Interdiction de la fleur de CBD : les acteurs de la filière stupéfaits

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Par Nicolas KIENAST, Thomas GROPALLO - Paris (AFP)
Publié le 06 janvier 2022 - 16:47
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Des plants de cannabis en fleurs dans une serre appartenant à l'usine de production de CBD Phytocann près d'Ollon, dans l'ouest de la Suisse, le 19 mai 2021
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© Fabrice COFFRINI / AFP/Archives
Des plants de cannabis en fleurs dans une serre appartenant à l'usine de production de CBD Phytocann près d'Ollon, dans l'ouest de la Suisse, le 19 mai 2021
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L'interdiction par le gouvernement de la vente des fleurs et des feuilles brutes de chanvre contenant du CBD, la molécule non-psychotrope du cannabis, plonge dans le désarroi et la stupéfaction les acteurs de cette filière en plein essor.

"On nous pond cet arrêté le 30 décembre et le 2 janvier il faudrait avoir vidé nos stocks, ne plus vendre ?", s'indigne Brice Verdier, le propriétaire du magasin CBD'eau, dans le 15e arrondissement de Paris.

"Si demain j'arrête toutes les infusions (NDLR: à base de feuilles), sans parler de fleurs brutes ni de résine, au lieu d'embaucher quelqu'un, je ferme la boutique", menace-t-il.

Sur les étagères de son commerce se côtoient huiles, confiseries et produits cosmétiques à base de CBD, ce "cannabis light" aux vertus présentées comme relaxantes et qui séduit de plus en plus de consommateurs.

Parmi eux figurent aussi des produits désormais interdits: des infusions et variétés de fleurs, qui représentent plus des deux-tiers des références et 80% du chiffre d'affaires du magasin.

"Ancien de la restauration", Brice Verdier s'est lancé dans le CBD il y a moins d'un an, attiré comme nombre d'autres entrepreneurs par ce marché porteur qui aiguise, entre autres, l'appétit des buralistes.

La France comptait quelque 400 boutiques de CBD (ou cannabidiol) début 2021, il en existe désormais quasiment quatre fois plus. Le chiffre d'affaires du secteur est estimé par les syndicats à un milliard d'euros, les deux-tiers tirés de la commercialisation des fleurs et feuilles brutes.

- "Esprit de résistance" -

Malgré leur prohibition par l'arrêté du ministère de l'Intérieur, Brice Verdier a "décidé de continuer" à les vendre, alors que les syndicats, persuadés de leur bon droit, sont engagés dans un long combat judiciaire depuis plusieurs années.

"Très clairement il y a un esprit de résistance, notamment car il y a la certitude absolue de l'illégalité de cet arrêté au regard notamment du droit communautaire" explique ainsi Charles Morel, président de l'Union des professionnels du CBD.

En novembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne avait ainsi jugé illégale l'interdiction en France du CBD (autorisé dans plusieurs autres pays européens), au nom du principe de libre circulation des marchandises.

La justice européenne a aussi estimé qu'il n'avait "aucun effet nocif sur la santé" et ne pouvait être considéré comme un stupéfiant, à la différence de son jumeau fortement dosé en THC, la molécule psychotrope du cannabis.

La Cour de cassation - plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français - lui a emboîté le pas en juin, jugeant que tout CBD légalement produit dans l'UE pouvait être vendu en France.

Pour Charles Morel, de l'Union des professionnels du CBD, le timing de la publication de l'arrêté est "assez aberrant" puisque le Conseil constitutionnel se prononcera vendredi sur la conformité à la constitution de dispositions servant de base légale au texte.

- Contre-productif -

Aurélien Delecroix, président du syndicat professionnel du chanvre, balaie également les arguments du gouvernement en matière de santé publique (les fleurs se fument) et d'ordre public (les forces de l'ordre ne peuvent faire la distinction avec le cannabis "stupéfiant").

Sur le premier point, "il faudrait aussi interdire le tabac et les autres plantes à fumer", souligne-t-il.

Pour le second, "des tests de détection des taux de THC rapides existent déjà", qui permettent de différencier en quelques minutes le CBD du cannabis "stupéfiant", assure M. Delecroix.

Selon le responsable, une telle interdiction va "contre l'objectif du gouvernement de lutter contre le trafic de stupéfiants" puisqu'elle priverait d'anciens fumeurs de substitut au cannabis.

C'est le cas de Jules, 24 ans, qui a trouvé dans le CBD une "voie de secours" à son addiction développée pendant le confinement du printemps 2020.

Un produit "plus sain, plus contrôlé" et adapté pour une "transition", juge cet apprenti en ingénierie mécanique qui assure que "beaucoup de consommateurs en passent par là".

Si les buralistes ne montent pas au créneau, l'arrêté provoque aussi la colère des petits agriculteurs, dont les débouchés sont réduits à la seule production de chanvre pour l'extraction de la molécule de CBD (réutilisée dans les produits dérivés). Une production bien plus coûteuse et bien moins rentable.

C'est une "catastrophe à contre-sens de l'histoire", déplore ainsi le Creusois Jouany Chatoux, pour qui ce texte condamne tout espoir d'une "filière française de production".

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