angers, tous les dossiers devant le juge pour enfants renvoyés; à Grasse, 80% des affaires doivent être reprogrammées: la grève dure des avocats contre la réforme des retraites a un impact très lourd dans de nombreuses juridictions et exaspère des magistrats déjà surchargés de travail.

Début janvier, la présidente du Conseil national des barreaux (CNB) Christiane Féral-Schuhl avait prévenu: "le gouvernement n'entend que les professions qui bloquent la France. Nous allons nous faire entendre en désorganisant la mécanique judiciaire".

L'appel a été entendu: la mobilisation est une première par son ampleur et sa durée, selon le CNB, qui représente les 70.000 avocats français. Le projet de réforme prévoit notamment de doubler les cotisations retraite (de 14 à 28%) pour les avocats gagnant moins de 40.000 euros par an, alors que les pensions, actuellement au minimum de 1.400 euros net, passeraient à 1.000 euros.

Depuis le 6 janvier, les avocats ont massivement demandé des renvois d'audience, des mises en liberté, ont investi en force les bancs de la défense, soulevant de multiples points de droit. Cette stratégie fonctionne d'autant mieux que les magistrats acceptent globalement les demandes de renvois.

La Chancellerie n'a pas souhaité donner de chiffres sur l'impact de la grève, mais les informations obtenues par l'AFP dans les juridictions rendent compte de ce mouvement inédit.

A Marseille, depuis le début du mouvement, 718 affaires ont été renvoyées sur 1.200 au pénal (soit 60% de renvois), selon la présidente du tribunal judiciaire Isabelle Gorce. Ce taux monte à 68% au civil avec 4.600 affaires renvoyées.

"Ce retard ne sera pas rattrapable dans l'année, on est déjà en train de renvoyer des audiences sur 2021", déplore la magistrate.

A Grasse, ce sont 8 affaires sur 10 (soit environ 2.500) qui ont été reportées, selon la présidence du tribunal.

A Dijon, au civil et au pénal, c'est le cas d'environ 90% des affaires. "La juridiction est quasiment totalement paralysée", explique le président du tribunal Bruno Laplane. 100% des mesures de référé ont été renvoyées, tout comme les affaires de divorce car l'avocat est obligatoire dans ces procédures.

- "Outil de pression" -

A Pontoise, aux assises, une affaire renvoyée sera jugée en décembre 2020: les accusés passeront donc onze mois supplémentaires en détention provisoire. En correctionnelle, "pour certains prévenus comparaissant détenus, il y a le risque de ne pas pouvoir renvoyer dans les délais légaux, ce qui conduira juridiquement à leur remise en liberté", prévient le procureur Eric Corbaux.

"L'impact est très très fort sur le plan pénal", explique le procureur de la République d'Angers, Eric Bouillard. "En 2019 on avait gagné un mois de délai d'audiencement, tout le bénéfice de ce travail est perdu. (...) Ca va être extrêmement compliqué de récupérer tout ça".

A Toulouse, les chefs de juridiction ont, dans une motion, déploré que les actions des avocats "déstabilisent le fonctionnement du service public de la justice au mépris des libertés et des droits fondamentaux".

Certains magistrats ne cachent plus leur exaspération. "Les avocats nous prennent comme outil de pression. Ils nous plombent nos audiences, ne respectent pas notre travail", critique une magistrate parisienne, sous anonymat. "Ils ne se rendent pas compte de nos conditions de travail!". Un autre magistrat parle de "sabotage organisé".

Le procureur de Rennes Philippe Astruc n'a pas mâché ses mots à l'audience solennelle de rentrée, le 20 janvier: "Il ne peut être admis (...) que l'audience devienne une agora ou le terrain d'expression de revendications. En un mot, il ne peut y avoir de +giletjaunisation+ de l'audience".

"Cette situation va durablement impacter les relations entre les avocats et la justice", prévient Jean-François Thony, procureur général de la cour d'appel de Rennes.

"C'est un conflit qui n'est pas contre la juridiction, on n'a pas du tout l'intention d'entrer dans une relation conflictuelle" avec les avocats, tente pour sa part d'apaiser la présidente du tribunal de Marseille.

Le Syndicat de la magistrature accuse lui la ministre Nicole Belloubet: "il nous paraît essentiel que les professionnels de justice ne se divisent pas face à un ministère qui, depuis trop longtemps, les maltraite, ainsi que les justiciables".

ctx-burs/asl/blb/nm

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