Littérature : « L’islam est compatible avec la République, et la république est compatible avec la France. »

Auteur(s)
R.A.H
Publié le 14 juin 2021 - 13:31
Mis à jour le 15 juin 2021 - 14:22
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Karim Guellaty
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Karim Guellaty
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C’est un écrivain néophyte mais néanmoins engagé. Pour son premier roman Karim Guellaty, communicant de renom de profession, d’une plume alerte et agréable interroge sa double culture, son rapport à la religion mais aussi les questions sociétales d’aujourd’hui. Un sujet ô combien actuel et un essai transformé. Interview

 

Pourquoi écrire ? 
On agit avec ses moyens, le mien est mon clavier ! Plus concrètement, ce livre a été écrit au départ pour mes enfants, afin qu’ils trouvent les bonnes réponses à leurs questions de vie quand ils seront un peu plus grands. Et puis de bonnes réponses, en cours d’écriture, je suis passé à la nécessité de leur donner les bons outils, dont une pensée humaniste, un regard bienveillant, une grille emphatique avec des lignes rouges et des principes au-delà desquels il ne faut plus transiger, et le vaste sujet de la foi, en l’occurrence musulmane. J’ai effectué un long travail, en rencontrant des dizaines de personnes, en échangeant même avec des personnes radicalisées, c’est rien de le dire, parties en Syrie.  J’ai ainsi identifié les thématiques dans l’islam pour lesquelles des mauvaises réponses pouvaient donner, donnaient même, l’espace pour une lecture extrémiste, sans oublier son pendant républicain, et les réponses de ce qu’est la nation, l’Etat, la République et la laïcité. Car finalement, autant l’islam que la laïcité, sont deux concepts, le premier une foi, le second une idéologie, qu’on ne cesse de politiser en les dénaturant, en les torturant, en les réécrivant même. Et puis la nécessité de le publier une fois que j’ai fini l’écriture s’est imposée à moi juste après l’assassinat de Samuel Paty. Il fallait du peu de savoir dans cet océan d’ignorance.

 

Pourquoi ce titre : « Heureux comme Abdallah en France » ?

Heureux comme Abdallah en France a plusieurs sens, plusieurs portées. En tout premier lieu il s’agit de résumer en un titre qu’Abdallah, prénom du père du Prophète Mahomet, peut être heureux en France car sa religion l’islam est compatible avec la République, et la République est compatible avec la France.  L’association d’Heureux, de Abdallah et de France est possible. 

Ce titre interpelle, et fait se poser la question de savoir comment ce bonheur est possible alors que tout laisse à penser le contraire. Les réponses sont dans le livre. Les musulmans qui ne sont pas heureux en France trouveront les moyens de voir la moitié pleine du verre, et les non Abdallah de France y trouveront comment combler la partie du verre qui permet aux Abdallah d’être heureux en France. 

La double nationalité apporte-elle un double regard ?

Oui tout à fait et je dirai même double culture, double regard. Ça permet de voir tout ce qui nous rapproche et non de se cristalliser sur les quelques éléments qui nous éloignent. Double culture, c’est avoir, me concernant une mère chrétienne, française, et un père musulman tunisien. A la maison, nous ne nous posions pas toutes les questions que se posent les sociétés aujourd’hui et les différentes origines de mes parents ne rendaient pas du tout le quotidien compliqué. 

 

Quel est le sens profond de votre livre ?

C’est un roman, qui cache l’essai d’Abdallah, qui lui même s’exprime parfois par le biais du manifeste. Comme je vous le disais, le livre ne traite pas du seul sujet de l’islam, c’est un roman avec ses intrigues et ses rebondissements. De nombreux lecteurs et de nombreuses lectrices me disent qu’ils se sont évadés, qu’ils ont voyagé et qu’ils se sont beaucoup attachés aux personnages. Beaucoup m’ont parlé d’un roman qui traite d’une histoire d’amour.  Et c’est aussi là un autre sens du titre, Abdallah est heureux en France grâce à sa femme, grâce à ses filles, à leurs présences, à leurs amours. Le message, au final c’est que la vie est loin d’être sereine, c’est à l’homme de l’être. Que le coran ne pose pas de problème, ce sont certains yeux qui le lisent qui ont un problème et que l’amour est un formidable moteur de vie. 

 

En tant que communicant, devenir romancier n’est pas évident ?

Passer de la com' à l’écriture est extrêmement compliqué effectivement. Il faut rédiger, détailler, expliquer, et perdre l’habitude de vouloir résumer par des phrases choc. En communication politique, on est orienté vers la cible, et on adapte son message aux groupes qu’on veut atteindre. Ecrire un livre, c’est se débarrasser de toute stratégie pour laisser s’exprimer son cœur, sur ce qu’il y a dans sa tête. On s’ouvre, on se dévoile, on se donne. On offre aux lecteurs son héros, ses personnages. Abdallah ne m’appartient plus, il appartient désormais aux lecteurs, à la différence de la communication, ou au contraire, il faut conserver le message, sa portée, ses conséquences. Dans un livre on se met à nu, en communication, au contraire, on fabrique le meilleur camouflage possible. 

 

Ce premier roman est une fierté pour vous ?

Oui, oui et oui. Oui pour le tunisien que je suis, qui n’a appris à écrire le français qu’à douze ans. Oui pour le musulman que je suis, de prendre la parole. Oui au mari que je suis pour écrire un hymne à l’amour. Oui au français que je suis de démontrer qu’en France, c’est possible. Oui pour mes enfants, et de pouvoir leur dire que j’ai essayé, que je ne suis pas resté les bras croisés, à pester sur les réseaux sociaux. 

 

Le premier confinement a-t-il été un événement déclencheur ? 

Non je l’avais commencé bien avant, quelques semaines après les attentats du Bataclan, quand j’ai pris conscience qu’il fallait que je laisse une sorte de bible de vie à mes enfants, en revanche le confinement m’a permis de le finir, de peaufiner la partie romanesque, de la travailler pour qu’elle tienne le lecteur en haleine tout au long du récit. En tout cas, j’espère.

 

Un livre comme une transmission, donc ?

Oui c’est exactement ça. Contre l’ignorance, la seule solution est le savoir. Je suis fatigué de lire ce que devrait être l’intégration, l’assimilation pour les plus ambitieux. On se gargarise et on ressasse sans cesse ce que la société devrait être. Et personne ne donne les moyens pour y parvenir. Il ne suffit pas d’affirmer de manière péremptoire, il faut aussi expliquer comment y parvenir. Je suis fatigué de lire tout et n’importe quoi sur l’islam, sur le coran. Il fallait remettre l’église au milieu du village, j’espère avoir réussi à le faire. 

 

Et l’avenir de notre société ? 

Ce sont les 4 derniers chapitres du livre. Abdallah au début du livre décide d’aller à la bibliothèque Sainte Geneviève à Paris. Il y a là une métaphore. Il s’agit de la montagne Sainte Geneviève, un sommet à gravir, un chemin difficile et qui monte, qui fatigue et qui épuise même. Ce qu’on voit en haut de la montagne Sainte Geneviève ? Il faut lire le livre.

« Heureux comme Abdallah en France »
Karim Guellaty
Roman. 288 pages 19,95 €
ÉDITIONS ENCRE DE NUIT

 

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