Jean-Luc Mélenchon : le programme économique du candidat de la France insoumise (enfin) passé au crible

Auteur(s)
Jean-Yves Archer
Publié le 19 avril 2017 - 12:16
Mis à jour le 22 avril 2017 - 14:17
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Le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, le 18 mars 2017 lors d'un meeting à Paris
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© bertrand GUAY / AFP/Archives
Le candidat prévoit 273 milliards d'euros de relance.
© bertrand GUAY / AFP/Archives
Il est, selon les sondages, aux portes du second tour. Il a surtout réussi à agréger derrière sa personnalité –et peut-être son programme– une bonne partie de l'électorat de gauche. Jean-Luc Mélenchon promet des mesures assez radicales côté économique, avec notamment une relance massive de 273 milliards d'euros. Jean-Yves Archer spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" la dimension théoriquement possible, mais concrètement hasardeuse, du programme du candidat de "La France insoumise".

D'évidence, la campagne conduite par Jean-Luc Mélenchon recueille un écho de plus en plus favorable dans le pays. Certains esprits chagrins diront qu'il se contente de siphonner les intentions de vote de Benoît Hamon. D'autres, plus posés, constateront que Jean-Luc Mélenchon a réussi à dégonfler le rang prévisible des abstentionnistes ce qui est non seulement un succès personnel mais aussi un mieux pour la démocratie. Quand on pense que 96% des actuels députés pèsent moins de 28% des intentions de vote, on comprend bien le malaise républicain qui parcourt notre nation, cette France dite "insoumise"Quel dommage qu'une dose de proportionnelle (60 sièges sur une Assemblée ramenée de 577 à 300 députés?) n'ait pas été instillée lors du quinquennat crépusculaire qui s'achève décidément sans souffle ni gloire comme en convient l'avocat et ami de François Hollande, Jean-Pierre Mignard.

Du souffle, et même du panache, Jean-Luc Mélenchon n'en manque assurément pas. Il a ingéré la fonction tribunicienne chère à Max Weber et sait faire vibrer les foules. Car qui oserait nier qu'il est effectivement écouté –et entendu– par des milliers de personnes où qu'il aille dans l'Hexagone? François Hollande –qui semble gommer son propre rôle dans la situation observable de montée des extrêmes– a cru bon de dire qu'il fallait "lire le texte" et ne pas se contenter d'écouter "le tribun".

L'Histoire, si Jean-Luc Mélenchon parvient à se hisser au second tour de l'élection présidentielle, retiendra que la trahison du fond du discours du Bourget de 2012 pour un jus indigeste de pseudo-social-démocratie (voir loi Macron et loi Travail) représentera un choc pour le pays tout autant que la confirmation du bon sens du slogan: "La France insoumise!". Qu'on le veuille ou non, il n'est pas impossible que "JLM" atteigne le seuil requis pour être présent au second tour et, dans cette hypothèse, notre vieille démocratie aurait alors, volens nolens, probablement moins à perdre de le voir poursuivre sa route plutôt que de déambuler dans les couloirs nauséabonds de notre Histoire. Derrière la vitrine de la dédiabolisation, une candidate a son ADN: l'ignorer ou le nier revient à s'exposer au danger

En posant comme possible –ce qui est différent de probable ou de souhaitable– l'élection du président Mélenchon, on en vient à se poser des questions légitimes quant à son programme et notamment le volet économique de celui-ci. Le lecteur –en ces temps troublés de "fake news"-  trouvera ici le lien vers la source officielle du programme.

Tout le monde a été marqué par l'ampleur chiffrée de la relance que ce candidat tranchant veut conduire. Il s'agit de 100 milliards d'investissements publics et de 173 milliards de soutiens divers à la demande. Sur la première séquence, il n'est pas totalement absurde d'emprunter alors que les taux d'intérêt sont encore relativement bas et de dédier des crédits publics aux infrastructures (comme le haut débit par exemple) et à l'économie de la mer qui est effectivement une perspective d'avenir pour notre croissance de demain.

La France emprunte 180 milliards par an pour se financer. Elle couvre ainsi les besoins de son déficit budgétaire (73 milliards), les charges des emprunts passés, le service de la dette notamment pour près de 45 milliards. Ajouter 100 milliards à ces prêts de 200 milliards peut être vu comme acceptable par les marchés puisqu'il s'agirait de dépenses d'investissement. Evidemment, cela serait mal perçu par Bruxelles qui a pourtant tenté de faire la même chose avec le plan Juncker de 315 milliards d'euros. Rappelons que le rapport Rocard-Juppé de 2009 avait recommandé un volume de 35 milliards d'investissements qui a abouti aux PIA, les programmes d'investissements d'avenir.

Sur ce thème, on peut dire que Mélenchon y va fort mais que l'expérience a réussi ne serait-ce qu'au travers du célèbre New Deal de Franklin Roosevelt. Comme disent les économistes, il y a un multiplicateur de la dépense publique.

En revanche, que penser des 173 milliards dévolus à la création d'emplois publics, à la hausse du Smic, etc.?

La situation est plus complexe car si tout le monde est, a priori, en faveur de la hausse des salaires, chacun comprend que ce type de mesures renchérirait considérablement le coût de fabrication de nos produits ou de nos services. Ceux que le général de Gaulle surnommait "les pisse-vinaigre" auraient tôt fait de crier à l'inflation par les salaires et de conclure que la hausse des prix –comme après Mai 1968– reprendrait d'une main ce qui avait été octroyé.

Mais, en économie ouverte, il y a une autre difficulté. Une forte relance rapidement décidée -sans préparation de l'appareil productif national– se heurterait rapidement aux flux d'importations qu'elle ne manquerait pas de générer. Jean-Luc Mélenchon aime à dire qu'il ne "veut pas arroser le sable pour rien": C'est précisément le risque majeur de la mesure qu'il propose.

Selon différents travaux économiques récents, il est admis que si le pouvoir d'achat augmente de 100, 81% vont vers des produits à l'importation. Autant dire que cette relance "king size" est un sérieux risque.

D'autre part, il y a une question préalable à se poser. Comment sont financés les 173 milliards? Il s'agit ici de plus de 35 milliards de dépenses de fonctionnement et d'injection massive de liquidités dans l'économie. Or, les marchés sont peu réceptifs à ce type d'approche.

Jean-Luc Mélenchon y a évidemment pensé et a pour projet une hausse d'impôts de 88 milliards issus d'un alourdissement tous azimuts. Là le TGV s'arrête dans une gare déserte nommée "D-E-F-I-A-N-C-E" et la France ne suivra pas ce nouvel épisode de matraquage fiscal (voir en mémoire la politique du trio Ayrault–Moscovici–Hollande) qui conduira alors à changer d'économie suite à des mesures fort coercitives comme le contrôle des changes.

A titre personnel, je suis parfois choqué par les excès du libéralisme et par la marchandisation de tout y compris des entreprises. Je préfère le Meccano industriel de groupes comme Michelin, Saint-Gobain, Air Liquide au Monopoly d'autres capitaines de nos fleurons nationaux. Alors, je reconnais ne pas bien percevoir la hauteur du tsunami que serait la nouvelle économie découlant en droite ligne de l'application du programme d'un homme brillant et généreux mais finalement lourdement inscrit dans la lutte des classes. Un tel programme conduirait à des tensions financières mais aussi à un changement significatif de société par contrechocs de mesures inappropriées. D'ailleurs, un homme ne se construit pas en un jour: il est le fruit d'une maturation intellectuelle et sociologique à laquelle Jean-Luc Mélenchon a assidûment travaillé.

Ainsi, n'est-il pas très troublant de constater que le programme du PCF du début des années 1960 inscrivait comme priorités très exactement les axes forts de la campagne insoumise de 2017."Georges Lavau, dans ses travaux sur le P.C.F., entendait, par-delà les fonctions classiquement admises dans les années 1960 (fonction constituante, programmatique et de relève politique), inclure une fonction tribunitienne": Pour que l'encyclopédie Universalis reprenne les travaux de Georges Lavau, cela signifie qu'ils sont unanimement reconnus comme crédibles et sérieux. En langage moderne, vous retrouvez le "dégagisme" cher à Jean-Luc Mélenchon, la Constituante, le programme et le tribun. La malle que l'on croyait au grenier est en fait juste devant le corps électoral du 23 avril!

La boucle est par conséquent bouclée: les 100 milliards d'investissement sont une question d'intérêt qui mérite réflexion. Les 173 autres nous conduisent, avec la Constituante, vers une autre société aux relents manifestement communistes. J'ai eu l'occasion d'écouter attentivement Jean-Luc Mélenchon et de lui porter considération car trop de rigueur budgétaire peut étouffer la croissance et que son programme mérite d'être lu. Hélas, quand je réfléchis aux probables conséquences de l'application de nombreuses mesures –y compris dans le domaine culturel– il me vient une image: celle de ces Allemands aux yeux embués qui ont eu, en 1989, la joie de franchir le mur de Berlin et de quitter une démocratie dite populaire…

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