La stigmatisation des mères célibataires en Birmanie

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Par Athens ZAW ZAW et Richard SARGENT - Thanlyin (Birmanie) (AFP)
Publié le 13 novembre 2018 - 07:15
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Une jeune mère non mariée prise en charge par l'ONG Myint Mo Myittar prépare son bébé avant de le confier à un orphelinat pour adoption, le 19 octobre 2018 à Thanlyin, en Birmanie
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© Phyo Hein KYAW / AFP
Une jeune mère non mariée prise en charge par l'ONG Myint Mo Myittar prépare son bébé avant de le confier à un orphelinat pour adoption, le 19 octobre 2018 à Thanlyin, en Birmanie
© Phyo Hein KYAW / AFP

Aye Mar doit accoucher dans quelques semaines. Mais à 19 ans, dans un pays bouddhiste conservateur où les mères célibataires sont stigmatisées, elle s'est résolue à donner son bébé à l'adoption.

Elle finit sa grossesse dans la maison ouverte par une petite ONG locale, Myint Mo Myittar (Single Mothers Foundation en anglais), basée à Thanlyin près de Rangoun, la capitale économique. Depuis son ouverture il y a deux ans, l'association a déjà aidé une centaine de jeunes femmes dans le cas d'Aye Mar.

"Je suis tombée amoureuse du jeune livreur d'eau de mon quartier", explique cette dernière, qui a demandé à témoigner sous un faux nom dans un pays où un adage dit: "Une femme ayant un bébé sans mari est une honte."

"Mes tantes ont commencé à me crier dessus et à me demander comment j'étais tombée enceinte. Je leur ai expliqué et elles ont convoqué mon petit ami. Il a dit qu'il allait m'épouser mais s'est enfui", ajoute-t-elle.

"Je ne peux pas retourner chez moi avec mon enfant. Les gens nous insulteraient. Je dois le laisser ici", dit-elle, résignée.

La fondation, créée par une médecin birmane, accueille les jeunes mères jusqu'à ce que leur bébé ait un mois et demi. Certaines gardent l'enfant, prenant le risque d'affronter le regard de leurs proches et de la société, d'autres le donnent à l'adoption, souvent sous la pression familiale.

La fondatrice, la radiologue Myat Sandar Thant, raconte avoir eu l'idée de monter cette maison d'accueil quand une patiente venue faire une échographie lui a dit qu’elle se tuerait si elle ne l'aidait pas à avorter. La jeune femme s'était suicidée.

- 250.000 avortements par an -

La médecin raconte l'histoire de ces autres patientes qui "pleurent à l'annonce de leur grossesse et disent vouloir avorter parce qu'elles n'ont pas de maris". Une des pensionnaires de l'association est une préadolescente de 12 ans violée par un membre de sa famille.

"Quand elles arrivent ici, elles voient d’autres personnes dans la même situation et elles commencent à se sentir mieux dans leur peau", raconte Myat Sandar Thant.

Cette maison d'accueil est l'un des rares lieux à proposer un tel accompagnement dans ce pays d'Asie du Sud-Est aux infrastructures médico-sociales défaillantes et au planning familial quasi inexistant.

Il n'y a pas de statistiques officielles sur les mères célibataires en Birmanie, mais selon le recensement de 2014, près de 50.000 femmes de 15 à 19 ans donnent naissance à un enfant en une année. Nombre d'entre elles seraient célibataires.

Selon le groupe de défense des droits des femmes IPAS, près de 250.000 avortements sont pratiqués chaque année dans ce pays d'un peu plus de 50 millions d'habitants où avorter est illégal.

"Dans la plupart des communautés, on dit aux adolescentes enceintes de quitter l'école", déplore le Dr Yadanar, spécialiste du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), dont le champ d'action inclut notamment les violences sexuelles et les grossesses non désirées.

- Internet, YouTube et les apps -

Des personnalités comme la chanteuse Athen Cho Swe tentent de faire changer les mentalités. Célibataire, celle-ci a accouché d'une petite fille en secret, en Thaïlande voisine, avant de se décider à parler ouvertement de ce sujet tabou.

"Je pensais que les gens diraient du mal de moi. Mais le public a adopté ma fille dès que j'ai révélé son existence", a-t-elle expliqué dans une interview sur YouTube cet été.

"Jusqu'ici, les mères célibataires faisaient des dépressions", dit-elle ouvertement, évoquant l'isolement et le manque de soutien des familles, et appelant au changement.

Mais dans un pays où une femme sur six n'a pas accès à la contraception, selon les chiffres de l'ONU, et où l'éducation sexuelle est un sujet tabou, non abordé à l'école et à peine dans les familles, les mentalités évoluent très lentement.

Toutefois les jeunes Birmans, qui peuvent de plus en plus facilement se connecter à internet depuis quelques années, ont désormais accès à des sources d'information inédites, notamment Facebook.

De jeunes entrepreneurs du pays sont en train de développer une application, "Pyo Pyo May" ("jeune femme" en birman), combinant conseils de beauté et information sur la sexualité.

"En utilisant cette application d'éducation sexuelle, ils peuvent apprendre sans avoir à demander à leurs parents", met en avant Phyo Thinzar Ooo, développeuse de l'application pour la compagnie Koe Koe Tech.

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