Dans la violente Ciudad Juarez, réhydrater des cadavres pour les identifier

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Par Hérika MARTÍNEZ PRADO - Ciudad Juárez (Mexique) (AFP)
Publié le 19 décembre 2018 - 16:59
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Le légiste Alejandro Hernandez-Cardenas Rodriguez réhydrate des tissus humains dans un laboratoire de médecine légale à Chihuahua, dans la région de Ciudad Juarez dans le nord du Mexique, le 11 octobr
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© Herika Martinez / AFP
Le légiste Alejandro Hernandez-Cardenas Rodriguez réhydrate des tissus humains dans un laboratoire de médecine légale à Chihuahua, dans la région de Ciudad Juarez dans le nord du M
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Le cadavre en putréfaction de Jorge devait être enterré de manière anonyme, comme tant d'autres au Mexique, mais grâce à une nouvelle technique des médecins légistes, la réhydratation des corps, il a pu être identifié et remis à sa famille.

Dans cette région de Ciudad Juarez, au nord du pays, près de la frontière américaine, la guerre entre les cartels de la drogue a fait plus de 14.113 morts au cours de la dernière décennie.

L'ampleur des violences a transformé les médecins légistes de la zone en experts, capables même d'innovations dans leur domaine.

Au côté de la balistique, la réhydratation des tissus momifiés ou putréfiés est ainsi devenue l'arme principale de ces professionnels pour lutter contre l'impunité qui entoure la plupart des crimes et tenter aussi de mieux soulager les familles.

"Si vous remettez un corps putréfié ou momifié à des membres de la famille, et qu'ils ne peuvent pas le voir, ou que, s'ils le voient, il ne ressemble en rien à l'être aimé, alors, ils resteront toujours dans l'incertitude. Même si nous leur disons, grâce à la génétique, que c'est bien lui à 99,99%", commente le légiste Alejandro Hernandez-Cardenas Rodriguez.

"Si nous leur donnons un corps dans de meilleures conditions, réhydraté, ils auront la certitude qu'ils reçoivent bien le corps de leur être cher", ajoute-t-il.

- Baignoire de 300 litres -

Depuis 2004, cet expert a commencé à faire des essais pour améliorer une technique - inventée en 1904 aux Etats-Unis - mais jusqu'alors uniquement utilisée pour faire resurgir les empreintes digitales sur certains cadavres.

En quelques années, il a développé sa méthode en la testant sur "quelques centaines" de mains, d'oreilles ou de corps entiers.

Les corps sont plongés durant plusieurs jours dans une baignoire transparente remplie d'environ 300 litres d'eau et d'une solution qu'il a lui-même élaborée.

Il faut entre trois et cinq jours pour réhydrater un corps en putréfaction, et environ une semaine pour un cadavre momifié.

Cette technique, brevetée depuis 2017, améliore l'apparence de la peau et des organes et découvre les tatouages, cicatrices et autres signes distinctifs sur le corps du défunt. Elle permet également de mieux voir certains organes internes et comprendre les lésions à l'origine du décès.

Ce médecin est devenu une référence internationale, il donne désormais des conférences à l'étranger et encadre des ateliers pour diffuser sa technique.

Au cours de la réhydratation du cadavre de Jorge, son nom écrit sur un tatouage en forme de coeur rouge est apparu sur sa peau déjà noircie. Le médecin a aussi découvert un second tatouage sur un avant-bras, représentant un soleil aztèque avec des messages comme "Mon fils Jésus", qui ont permis à sa famille de l'identifier formellement.

- 20e ville la plus dangereuse -

Les corps décapités, incinérés, amputés, ou même ayant reçu plus de 200 impacts d'armes à feu font partie du travail "classique" de ces spécialistes de la mort de Ciudad Juarez.

Cette année, plus de 1.118 homicides ont été recensés dans cette ville tristement célèbre pour ces milliers de féminicides au début des années 1990 et surnommée à l'époque la "capitale mondiale du crime".

L'an dernier, elle figurait au 20e rang des villes les plus dangereuses du monde avec 56 homicides pour 100.000 habitants, selon le Conseil citoyen pour la sécurité publique, basé au Mexique.

Les médecins légistes de cet Etat partagent régulièrement leur expérience avec leurs collègues ailleurs au Mexique, où le manque de formation et "peut-être la peur" les empêche de réaliser un travail scientifique complet, selon Rafael Garcia, autre légiste de 35 ans.

Apeurée, sa famille lui demande de trouver un travail moins dangereux. "Mes parents me disent: +réfléchis bien, regarde la violence qui règne actuellement+", dit-il.

En 2010, il a été visé par des tirs alors qu'il effectuait des prélèvements sur les lieux d'une embuscade contre la police.

Depuis 2012, ces experts médico-légaux travaillent armés. Ils sont formés au tir et à la sécurité.

Il arrive à Rafael de travailler sur huit scènes de crime différentes par jour. "C'est fatigant, non seulement physiquement, mais aussi mentalement. Il faut dominer ses sentiments, la douleur des proches", dit ce spécialiste de l’analyse et la structure des taches de sang.

"Parfois, vous arrivez chez vous, on vous dit que vous sentez mauvais", relate son collègue Ivan Mendoza, 26 ans.

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