Au Venezuela, un village pétrolier nostalgique de son âge d'or

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Par Margioni BERMÚDEZ - Mene Grande (Venezuela) (AFP)
Publié le 20 mars 2019 - 19:37
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Photo prise le 16 mars 2019 à Mene Grande, modeste localité qui vit naître l'exploration pétrolière dans l'ouest du Venezuela en 1914. Mais de cette manne enivrante qui a attiré des milliers de person
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© Juan BARRETO / AFP
Photo prise le 16 mars 2019 à Mene Grande, modeste localité qui vit naître l'exploration pétrolière dans l'ouest du Venezuela en 1914. Mais de cette manne enivrante qui a attiré de
© Juan BARRETO / AFP

Des ruissellements sombres et gras continuent de souiller la terre de Mene Grande, modeste localité qui vit naître l'exploration pétrolière dans l'ouest du Venezuela en 1914. Mais de cette manne enivrante qui a attiré des milliers de personnes, seule la désolation demeure.

L'asphalte des rues a vécu. L'eau, le gaz et l'électricité manquent la plupart du temps. Habitués aux salaires élevés dans l'industrie pétrolière, beaucoup d’habitants ont pris la route de l'exil à cause de la pire crise de l'histoire du pays.

"On vivait comme des rois" se souvient Henry. "C’était la plus grande zone pétrolière du Venezuela... Vous avez vu en arrivant les nombreuses barges qui travaillaient là-bas, c’est fini", ajoute-t-il en regardant le lac de Maracaibo, large baie s'ouvrant par un détroit étriqué sur la mer des Caraïbes.

Henry, 48 ans, était employé comme foreur de puits durant la longue phase de prospérité qu'a connue l'industrie en 105 ans d'exploitation dans ce pays aux plus vastes réserves de pétrole du monde. En 2014 et en 2015, l'or noir a rapporté 750 milliards de dollars à l'Etat, assurant 96% de son budget.

Henry vit à San Timoteo, une localité sur pilotis plantée au bord du lac, avec vue imprenable sur les plate-formes de la PDVSA, la compagnie publique qui exploite le pétrole - l'une des cinq premières au monde.

La paralysie de la production, tombée de 3,2 millions de barils/jour en 2008 à moins d'un million en février, a mis des centaines de gens comme lui au chômage. Un naufrage attribué par les experts au défaut d'investissements, à la fuite des ingénieurs qualifiés et à la corruption des militaires censés gérer le secteur.

- L'eau du lac -

A 46 ans, Olivero Bracho a été licencié lui aussi. Auparavant il travaillait sur les barges. "Il n'y a plus rien ici, les opérations sont arrêtées, ils ont liquidé le personnel". Ses deux fils sont partis en Colombie, comme plus de 3 millions de Vénézuéliens qui ont quitté le pays (dont 2,7 depuis 2015). "Avant, il y avait beaucoup de monde qui travaillait, les gens achetaient à manger, aujourd'hui on manque de l'essentiel".

San Timoteo est la principale localité de Mene Grande et la plus désolée. Des 700 mètres de pontons en bois qui reliaient les maisons sur pilotis, 300 ont été emportés par les pluies.

"On n'a jamais reçu d'aide, le maire n'est jamais venu nous voir, personne", s'insurge Henry.

Faute de distribution d'eau, les habitants prélèvent celle du lac, sale et polluée, pour leurs tâches ménagères. "On va à la plage faire la vaisselle et se laver", raconte Dinoria Estrada avec colère. Le chômage touche les rares personnes qui sont restées, ajoute-t-elle. Elle-même dépend de l'argent que ses proches partis à l'étranger lui envoient.

Elle compare la faible flamme qui sort de sa gazinière à celle d'une "bougie".

"Chaviste" de la première heure, Eduardo Bracho, membre du conseil municipal et ex-ouvrier du pétrole, reconnaît que la situation s'est détériorée.

Vu de loin, Mene Grande se présente comme une vaste étendue de végétation brûlée. C'est le pétrole qui a donné son nom au lieu - Mene Grande, littéralement, le grand jaillissement - et le bras du puits Sumac I, qui a lancé la production le 3 juillet 1914, est toujours là, témoin des jours heureux.

"C'est une relique, il devrait être mis en valeur, mais il est à l'abandon, comme toutes les installations pétrolières" regrette Freddy Cardoza, agriculteur.

- Recul -

Mene Grande abrite aussi l'immense cuve qui permet de ravitailler les Etats voisins en carburant, des installations d'où partent les réserves de diesel et d'essence les moins chers du monde.

À quelques mètres de là, de l'eau s'écoule d'une installation à l'abandon, où les familles viennent remplir leurs bidons. Certains utilisent des brouettes pour les transporter jusqu'à chez eux.

José Escalona, ingénieur de 47 ans, attend son tour en espérant faire le plein et sauver ainsi sa petite récolte de tomates. Il met en garde ses voisins : cette eau "ne peut servir qu'à se laver et aux travaux ménagers."

Franchement, soupire cet ancien salarié de PDVSA, "au 21è siècle, on aurait dû réussir à résoudre ce type de problèmes". Victime de la crise, du manque de nourriture, de médicaments et de l’hyperinflation, il est amer en pensant aux flots historiques de pétrodollars dilapidés. "Les ressources ont été détournées, ce pays ne devrait pas vivre ainsi. On a reculé".

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