"Le Brexit ? C'est quoi ?" : dans le Nord, les rêves d'Angleterre intacts des migrants

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Par Shahzad ABDUL - Calais (AFP)
Publié le 10 mars 2020 - 09:00
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Des migrants après l'évacuation de leur camp aux alentours de Calais, le 9 mars 2018
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© Philippe Huguen / AFP/Archives
Des migrants installent leurs tentes dans la zone industrielle des Dunes, le 9 mars 2018 à Calais
© Philippe Huguen / AFP/Archives

Arshad s'extirpe d'une tente et arrive à cloche-pied devant l'ambulance, pour faire examiner sa cheville. S'il n'a rien de cassé, le Pakistanais fera sa 21e tentative de traversée clandestine de Calais vers le Royaume-Uni, terminus rêvé des migrants malgré le Brexit.

Poncho balayé par des bourrasques de vent, le jeune homme se tient en équilibre, une main sur l'épaule de son fils, six ans, avec lequel il "survit" depuis six mois dans la zone industrielle des Dunes, nouvelle antichambre de l'Angleterre depuis le démantèlement de la "jungle" de Calais.

Pour lui, comme pour les centaines d'exilés qui s'entassent dans des tentes et des abris de fortune sur les terrains vagues en bordure de stations-service, la sortie du Royaume-Uni de l'UE il y a un mois n'a "aucune importance": la traversée, coûte que coûte, cachés dans des camions ou par bateau, reste l'unique horizon.

Et qu'importe s'il a déjà échoué "vingt fois", toujours repéré par les chiens renifleurs dans des camions, "un jour ça passera", positive Arshad auprès de l'AFP.

La France? Il n'y a même pas demandé l'asile, conscient de son statut de "Dubliné", qui le fait dépendre administrativement de l'Italie, premier pays d'Europe où il a posé le pied.

Arshad a déjà englouti 2.000 euros en six mois d'épopée calaisienne, récupérés grâce à des mandats cash, et se laisse encore deux mois pour réussir. "Sinon, je retournerai au Pakistan", marmonne-t-il à travers l'épaisse barbe qui lui mange le visage.

- "Prises de risque" -

"Le Brexit? C'est quoi?", demande Sohail (prénom d'emprunt), un Afghan de 20 ans arrivé à Calais depuis deux semaines, en sortant de l'ambulance de Médecins du monde (MdM).

"Ils ne sont plus dans l'Europe? Mais si, c'est juste en face, regardez. On prend un camion, on y est", se persuade ce natif du Panshir entre deux quintes de toux.

Le bateau est l'autre mode de traversée, de plus en plus plébiscité, en raison de son plus faible coût, des nombreux succès et du renforcement des contrôles au niveau du tunnel sous la Manche depuis le Brexit.

En 2019, 2.758 migrants ont été secourus par les autorités françaises et britanniques en tentant de traverser la Manche par la mer. Soit quatre fois plus qu'en 2018, selon la préfecture maritime. Quatre autres ont été retrouvés morts en mer et sur une plage française.

"Les traversées ont explosé, parce que tout le monde est bloqué ici. Quand on est coincé, les prises de risque augmentent", déplore Franck Esnée, responsable de MdM dans les Hauts-de-France, dénonçant une "stratégie du pourrissement sur le littoral", où les autorités cherchent à "épuiser" et "rendre invisible" les migrants.

- "Laissez-nous passer" -

Abdul, un Kurde irakien de 25 ans, emmitouflé dans une doudoune bleue, ne tentera le bateau qu'en dernier recours: "Le camion, c'est plus sûr. Soit tu arrives à rallier le Royaume-Uni par chance, soit tu es capturé par la police, mais au moins, tu es en vie", explique-t-il lors d'une distribution alimentaire à Grande-Synthe, près de son campement insalubre installé dans des hangars désaffectés.

Ses multiples tentatives en trois semaines ont échoué, mais il promet de continuer jusqu'à l'épuisement. "Pour ceux qui vivent ici, le Brexit ne change rien. Peut-être que ça va être plus dur, mais on essaiera quand même parce qu'on y a des proches, des amis, parce que c'est plus facile d'y trouver du travail", poursuit-il dans un anglais impeccable. "Alors qu'en France, il y a déjà la barrière de la langue, et l'emploi est plus rare."

Le grand sourire d'Hassan, son compatriote, tranche avec les mines déconfites de ceux qui traversent à pied l'autoroute A16, séparant le camp du parking de la réserve naturelle de Puythouck, où s'effectue la distribution. Ce matin-là, au réveil, Hassan a vu sur Facebook que la Turquie avait ouvert ses frontières pour laisser affluer les migrants vers l'Europe.

"Pourquoi la France n'ouvre-t-elle pas les siennes pour qu'on aille au Royaume-Uni? S'il vous plaît, laissez-nous passer légalement, pour avoir une vie meilleure", réclame-t-il.

Sinon, glisse-t-il, "nous serons bientôt beaucoup plus nombreux ici".

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