"Shoah" : en 1985, une douloureuse affaire d'État en Pologne

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Par Michel VIATTEAU - Varsovie (AFP)
Publié le 05 juillet 2018 - 18:38
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Claude Lanzmann à Paris, le 11 février 2016
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
Claude Lanzmann à Paris, le 11 février 2016
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Le film "Shoah" de Claude Lanzmann, touchant à la question épineuse de l'antisémitisme polonais au temps de l'Holocauste, a provoqué en avril 1985 une réaction violente des autorités communistes de Varsovie.

Cependant, le cinéaste - mort jeudi à Paris à 92 ans - a su à l'époque négocier avec elles et son œuvre a finalement été diffusée en Pologne en automne de la même année.

Peut-être cherchant à améliorer son image dans la société, encore traumatisée par le coup de force de 1981 contre le syndicat Solidarité et souffrant de pénuries diverses, le gouvernement communiste part à l'époque en guerre contre le cinéaste et son film tourné en grande partie en Pologne, non sans rappeler à la France des "chapitres honteux" de son histoire concernant le sort des Juifs sous l'occupation.

La présence du président François Mitterrand à la première parisienne du film "suscite surprise et indignation", assène l'agence officielle PAP.

Le chargé d'affaires français à Varsovie est convoqué et prié d'empêcher la diffusion de "Shoah" sur la chaîne de télévision française TF1. Le film est accusé de "contenir des insinuations outrageantes pour le peuple polonais quant à sa prétendue collaboration à l'Holocauste".

Avec le "non" inévitable de la diplomatie française, la presse polonaise, alors étroitement contrôlée par le pouvoir, déchaîne une campagne dirigée plus contre la France que contre Claude Lanzmann.

Le quotidien de l'armée "Zolnierz Wolnosci", à la pointe de l'opération, affirme par exemple qu'"en noircissant aux yeux de leur opinion publique l'image des Polonais, les Français veulent blanchir l'image des Allemands. Car si la France a visiblement besoin de ses riches voisins et alliés, elle peut en revanche éclabousser à loisir les Polonais dont elle n'attend rien".

- "Surpris" -

Face à la violence de ces attaques, Claude Lanzmann reste conciliant.Il se dit "extraordinairement surpris" que Varsovie ait demandé l'interdiction du film à la télévision française.

"Que les officiels polonais viennent voir mon film, après ils parleront", dit-il dans une interview à l'AFP.

Est-ce l'approche modérée du réalisateur ou la conscience que les responsables polonais prennent de l'impact négatif de leur offensive à l'étranger ? Quelques mois plus tard ils opèrent une volte-face complète. Le film de neuf heures sort dans son intégralité dans quelques cinémas polonais et la télévision en diffuse des extraits.

Mais Laznmann n'est pas convié au débat qui doit accompagner l'émission.

Le débat a bien lieu. Les participants accusent Lanzmann de "manipulation" et jugent le film "tendancieux". Ils reconnaissent que l'antisémitisme était bien présent en Pologne avant la guerre, mais rejettent toute responsabilité dans l'extermination des Juifs.

- "Rien d'antipolonais" -

Une personnalité juive très respectée et totalement indépendante de tout pouvoir, le docteur Marek Edelman (1919-2009), l'un des derniers chefs survivants de l'insurrection du ghetto de Varsovie, estime qu'il n'y a "rien d'antipolonais dans ce film", par ailleurs "ennuyeux".

Le pape Jean Paul II (1920-2005), l'autorité morale suprême des Polonais, soutient le film.

"Vous avez probablement vu le film +Shoah - l'Anéantissement+, dit le pape polonais en recevant au Vatican d'anciens résistants français et belges. "L'auteur, en recueillant avec un soin assidu les témoignages des survivants et même des bourreaux, a voulu aider la conscience humaine à ne jamais oublier, à ne jamais s'habituer à la perversité du racisme et à ses monstrueuses capacités de destruction".

Plus de trente ans après, la dispute autour de "Shoah" en Pologne appartient au passé.

Mais le problème des relations entre Juifs et Polonais du temps de l'Holocauste perpétré par les nazis allemands reste explosif, comme l'a montré la toute récente crise à propos d'une loi censée défendre, avec des peines de prison, l'image de la Pologne.

Le texte, perçu en Israël et aux États-Unis comme une tentative de censurer tout récit concernant des crimes commis par des Polonais contre les Juifs, a été finalement modifié par le parlement polonais.

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