Un livre polémique relance le débat sur les antidépresseurs

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Par Paul RICARD - Paris (AFP)
Publié le 05 septembre 2018 - 16:14
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Les portraits de Philippe Even (G) et Bernard Debré, les auteurs polémiques d'un ouvrage sur les antidépresseurs, dans un photo-montage du 27 janvier 2011
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© DANIEL JANIN - BERTRAND GUAY / AFP/Archives
Les portraits de Philippe Even (G) et Bernard Debré, les auteurs polémiques d'un ouvrage sur les antidépresseurs, dans un photo-montage du 27 janvier 2011
© DANIEL JANIN - BERTRAND GUAY / AFP/Archives

La dépression, maladie du siècle? "Non, le marché du siècle!", clament les professeurs Philippe Even et Bernard Debré dans un livre critique envers les antidépresseurs mais dont les principales conclusions sont contestées par les psychiatres.

Les deux hommes sont des habitués des ouvrages polémiques.

En 2015, ils ont reçu un blâme de l'Ordre des médecins après la sortie de leur "Guide controversé des 4.000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". Puis, un an plus tard, le Pr Even a été radié après avoir traité des confrères de "putains académiques".

Ils sortent jeudi un nouveau livre, "Dépressions, antidépresseurs, psychotropes et drogues" (ed. du Cherche Midi). Il s'articule autour d'une thèse principale: 80% des dépressions sont "élevées de façon délibérée au rang de maladies" alors qu'elles ne justifient pas l'usage d'antidépresseurs.

"La plupart des dépressions sont d'origine sociétales, créées ou aggravées par une société de plus en plus dominée par l'argent", écrivent les auteurs.

Selon eux, "ce sont les dérives de cette société-là qu'il faudrait d'abord corriger, pour recréer les conditions du bonheur de tous, plutôt qu'endormir souffrances et anxiétés à coups de pilules miraculeuses".

"Je voudrais qu'on ouvre un débat", explique à l'AFP Philippe Even, selon qui "le coût des antidépresseurs est d'environ 2 milliards d'euros, cinq fois le déficit des hôpitaux".

"Je voudrais qu'on dépense moins pour ça et un peu plus pour la psychothérapie, où le médecin écoute, essaie de rassurer, de rétablir le vivre-ensemble dans une société où on vit comme des lapins dans un clapier", poursuit-il.

Le débat sur les antidépresseurs n'est pas nouveau. Dans son rapport annuel sur l'évolution des charges publié fin juin, l'Assurance maladie dit vouloir relancer la réflexion sur ces médicaments, "probablement trop fréquemment prescrits de manière inadéquate".

Selon la Cnam, en 2016, 2,6 millions de Français sans maladie psychiatrique lourde ou chronique en ont consommé au moins trois fois, pour un coût total de 2,4 milliards d'euros.

- "Discours populiste" -

En novembre 2017, la Haute autorité de santé (HAS) a également pointé un "mauvais usage des antidépresseurs, trop souvent prescrits pour des dépressions légères, pas assez dans des dépressions sévères, ou délivrés sans psychothérapie ni suivi".

"Il est important de savoir remettre en cause un traitement par antidépresseur", abonde pour l'AFP Bruno Toussaint, de la revue indépendante Prescrire, en pointant les "effets indésirables" et le risque de "dépendance".

Pour autant, le chiffre de 80% de "fausses" dépressions avancé dans le livre est contesté par les psychiatres interrogés par l'AFP.

"C'est exagéré, arbitraire, pas étayé. Ça n'est que du feeling", estime le professeur Antoine Pelissolo, chef de service au CHU Henri-Mondor de Créteil, selon qui "la réalité est beaucoup plus complexe".

Selon lui, "il existe trois catégories de cas: les plus graves, où le traitement (médicamenteux) est obligatoire et quasi-vital, ceux qui ne sont pas de vraies dépressions, où le traitement est contre-indiqué, et ceux qui se situent entre les deux, qu'on aborde au cas par cas".

"Il n'y a pas une façon unique de traiter la dépression: le psychologique n'exclut pas le biologique, ce sont des choses très intriquées", souligne-t-il. "Dans de nombreuses situations, les antidépresseurs apportent quelque chose, même si ça ne règle pas tout".

Responsable du département urgence psychiatrique au CHU de Montpellier, le professeur Philippe Courtet dénonce "un discours populiste", basé sur des "approximations" de la part d'auteurs qui ne sont pas psychiatres.

Co-signataire en 2014 d'un rapport de l'Académie de médecine sur les antidépresseurs et le suicide, il réfute le lien de cause à effet établi par l'ouvrage.

"Dire que les antidépresseurs augmentent le risque de suicide est faux", assure-t-il. Selon lui, "rien ne permet de dire que c'est un effet propre des antidépresseurs: cela peut au contraire venir d'une non-réponse au traitement antidépresseur".

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