A Fleury-Mérogis, le Noël des détenus les plus pauvres tient dans un carton

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Par AFP
Publié le 15 décembre 2017 - 13:21
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Un volontaire du "Secours Catholique" distribue des cadeaux de Noël dans la prison de Fleury-Mérogis
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© Philippe LOPEZ / AFP
Un volontaire du "Secours Catholique" distribue des cadeaux de Noël dans la prison de Fleury-Mérogis, le 14 décembre 2017
© Philippe LOPEZ / AFP

"Ah ouais du chocolat, c'est vraiment l'esprit de Noël !" Dans sa cellule de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), Kader sourit jusqu'aux oreilles en découvrant les présents du Secours catholique. Sans papier cadeau, le carton produit néanmoins son petit effet.

Voilà dix mois que ce quadragénaire aux cheveux gominés est incarcéré dans la plus grande prison d'Europe. Pour son premier Noël derrière les barreaux, il n'attendait aucune visite. "Toute ma famille est en Algérie", raconte cet ancien habitant de Corbeil-Essonnes. Alors il le répète aux bénévoles de l'association : "merci, merci, merci".

Un cahier, stylo et calendrier, des biscuits, quelques produits d'hygiène, des chocolats, une carte de Noël rédigée par des collégiens. Sans oublier un bonnet et une écharpe tricotés à la main. Les cadeaux sont frustes, dictés par les impératifs sécuritaires et le pragmatisme.

"On évite les bonnets rose ou jaune poussin", explique Thierry Maes, un des bénévoles qui pousse le chariot de Noël de porte en porte. "Sinon ils se font traiter de pédale dans la cour et se font frapper."

Comme à Kader (les prénoms des détenus sont modifiés), le même carton est remis à tous les "indigents" : les détenus les plus démunis, dont le "compte prison" est crédité de moins de 50 euros chaque mois. Ils sont 850 à en bénéficier, soit presque 20% des 4.500 emprisonnés à Fleury.

La distribution, assurée par une centaine de volontaires, se déroule de jeudi à samedi, une dizaine de jours avant Noël. Très appréciée derrière les barreaux, l'opération existe depuis 27 ans.

"La fête de Noël, c'est quand même une icône familiale, donc c'est la plus difficile à passer en prison", témoigne l'aumônier laïc, Eric Julien, chargé d'ouvrir les cellules aux bénévoles.

"Les enfants nous manquent", confirme Joël, 40 ans, détenu depuis cinq mois. "On ne peut pas les voir, alors qu'on sait que pour eux dehors, c'est la fête."

Une solitude vécue par chacun dans la promiscuité d'une cellule de 9m2, construite pour une personne mais presque systématiquement partagée par deux détenus en lits superposés.

- L'autre cadeau: "l'écoute" -

Lorsque les bénévoles livrent leurs cadeaux, les inégalités entre co-détenus sautent aux yeux. Dans sa cellule Rajesh, 20 ans, dont six mois de geôle, cohabite avec Marwan et son onéreuse collection de baskets.

"Il me manque rien à moi, que la liberté", nargue le trentenaire. Lui enrichit régulièrement les repas de base avec des produits de la "cantine" - le catalogue des extras.

Les "indigents" reçoivent 20 euros par mois de l'administration pénitentiaire. Une somme vite envolée, lorsqu'on a quatre rouleaux de papier toilette gratuits chaque mois, que l'on doit acheter la plupart de ses produits d'hygiène, et que le tabac reste souvent une priorité.

Maxime Daeninck distribue donc quelques cigarettes, en bonus. De quoi égayer les plus renfrognés et créer du lien, pour cet étudiant en droit soucieux de "voir l'envers du décor", avant une future carrière judiciaire.

"On essaie d'apporter un peu d'écoute, et pas seulement à ceux à qui on apporte des colis", explique le bénévole de 24 ans.

Les échanges sont souvent brefs, entre ceux qui ne parlent pas français, les mal réveillés et les colosses timides. Mais lorsqu'il tend ses cadeaux à Marcelino, le nouveau venu tombe en arrêt devant le "calendrier interreligieux".

"C'est vraiment important, parce que je commence à être paumé ici", confie cet "orthodoxe" de 21 ans. Il compte les jours depuis son arrivée dans la maison d'arrêt - "deux semaines et un jour" -, mais craint de perdre le fil.

"Ca teste ta patience, ici", s'épanche-t-il. "Tu peux pas rester tout le temps devant la télé, faut s'occuper : je lave mes vêtements, je fais des pompes, je tourne sur moi-même".

"C'est psychologique, ça travaille le cerveau", confie Hakim dans une autre aile, pendant que son co-détenu reçoit ses cadeaux. Le grand gaillard de 32 ans raconte l'oisiveté forcée, les mois sur liste d'attente pour accéder à la moindre activité : travail pénitentiaire, bibliothèque ou sport.

"Enfin on va pas se plaindre, j'ai fait des conneries, j'assume", se reprend-il. "En tout cas, voir des gens de l'extérieur, ça change un peu".

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