Sous surveillance, la Grande Borne reste un cocktail explosif

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Par AFP
Publié le 04 octobre 2017 - 15:19
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Des policiers à proximité de bus incendiés, à Grigny, le 21 octobre 2006
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© JEAN AYISSI / AFP/Archives
Des policiers à proximité de bus incendiés, à Grigny, le 21 octobre 2006
© JEAN AYISSI / AFP/Archives

Patrouilles quotidiennes, 40 CRS déployés, survols réguliers en hélicoptère: la cité de la Grande Borne, en Essonne, vit sous surveillance depuis l'agression de policiers il y a un an. Mais, entre pauvreté, chômage et trafics, les maux demeurent.

Devant l'émoi suscité par l'attaque aux cocktails Molotov survenue le 8 octobre 2016 en lisière de la Grande Borne, une cité sensible à cheval sur les communes de Grigny et Viry-Châtillon, le gouvernement avait renforcé les effectifs policiers en Essonne. Une demi-compagnie de CRS a été stationnée dans cette zone de sécurité prioritaire, désormais régulièrement survolée par un hélicoptère.

"Il fallait occuper le terrain pour montrer qu'on n'avait pas peur d'eux", raconte à l'AFP un policier de terrain. "La cité s'est apaisée", assure un officier, et le trafic qui gangrène le quartier est contrarié. Dernière saisie importante: 30 kilos de cannabis en septembre.

Mais dans cette ville dans la ville - 11.000 habitants sur les 28.000 que compte Grigny -, dédale d'immeubles bas où la police lutte contre 150 à 200 délinquants, de nombreux résidents ont l'impression d'être "tous mis dans le même sac".

"On est comme en état de siège, j'ai l'impression de vivre dans un zoo", gronde Djigui Diarra, 26 ans. Cet été, ce réalisateur, diplômé de la prestigieuse Femis, a subi un contrôle d'identité avec palpation: "Humiliant". La répression "instaure un rapport de force frustrant, sans rien changer à la situation", appuie Aboubakar Sakanoko, animateur d'une radio locale.

Alors que, pendant l'enquête, les policiers sont venus chercher un élève de primaire dans sa classe, les plus jeunes sont désorientés. En mai, des classes de CM2 de Grigny ont redessiné la carte de la ville. Dans un coin, une inscription en rouge: "La police est là pour nous protéger, mais ils sont aussi là pour nous arrêter".

- 'Ca recommencera' -

"Il fallait nettoyer le quartier", concède toutefois une mère de famille. Très "attachée" à ce "village" à très forte population immigrée, elle n'ose plus faire un barbecue dehors: "Si un gamin se met à courir devant les flics, on risque le drame".

Sortie de terre en 1967, la Grande Borne, utopie urbaine de l'architecte Émile Aillaud, où l'on croise des sculptures géantes de pigeons, d'un serpent ou de Gulliver, était à l'origine "la cité où les enfants sont rois", selon son concepteur, car inaccessible aux voitures.

Aujourd'hui, la ville de Grigny, à laquelle appartient l'immense majorité de la cité, est l'une des plus pauvres et des plus jeunes de France. Le taux de chômage des 15-24 ans dépasse les 40%. Quelques semaines avant l'attaque, l'État a lancé un vaste plan pour renforcer l'éducation à Grigny.

Mais face aux millions continuellement déversés, de "plans banlieues" en rénovation urbaine, Omar Dawson, responsable associatif, soupire: "Nos immeubles peuvent devenir en or ou en marbre, si on n'arrive pas à remplir le frigo, ça change rien."

Le maire communiste de Grigny, Philippe Rio, se sent "pris pour un zozo", pestant contre "la réductions des dotations des communes, des crédits de la politique de la Ville et des contrats aidés". L'État a cependant débloqué 800.000 euros pour financer vidéosurveillance et police municipale, prévues pour 2018.

En 2011 déjà, des jeunes avaient jeté des cocktails Molotov sur des policiers. Les fonctionnaires avaient échappé aux flammes et l'agression avait eu peu d'écho. "Il n'y a rien de nouveau et ça recommencera", prédit M. Dawson, également militant politique, opposé à la mairie.

"On ne fait que répéter les mêmes choses depuis 30 ans", abonde Amar Henni, éducateur et anthropologue, auteur d'une thèse sur le quartier. Conséquence: pour certains jeunes, "la seule reconnaissance c'est la délinquance".

D'autres acteurs du quartier refusent cependant de perdre espoir. À l'école du Bélier, le directeur Nicolas Hauquin inaugure un "mur des diplômés", pour rapprocher les enfants des anciens élèves qui réussissent.

"Mes élèves ne savent pas qu'autour d'eux il y des infirmières, des ingénieurs. Il leur faut d'autres modèles, pour que l'école de la République prenne le pas sur celle de la rue".

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