Au Kosovo, les enfants du plomb attendent la justice

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Par AFP
Publié le 06 août 2017 - 10:59
Mis à jour le 08 août 2017 - 16:58
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Un enfant et son chien dans le quartier rom à Mitrovica, au Kosovo, le 7 juillet 2017
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© Armend NIMANI / AFP
Un enfant et son chien dans le quartier rom à Mitrovica, au Kosovo, le 7 juillet 2017
© Armend NIMANI / AFP

Les Roms "ne sont pas traités comme des humains": Florim Masurica réclame justice pour son fils infirme, un de ces "enfants du plomb" du Kosovo, empoisonnés dans des camps où l'ONU les avait installés après la guerre.

Aux yeux de la rébellion kosovare albanaise, les Roms furent coupables de collaboration avec les Serbes pendant cet ultime conflit dans l'ex-Yougoslavie (1998-99).

Une accusation souvent gratuite qui a eu un prix pour cette communauté en butte aux discriminations dans l'ensemble des Balkans: exécutions sommaires pour les plus malchanceux, pour d'autres fuite précipitée de quartiers livrés au pillage et à la destruction après le départ des troupes serbes consécutif aux bombardements de l'Otan.

Ce fut le cas à Mahala, sur la commune de Mitrovica (nord). Quelque 600 de ses habitants furent, pendant des années, logés par l'ONU dans six camps à proximité d'un complexe sidérurgique, sans savoir qu'ils respiraient un air empoisonné et foulaient un sol contaminé par le plomb et les produits toxiques.

Dans celui de Zitkovac, des tas de déchets industriels jonchent toujours le terrain. Leur poussière "recouvrait le camp dès que le vent soufflait", se souvient Valid Jashari, 58 ans: "Mon fils est né invalide, les jambes paralysées".

Dans sa chaise roulante, Jetullah, 16 ans, regarde d'autres enfants jouer.

"Nous avons été exposés à un empoisonnement au plomb pendant que nous étions à Zitkovac", accuse Veli Jashari, qui dit que son deuxième fils, Sejdullah, cinq ans, est également paralysé.

- L'alarme en 2004 -

Agé de 65 ans, Bajram Babajboks, affirme qu'"il n'y a "pas un membre de sa famille qui n'ait été victime du plomb". "Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les médecins", poursuit-il, produisant des analyses sanguines.

Des organisations de défense des droits de l'Homme s'étaient inquiétées en 2004 de symptômes chez des enfants: gencives noires, maux de tête, difficultés d'apprentissage, convulsions, tension sanguine élevée, etc.

La mission de l'ONU au Kosovo (UNMIK), à partir de 2006, a entamé l'évacuation des camps, initialement prévus pour durer 45 jours. Les évacuations se sont poursuivies jusqu'en 2013, lorsque le dernier camp a été fermé. Mais pour beaucoup, il était trop tard. Une fois présent dans le système sanguin, le plomb poursuit ses ravages des années durant, selon les médecins.

En février 2006, un collège d'experts désignés par l'ONU après la plainte de 138 Roms concluait que l'installation de toutes ces personnes dans ces camps insalubres avait violé leur droit "à vivre libres de tout traitement inhumain et dégradant".

Artan Bajrami, 36 ans, affirme que "jamais" il n'aurait "donné son accord pour aller dans un camp" s'il avait eu connaissance du "danger qui guettait". Né dans un de ces camps, son fils de 15 ans boîte à cause d'une malformation.

Erduan Masurica, 16 ans, "bégaie, est mentalement attardé et ne joue qu'avec de petits enfants", raconte sa mère Elhame, 33 ans. Elle avait accouché dans le camp de Cesmin Lug. Le plomb de son sang "a attaqué le cerveau, les os, les organes" de son enfant, dit-elle.

- Les regrets de l'ONU -

Le groupe d'experts a demandé à l'ONU de consentir à présenter "des excuses publiques". Son secrétaire général Antonio Guterres s'est contenté d'exprimer "le profond regret de l'Organisation (des Nations unies) pour les souffrances endurées". "A titre de mesure exceptionnelle", il a décidé de "mettre en place un fonds" financier pour les Roms de Mitrovica, d'après l'UNMIK.

Aux yeux de Kujtim Pacaku, un ancien député Rom, il est "immoral de ne compenser un dommage de masse que par de l'argent". "Il faut une enquête et l'établissement de responsabilités" afin d'envoyer "un message à tous: on ne peut pas traiter les gens comme ça uniquement parce qu'ils sont Roms".

Aucun recensement exhaustif des victimes n'a été fait. Ce que les Roms considèrent comme une preuve supplémentaire de discriminations.

En juin, Human Rights Watch (HRW) a estimé que "le refus de l'ONU d'endosser toute responsabilité remettait en cause sa capacité à exercer des pressions sur les gouvernements concernant leur propres violations des droits de l'Homme".

L'aide internationale a permis de bâtir des maisons en dur à Mahala. Mais en plus du chômage et de la pauvreté que les Roms des Balkans ont en partage, ceux de Mitrovica ont le plomb.

"Ce n'est plus le Mahala des Roms. C'est un quartier empoisonné par le plomb", s'insurge Bajram Babajboks. "Je rêve de tenir un jour sur mes jambes, je veux être comme les autres, je veux aller à l'école", s'exclame Jetullah.

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