A Mossoul, des bords du Tigre à la morgue, la stupeur et les larmes

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Par Raad AL-JAMMAS, avec Salam FARAJ à Bagdad - Mossoul (Irak) (AFP)
Publié le 21 mars 2019 - 20:22
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Un bac rempli de passagers accoste sur une rive du Tigre, à Mossoul, dans le nord de l'Irak, le 21 mars 2019
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© Waleed AL-KHALED / AFP
Un bac rempli de passagers accoste sur une rive du Tigre, à Mossoul, dans le nord de l'Irak, le 21 mars 2019
© Waleed AL-KHALED / AFP

Il avance devant le long alignement de clichés de femmes, d'enfants et d'hommes photographiés à la morgue. Et soudain, il s'arrête brusquement. Sur l'un des clichés, c'est son épouse que cet habitant de Mossoul vient de découvrir.

Comme des dizaines d'autres Irakiens embarqués sur un bac pour rejoindre un complexe avec parc d'attractions et espaces de pique-nique aménagés, en ce jour de fête, elle a péri quand le bateau s'est retourné.

L'homme, interloqué, souffle tout juste: "c'est ma femme", avant de s'effondrer en sanglots.

Ces photos ont été accrochées sous les barbelés qui surmontent le mur d'enceinte de la morgue de la grande ville du nord irakien prise d'assaut par des centaines de proches que les policiers peinent à contenir.

Interdit d'entrée, Ahmed s'agite. A l'intérieur du bâtiment inaccessible, il y a peut-être ses cinq frères et soeurs. Il dit ne plus avoir de nouvelles d'eux depuis qu'ils ont embarqué pour ce qui est devenu le pire naufrage en Irak (au moins 77 morts), "pays des deux fleuves" --, endeuillé le jour du nouvel an kurde.

Pour le premier jour du printemps, Ahmed, 24 ans, et ses proches avaient décidé de célébrer Norouz dans un parc des bords du Tigre à Mossoul, lieu de prédilection des sorties familiales depuis des décennies dans la ville commerçante libérée il y a moins de deux ans des jihadistes du groupe Etat islamique (EI).

Pour lui, "l'administration du complexe touristique est responsable de ce naufrage". "C'est elle qui empoche le prix de l'entrée et de la traversée du fleuve sur le bac", s'emporte-t-il.

Autour de lui, des ambulances vont et viennent, transportant toujours plus de corps.

Une dizaine de véhicules médicaux arrivent même en renfort, de la province kurde voisine de Dohouk, alors que les autorités à Bagdad ont décrété l'alerte générale.

- "Surcharge" -

Sur les lieux du drame, d'autres Irakiens hagards attendent eux aussi un signe, une information pour connaître le sort de leurs proches.

Partout, pompiers et forces de sécurité fouillent et ratissent le Tigre et ses abords pour secourir des passagers du bac, dont certains se sont longtemps accrochés à des morceaux de bois ou de métal, ou pour récupérer des corps.

Les recherches, sur un fleuve au fort courant, s'étendent sur des kilomètres.

Naouar, qui a survécu au naufrage, raconte que tout a basculé "au milieu du fleuve". "A cause de la surcharge de passagers, l'eau a commencé à s'engouffrer dans le bac. Il est devenu de plus en plus lourd et il s'est retourné", explique-t-il à l'AFP.

"J'ai vu de mes propres yeux des enfants morts dans l'eau", assure-t-il encore. Ce qui l'a sauvé, dit-il, c'est que "des propriétaires de bateaux, la police maritime et des résidents se sont précipités pour tirer les gens de l'eau".

Plus loin, un jeune, qui refuse de donner son nom, dit déjà savoir que sa soeur et son neveu ont péri. "On est encore sans nouvelles de ma mère", ajoute cet Irakien vêtu d'un jean et d'un T-shirt, en arpentant la rive du Tigre.

La police diffuse des photos des survivants. Par exemple, celle de quatre enfants --trois fillettes et un garçonnets-- emmitouflés sous une couverture, en larmes. Jusqu'ici, ils ne savent pas où sont leurs parents.

Plus loin, un homme s'emporte: "on voulait célébrer Norouz et la fête a tourné à la catastrophe!".

Autour, des familles partent, remballant victuailles, assiettes et couverts de pique-nique et autres plats de réjouissances qu'ils s'apprêtaient à déguster en profitant du soleil.

Pour cette sortie, dont les Mossouliotes ont été privés durant les trois années passées sous la férule des jihadistes du groupe Etat islamique (EI), chassés à l'été 2017, certains avaient même sortis leurs habits traditionnels kurdes, colorés.

Sur l'eau, des barques continuent de mettre à l'abri les passagers ayant traversé plus tôt, bloqués depuis sur l'île du complexe touristique.

Partout ailleurs, à même le sol, beaucoup restent assis, choqués, incapables de bouger.

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