Pour les médias au Liban, le juteux business des élections

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Par Rouba EL HUSSEINI - Beyrouth (AFP)
Publié le 25 avril 2018 - 11:50
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Le candidat aux législatives Amine Rizk du mouvement du Future donne une interview sur la chaîne de télévision Future TV à Beyrouth, le 11 avril 2018
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© ANWAR AMRO / AFP
Le candidat aux législatives Amine Rizk du mouvement du Future donne une interview sur la chaîne de télévision Future TV à Beyrouth, le 11 avril 2018
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Jusqu'à 6.000 dollars par minute d'antenne, 240.000 pour un débat télévisé, 1,5 million pour un "forfait" complet: au Liban, les candidats payent pour faire campagne dans les médias, et les chaînes profitent des prochaines élections législatives pour se renflouer.

Le phénomène est largement répandu au Liban, et les chaînes de télé et radio monnayent sans complexe les apparitions des candidats sur leurs antennes. Mais le système privilégie hommes d'affaires fortunés et grands partis, au détriment des indépendants et des candidats aux moyens modestes.

"La période électorale est une aubaine pour les médias", reconnaît Roula Mikhael, directrice de l'ONG Maharat, qui milite notamment sur les questions de liberté d'opinion et d'expression.

Les médias libanais ont été privés de cette manne pendant près de dix ans, puisque les dernières législatives remontent à 2009: l'Assemblée a prorogé son mandat à trois reprises en invoquant le risque d'un débordement de la guerre en Syrie voisine et la nécessité d'amender la loi électorale.

Durant cette décennie, ils ont connu de grandes difficultés, à cause d'un ralentissement économique généralisé dans le pays, mais surtout parce que leurs principaux soutiens financiers, généralement les partis politiques et leurs dirigeants, avaient réduit leurs apports.

Alors cette année, les médias audiovisuels n'hésitent pas à faire monter les enchères. Par souci de discrétion, la plupart de ces propositions se font verbalement, mais Maharat a pu recenser les offres adressées aux différents candidats.

A l'approche du scrutin du 6 mai, les prix flambent. "Il y a un mois et demi, une minute sur une émission matinale à la télé valait 1.000 dollars", souligne Mme Mikhael. A deux semaines de l'échéance, certains font désormais payer 6.0000 dollars la minute, dit-elle.

Des radios sont plus "abordables", avec des prix autour de 3.000 dollars pour un quart d'heure d'antenne.

Seule l'unique chaîne télévisée publique, à faible audience, reçoit les candidats sans contrepartie financière.

- "Pour les riches" -

La nouvelle loi électorale a fixé des plafonds pour les comptes de campagne et créé une commission électorale qui surveille les apparitions médiatiques.

Elle oblige les candidats à payer pour être reçus sur un plateau de télévision, et les chaînes doivent indiquer explicitement qu'il s'agit d'une "publicité payante" et dévoiler la source de financement.

Mais les médias "ne respectent pas cette clause, et ne font pas les rapports hebdomadaires sur les activités +publicitaires+ prévus par la loi", affirme à l'AFP Nadim Abdel Malak, directeur de la commission électorale.

"La commission n'est pas au courant des sommes vertigineuses" réclamées, ajoute-t-il.

Dans ses locaux, on a bien remarqué les inégalités entre candidats quand il s'agit du temps d'antenne.

"Les médias reçoivent certains invités plus que d'autres, selon leurs affiliations politiques", affirme à l'AFP l'une des employées de la commission, Manal Ezzedine.

"Certains candidats passent totalement inaperçus car ils n'ont aucune visibilité médiatique", ajoute-t-elle.

Le 20 avril, la seule représentante de la société civile au sein de la commission électorale a démissionné, dénonçant notamment l'absence de ressources suffisantes qui "empêche l'entité de surveiller les médias et les dépenses".

Cette année pourtant, beaucoup de "nouvelles têtes" -jeunes, militants de la société civile- font le pari des élections, avec un nouveau mode de scrutin proportionnel qui pourrait donner un coup de pouce aux indépendants.

Ces nouveaux venus fustigent unanimement ce système de campagne médiatique, jugé "discriminatoire" et favorable aux grands partis traditionnels et hommes d'affaires fortunés.

"Nous n'avons pas beaucoup d'argent. Qui peut se permettre de payer 20.000 dollars pour une demi-heure d'antenne seulement?", s'indigne Laury Haytayan, candidate de la liste Libaladi.

Celle-ci fait partie d'une coalition de mouvements réformateurs, "Koullouna Watani", qui présente près de 70 candidats à travers le pays.

"Les élections ne doivent pas être uniquement pour les riches", affirme-t-elle.

- Réseaux sociaux -

"Au Liban, seul celui qui bénéficie d'un soutien financier peut arriver au pouvoir. C'est aussi le seul qui a le droit et la capacité d'avoir une visibilité médiatique", déplore-t-elle, même si elle reconnaît que les médias libanais ont traversé de grandes difficultés financières.

Des listes comme "Koullouna Watani" ou d'autres partis non-traditionnels ont donc choisi de viser leur électorat, des primo-votants qui n'avaient pas l'âge légal de 21 ans en 2009, à travers les réseaux sociaux.

Twitter, Facebook, Instagram... toutes les plateformes sont utilisées.

Raed Ataya, candidat dans le sud sur une liste mêlant communistes et personnalités locales, dénonce des "prix vertigineux", guère abordables pour les candidats de la société civile financés principalement par des dons.

"Il n'y aucune égalité. Nous faisons face aux requins de l'argent, les figures du pouvoir et de la corruption", estime-t-il.

"Quand on a présenté notre liste, on l'a fait en Facebook Live", raconte-t-il: "Pas un seul média n'est venu."

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