Prorogation de l'état d'urgence : une justification plus politique que juridique

Auteur(s)
Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction de FranceSoir
Publié le 03 juillet 2017 - 16:28
Mis à jour le 04 juillet 2017 - 16:28
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Des soldats sur le parvis de Notre-Dame de Paris.
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©Kenzo Tribouillard/AFP
L'état d'urgence se définit comme un régime d'exception mais la loi ne prévoit aucune limite temporelle à sa prorogation.
©Kenzo Tribouillard/AFP
Une sixième prorogation de l'état d'urgence va être être soumise jeudi à l'Assemblée nationale par le nouveau gouvernement, lequel espère en parallèle y mettre fin en novembre, près de deux ans après son instauration. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, revient en partenariat avec "FranceSoir" sur les conditions de mise en place de cette mesure exceptionnelle qui dure, sur la difficulté juridique à la prolonger et les difficultés politiques à y mettre fin.

Au soir des attentats de Paris le 13 novembre 2015, l’ancien président de la République François Hollande a immédiatement décrété l’état d’urgence sur tout le territoire national. Depuis cette dramatique soirée, cette mesure a fait l’objet de cinq prorogations par le Parlement.

Le nouveau Premier ministre Edouard Philippe a indiqué récemment qu’il entendait déposer un nouveau projet de loi à l’Assemblée nationale visant à prolonger une nouvelle fois l’état d’urgence qui arrive à terme le 15 juillet 2017.

L’état d’urgence, prévu par la loi du 3 avril 1955, est un régime d’exception créé au moment de la guerre d’Algérie. La notion de "régime d’exception" sous-entend qu’il s’agit d’un régime dérogatoire au droit commun procédural et légal. En substance, il doit être exceptionnel et, par principe, ce régime ne doit pas devenir la règle.

Il permet de prendre des mesures qui restreignent les libertés fondamentales, notamment la possibilité de décréter un couvre-feu, des assignations à résidence, des perquisitions de nuit (entre 21h et 6h du matin), des interdictions de séjour, des pointages réguliers au commissariat.

Dès lors, une question se pose: l’état d’urgence peut-il être prolongé sans limite temporelle?

En ce qui concerne la prolongation de ce régime, l’article 2 de la loi de 1955 dispose que: "L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret. La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi".

Autrement dit, la loi ne prévoit aucune limite temporelle à la prorogation de l’état d’urgence, mais seulement que celle-ci doit obligatoirement être autorisée par une loi.

Une problématique juridique peut dès lors se poser sur la justification de la prorogation de l’état d’urgence: cet état d’exception est-il toujours juridiquement justifié?

L’article premier de la loi de 1955 nous donne la définition de l’état d’urgence et de ses conditions de mise en œuvre: "l'état d'urgence peut être déclaré (…) soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique".

A la lecture du texte, il est évident qu’au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris, de juillet 2016 à Nice, et des jours ou semaines qui suivirent, que l’état d’urgence était justifié.

Mais au fil du temps, dès lors qu’aucun attentat ne survient, la justification juridique devient moins claire, au sens où le texte parle de "péril imminent".

Pour preuve, le 15 mars 2017, l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas préconisait une sortie du régime d'exception en expliquant que "les conditions (étaient) réunies" pour en sortir: "A mes yeux, nous avons créé les conditions qui rendent possible une sortie de l’état d’urgence, sans nous affaiblir ni demeurer impuissants face à la menace du terrorisme". L’ancien garde des Sceaux précisait que l’arsenal législatif anti-terroriste était par ailleurs suffisant.

La prolongation de l’état d’urgence trouve donc au fil du temps plus une justification politique que juridique car, depuis février 2017, il n’y a quasiment plus de perquisitions administratives et le nombre de personnes assignées à résidence est aujourd’hui d’environ 70.

Cependant, le gouvernement a parfaitement conscience qu’il devrait assumer ce choix s’il advenait ensuite une nouvelle attaque terroriste. Peu après les attaques meurtrières de Londres, on perçoit la grande précarité de la situation en matière de sécurité, et notre vulnérabilité collective au niveau européen.

Comme l’explique Matignon, cette sortie de l’état d’urgence n’est pas si simple politiquement:"(ça) ne peut durer indéfiniment, mais il faut en organiser l'arrêt".

A travers ce débat sur la prorogation de l’état d’urgence, on ressent que les démocraties sont confrontées à la défense de leurs principes contre ceux qui ont déclaré la guerre à leurs valeurs. Mais nous ne pouvons pas mettre de manière permanente entre parenthèses les fondements de notre état de droit et de nos sociétés. C’est un équilibre toujours compliqué à maintenir.

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