Un an après une attaque au gaz sarin, une petite ville en Syrie encore traumatisée

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Par Omar Haj Kadour - Khan Cheikhoun (Syrie) (AFP)
Publié le 02 avril 2018 - 11:59
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Abdelhamid Youssef se recueille sur la tombe de ses proches, dont sa femme et ses deux enfants, morts dans l'attaque de Khan Cheikhoun, dans le nord-ouest de la Syrie le 4 avril 2017
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© OMAR HAJ KADOUR / AFP
Abdelhamid Youssef se recueille sur la tombe de ses proches, dont sa femme et ses deux enfants, morts dans l'attaque de Khan Cheikhoun, dans le nord-ouest de la Syrie le 4 avril 20
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Abdelhamid Youssef devait célébrer mercredi son anniversaire de mariage, mais il vit désormais seul dans sa maison vide. Le 4 avril 2017, sa femme et ses deux enfants sont morts dans l'attaque au gaz sarin sur la ville syrienne de Khan Cheikhoun.

Un raid aérien imputé au régime de Bachar al-Assad, du gaz toxique, et plus de 80 morts. L'attaque qui a frappé Khan Cheikhoun, dans le nord-ouest syrien, est l'une des plus atroces qu'a connu la Syrie, même à l'échelle d'un pays ravagé depuis 2011 par une guerre meurtrière et dévastatrice.

Elle va d'ailleurs entraîner une riposte inédite de Washington, même si le régime de Damas dément toute responsabilité. Quelques jours après le raid, les Etats-Unis tirent 59 missiles de croisière sur une base aérienne syrienne: selon le Pentagone, c'est de là qu'auraient décollé les avions.

"J'ai été privé d'une partie de mon corps, de mon âme. Ma vie n'a plus aucun sens, après les avoir perdu", lâche M. Youssef, jeune veuf de 29 ans au visage fin, dans le jardin de sa maison vide à Khan Cheikhoun.

Une photo du jeune père de famille tenant les corps sans vie de Aya et Ahmed, ses deux jumeaux de onze mois, avait fait le tour du monde, provoquant une onde de choc.

Il a aussi perdu sa femme Dalal, qu'il avait épousé un 4 avril, ainsi que plusieurs de ses proches: son frère, des neveux, mais aussi des cousins -19 personnes au total.

Régulièrement, il se rend sur les tombes de sa famille, pour nettoyer les mauvaises herbes. Sa soif de vengeance est intarissable.

- "Rendre des comptes" -

"Je ne vais pas pouvoir recommencer une nouvelle vie, je ne vais pas oublier le passé (...) alors que le criminel est encore libre", articule M. Youssef, ses propos entrecoupés de sanglots.

"Bachar al-Assad doit rendre des comptes", martèle-t-il.

Le raid, intervenu peu avant 07H00 du matin, a fait plus de 80 morts, dont plus de 30 enfants, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

A l'époque, des vidéos de militants antirégime vont montrer des corps sans vie sur la chaussée, d'autres agités de spasmes et de crises de suffocation: le sarin, redoutable agent innervant, affecte le système nerveux en interrompant les fonctions de communication du cerveau avec les organes principaux et les muscles.

Depuis un an maintenant, Ahmed al-Youssef est orphelin. Dans l'attaque de Khan Cheikhoun, le jeune homme de 20 ans a perdu son père et sa mère, mais aussi ses deux jeunes frères, Mohammed et Ammar.

La journée du 4 avril est gravée à jamais dans sa mémoire. Sa mère qui le réveille le matin pour qu'il aille prier. Lui qui se rend sur les terres de son grand-père, mais qui rentre précipitamment dans sa rue après le raid. Son voisin assis à même le sol, pris de tremblements et incapable de parler, mais qui le regarde fixement.

- "Un enfer" -

"Je ne peux pas oublier ce jour, ni ces détails. C'est devenu un enfer", souffle Ahmed, la peau mate et les cheveux coupés de près, qui tient désormais seul le supermarché familial.

"J'ai perdu ma famille, tout ce que j'avais de plus cher au monde. Aujourd'hui je suis seul, je ne les oublie jamais, en rentrant ou en sortant de la maison, ils sont toujours là devant moi", poursuit-il.

Ces dernières semaines, le régime a été de nouveau pointé du doigt pour des attaques chimiques présumées en territoires rebelles. Une nouvelle fois, Washington et Paris ont brandi la menace de frappes de représailles. Mais les habitants de Khan Cheikhoun ne se font guère d'illusion.

"Il n'y a plus rien qui t'encourage à vivre", lâche Mohamed al-Jawhara, jeune homme aux cheveux blonds et aux yeux bleu, qui a perdu ses parents, un neveu, ainsi que plusieurs cousins.

"C'était un choc. Ton esprit ne peut pas supporter de les voir tous mourir en un seul jour: ton père, ta mère, tes proches, tes voisins", déplore l'étudiant de 24 ans qui veut devenir instituteur.

Face au manque de réaction de la communauté internationale, lui aussi ne cache pas sa frustration.

"A l'époque, on pensait que Bachar al-Assad était fini. On avait espoir de le voir jugé et rendre des comptes. On pensait que les martyrs étaient morts pour le bien du pays, que la guerre en Syrie allait se terminer", se souvient-il.

"Malheureusement, le monde nous a fait des déclarations, et encore des déclarations, mais au final, ils ont fait preuve de faiblesse. Et pour Assad, c'est comme si de rien n'était".

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