Depuis l'évacuation des camps, galère ou "paradis" pour des migrants "cassés"

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Par Shahzad ABDUL - Paris (AFP)
Publié le 15 novembre 2019 - 11:18
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Opération d'évacuation de migrants le 7 novembre 2019 à Paris
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© MARTIN BUREAU / AFP/Archives
Opération d'évacuation de migrants le 7 novembre 2019 à Paris
© MARTIN BUREAU / AFP/Archives

Il est 02H30 sous le crachin parisien. Abdiwali, bonnet porté façon béret, s'immobilise sous un pont avec trois compagnons d'infortune somaliens, non loin des camps de migrants démantelés. Les phares n'étaient pas ceux d'une patrouille de police. La menace s'éloigne, l'errance reprend.

Jeudi dernier, le trentenaire faisait partie des 1.600 exilés évacués des campements insalubres du nord-est de la capitale. Mis à l'abri dans un centre d'accueil en banlieue, il s'était convaincu qu'après six mois à dormir au milieu des déchets sous le périphérique Porte de la Chapelle, c'était l'assurance d'avoir un toit, à l'approche de l'hiver.

Désillusion dès le lendemain: le Somalien, passé par la Suède avant de venir en France, dépend administrativement d'un autre pays européen et ne bénéficie donc pas d'une prise en charge.

"Ils étaient censés nous héberger et maintenant on se retrouve dans la rue, encore. Je suis revenu, ils avaient pris la tente. Donc maintenant on doit marcher, on ne sait pas où dormir", explique-t-il à l'AFP, après avoir été chassé en pleine nuit d'une pelouse privée.

"C'est encore plus dur qu'avant. C'est absurde", traduit son ami, GPS activé sur le téléphone pour éviter la Porte de la Chapelle.

- "Tremplin" -

Car avec cette 59e évacuation parisienne depuis le début de la crise migratoire --qui doit être suivie d'une autre dans les prochaines semaines--, les autorités entendent changer de braquet et mettre fin aux reformations des camps, avec la mise en place de patrouilles jour et nuit.

"Aujourd'hui, ils ne peuvent plus être visibles, sinon ils sont arrêtés", s'émeut Julie Lavayssière, de l'association Utopia56, qui maraude de nuit pour "trouver où des petits campements peuvent se reformer" à la lisière de la Seine-Saint-Denis.

Ponts, ruelles, squares... l'association cherche à "informer les migrants sur la situation", tout en distribuant quelques couvertures.

La plupart des 1.600 évacués ont été placés en gymnases, les autres dans les cinq centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES) franciliens, d'où ils sont progressivement orientés vers des structures dédiées selon leur situation: réfugiés, demandeurs d'asile... ou remis à la rue s'ils ont déjà été déboutés de l'asile, par exemple.

Dès l'évacuation de jeudi, 68 migrants sont arrivés dans le CAES situé Porte de la Chapelle, un foyer géré par Adoma que le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a visité le jour-même.

Comparé aux mises à l'abri traditionnelles, "ce sont des personnes beaucoup plus cassées, un public particulièrement fragile, sur lequel la rue a déjà fait son oeuvre", raconte à l'AFP quelques jours plus tard le directeur du centre, Hichame Nougaoui.

"On sert de tremplin", de "sas de stabilisation" pendant une dizaine de jours en moyenne, dit-il.

- "Le paradis" -

"Ils nous demandent surtout +Qu'est-ce qui va se passer ?+ Ils ont besoin d'être rassurés", reprend Jérôme Treuvelot, autre responsable du CAES.

Une fois orientés, la prise en charge peut durer plusieurs mois.

"Heureusement que je suis ici, car j'ai besoin d'aide, je ne parle pas français, je ne sais rien de ce qui se passe", affirme à l'AFP Abdul Wajed Tarakai, un Afghan de 28 ans arrivé jeudi dernier et qui a depuis déposé une demande d'asile. "Par rapport à La Chapelle, c'est le paradis ici! On n'a pas de problème, on mange trois fois par jour, on a une douche...", se réjouit-il en engloutissant son plateau repas.

Depuis son arrivée le 26 octobre sur le camp parisien, il attendait cette opportunité et se dit prêt à "tout accepter": "Si on m'envoie dans le nord, le sud, l'est, l'ouest, je dis oui. Tout mais pas la rue, il fait froid. Je vais dormir où ?"

Dans le couloir, un autre Afghan de 29 ans, qui souhaite rester anonyme, scrute la liste affichée tous les après-midi, synonyme d'hébergement.

Le nom de cet étudiant en master d'archéologie, qui parle parfaitement français, n'y figure pas cette fois encore.

"J'attends, je suis patient. Ma demande d'asile est en cours. J'ai demandé à trouver une chambre en Ile-de-France pour pouvoir continuer mes études", philosophe-t-il. "Pour l'instant, souligne celui qui dormait il y a peu encore dans un parc, le principal, c'est qu'ici c'est propre, on est en sécurité".

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