L'histoire renouée du massacre d'Ascq, un "Oradour du Nord"

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Par AFP
Publié le 13 novembre 2017 - 09:15
Mis à jour le 14 novembre 2017 - 15:10
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Plaque commémorative à la mémoire des victimes du massacre d'Ascq de 1944 dans le Nord, le 13 novemb
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© DENIS CHARLET / AFP
Plaque commémorative à la mémoire des victimes du massacre d'Ascq de 1944 dans le Nord, le 13 novembre 2017
© DENIS CHARLET / AFP

Les cloches n'ont pas sonné à Ascq le dimanche des Rameaux de 1944: le curé a été assassiné dans son presbytère comme 85 autres victimes d'une division SS. Les descendants de cet "Oradour du Nord" espèrent aujourd'hui un procès en Allemagne.

Cachée sous les toits avec sa petite soeur, sommée de ne pas faire de bruit par sa mère "qui nous a dit qu'on risquait de mourir", Béatrice Delezenne, 7 ans à l'époque du drame, se souvient "des coups de feu en pleine nuit" dans ce village de 3.000 habitants près de Lille.

Son père, depuis l'oeil de boeuf de la maison familiale a vu, lui, comment "les Allemands sont venus tirer du lit et emmener (son) grand-père, un vieillard de 75 ans. C'est la dernière fois qu'il le voyait. Sa femme, ma grand-mère, lui a donné une couverture et quelques tartines..."

La scène se passe à proximité immédiate de la voie de chemin de fer où habitait la famille de Mme Delezenne, la nuit du 1er au 2 avril 1944.

Un train transportant 350 à 400 SS de la "Hitlerjugend" (Jeunesse hitlérienne) en route vers la Normandie déraille légèrement, à la suite du sabotage de résistants, qui visaient en réalité un train de marchandises. Il n'y a pas de blessé, mais la répression est terrible.

Plusieurs commandos de SS, certains avinés, investissent ainsi la petite ville, frappent aux portes, et rassemblent les hommes. Le plus jeune a 15 ans, le plus âgé est le grand-père de Mme Delezenne, négociant en grains retraité.

Ils sont fusillés par vagues, jusqu'à 01H00 du matin. Un massacre, où périront des fratries, le curé, le vicaire... Des faits remarquablement documentés au Mémorial d'Ascq, qui surplombe légèrement la voie ferrée.

Cinq ans plus tard s'ouvre à Lille devant un tribunal militaire le procès de 17 SS, dont le lieutenant Hauck, responsable de cette division, 25 ans à l'époque, mobilisé avant sur le front russe. Dans une ambiance de "lynchage médiatique", comme le raconte l'historienne Jacqueline Duhem, il sera condamné à la peine de mort, comme 15 autres, dont sept par contumace. Tous finiront par être graciés en 1955 par le président René Coty, "au nom notamment de la réconciliation franco-allemande", puis libérés.

- Un grand désarroi à Ascq -

Mais "l'idée que des assassins, qui ont massacré sans raison, puissent mener une vie tranquille en Allemagne passe mal" pour Alexandre Delezenne, 51 ans, fils de Béatrice.

Il décide alors en 2013 d'écrire au parquet de Dortmund, compétent en matière de crimes nazis. Celui-ci décide de rouvrir l'enquête. "Sans moi, l'histoire d'Ascq serait sans doute restée dans les cartons judiciaires", poursuit, sans forfanterie, M. Delezenne, qui a "baigné dans cette histoire depuis toujours".

Ce mandataire judiciaire de Dunkerque nourrit aussi "une certaine amertume" du fait "qu'on parle beaucoup des autres massacres comme Tulle ou Oradour (642 tués)". Il dit agir "pour l'honneur de (sa) famille et des 86 victimes". Le "retentissement" du massacre jusqu'au début des années 1950 s'est en effet estompé "notamment parce que les familles de massacrés veulent rester entre elles".

Le parquet de Dortmund a en tout cas transmis le dossier mi-octobre à celui de Celle (Basse-Saxe), près d'où réside un suspect de 94 ans, l'un de ceux condamnés par contumace, qui a fait l'objet de réquisitions et interrogatoires.

Son procès aura-t-il lieu prochainement? Il s'agit d'abord de lever un obstacle juridique "car selon le droit européen, personne ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits", selon un porte-parole du parquet de Celle. Une "requête a été adressée à la justice française", précise-t-il.

Dans cette attente, il s'agit aussi de constituer les parties civiles pour que cette histoire "ne reste pas une affaire allemande", résume le juriste allemand Andrej Umansky, collaborateur du pénaliste Cornelius Nestler, spécialisé dans les crimes nazis.

La tâche n'est pas aisée: "certaines familles hésitent, estimant que c'est trop douloureux, ou trop tard". Mais d'autres espèrent, car "lorsque les SS ont été libérés, cela a provoqué un grand désarroi à Ascq", relève Sylvain Calonne, président de la société historique locale, qui contacte actuellement les familles avec M. Umansky et salue "la persévérance de la justice allemande".

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