"Ma cité va créer" : une opération de rencontre et de dialogue entre jeunes de cités et policiers

Auteur(s)
Laurence Beneux, journaliste pour FranceSoir
Publié le 16 novembre 2021 - 14:02
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Graine de France operation Ma cité va créer
Crédits
FranceSoir
Photo de groupe avec les jeunes et les intervenants de l'événement, à Plaisir dans les Yvelines.
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Tandis qu’agressions de représentants des forces de l’ordre, « zones de non-droit » où des voyous tentent d’instaurer leurs lois dans des quartiers « difficiles », défraient la chronique, l’association « Graines de France » s’attaque à la « fracture » entre policiers et jeunes des cités, à travers une jolie opération nommée « Ma cité va créer », soutenue par le ministère de l’Intérieur et divers organismes locaux.

Pour ce faire, Réda Didi, un des fondateurs de « Graines de cité », mise sur la rencontre, le dialogue, la création et les valeurs sportives, à travers des journées où des jeunes de 12 à 17 ans participent à des ateliers, rencontrent des membres des forces de l’ordre et communiquent avec eux.

Nous avons assisté à une de ces journées. C’est enrichissant, rafraîchissant, et ça marche !

Ce jour-là, rendez-vous est pris à la maison des adolescents à Plaisir, dans les Yvelines.

Au programme, un atelier d’écriture animé par Mabrouk Rachedi, écrivain français traduit dans plusieurs langues et né en banlieue, un atelier de sport animé par Abel El Quandili, 16 fois champion du monde dans différents sports de combat et boxeur le plus titré de l’histoire, et un atelier de théâtre animé par le comédien Benoît Félix Lombard.

La journée se clôt par un goûter, précédé d’un cercle de paroles où tous les participants vont pouvoir faire un bilan de la journée, et s’exprimer auprès de policiers venus se prêter au jeu des questions/réponses. Une sorte de bouquet final après une journée bien remplie. Les animateurs des ateliers expriment leur plaisir d’avoir participé à l’opération et remercient chaleureusement les jeunes d’avoir joué le jeu.

Le champion Abel El Quandili rappelle qu’une bonne pratique du sport implique de se conformer aux règles et d’accepter les décisions de l’arbitre, « comme dans la vie ». Benoît Félix Lombard revient sur les exercices d’improvisation qu’il a proposés aux jeunes participants et conclut que l’esprit de groupe, ce n’est pas « un leader et des moutons » mais chacun qui peut avancer à son rythme.

Durant l’atelier d’écriture, chaque adolescent s’est attaché à écrire un scénario. La consigne est d’imaginer que nous sommes en 2050 et qu’il n’y a plus de police. Que se passe-t-il alors, en cas de délit ou de crime ? L’écrivain Mabrouk Rachedi, qui a visiblement passé un très bon moment avec les auteurs en herbe, invite qui le souhaite à lire son histoire. Quelques courageux, ou plutôt courageuses, car les volontaires sont toutes des filles, se lancent :

La première a imaginé avoir subi un cambriolage durant lequel un mystérieux voleur lui a dérobé tous ses objets les plus précieux. Tous sauf sa tablette « multi gadget hyper connectée » ! Mal en a pris au brigand, car sa jeune victime est aussi détective ! Une détective prévoyante qui a pris soin de mettre une puce électronique sur toutes ses affaires. Il lui faut donc peu de temps pour localiser ses biens, dérobés par un robot cigogne manipulé par un dangereux individu, connu pour mettre la pagaille partout où il passe, et surnommé « Le Viseur ». Notre jeune enquêtrice a tôt fait d’échapper aux balles de ce méchant bandit, de le neutraliser et… de libérer les policiers et gendarmes qui avaient disparu suite au kidnapping commis par le malfaisant ! La vie des populations peut ainsi revenir à la normale.

Dans son histoire, la deuxième écrivaine cherche elle aussi à pallier l’absence de forces de l’ordre quand elle se trouve confrontée à un problème de délinquance. Un mauvais jour, sa mère rentre chez elle en piteux état ; elle a été agressée, et son assaillant en a profité pour lui voler son sac à main. Sa fille part aussitôt en enquête et finit par comprendre : le coupable est son père, qui a voulu se venger de son épouse qui avait jeté ses affaires à la poubelle. La jeune enquêtrice confronte son papa lors de son retour au foyer, et c’est sa maman qui trouve une solution pour échapper à la violence conjugale : elle décide de demander le divorce. Le mauvais époux apprend alors à la famille qu’il a une maîtresse, Charlotte, avec qui il va partir. Une révélation qui ne démonte pas l’épouse malmenée : elle révèle avoir un amoureux… le président !

Deux jeunes scénaristes se partagent la lecture d’une troisième histoire. Là, l’affaire est tragique et ne connaît pas de fin heureuse. L’une d’entre elle a la douleur de trouver son frère assassiné sur le trottoir en sortant de chez elle. Ses parents, attirés par la foule attroupée autour du cadavre, se fraient un passage et découvrent à leur tour la tragédie. Il n’y a plus de police, et la conclusion tombe : « L’histoire est terminée : personne ne peut nous aider ».

Vient alors le temps des questions, et elles fusent ! « Pourquoi êtes-vous devenus policiers ? », « Est-ce que c’est difficile d’être une femme dans la police ? », « Est-ce que vous faites aussi la Courneuve ? »,  « Y a-t-il du racisme dans la police ? », « Avez-vous déjà entendu des remarques racistes de la part d’un collègue et alors qu’avez-vous fait ? », « Aimez-vous arrêter les gens ? », « Est-ce que c’est une vraie arme que vous portez ou est-ce que c’est un taser ? », « Est-ce que vous l’avez déjà sortie ? », « Ça vous fait quoi que les gens ne vous aiment pas ? », « Vous travaillez des fois la nuit ? », « Quelle est la différence entre les costumes des hommes et des femmes ? », « Est-ce que vous avez peur de mourir ? », « La police est-elle laïque ? »…

À chaque tentative de Réda Didi d’annoncer « les trois dernières questions », c’est six bras qui se lèvent, et c’est reparti pour une salve d’interrogations en tout genre !

Les policiers répondent avec patience et honnêteté dans un silence intéressé :

Une policière explique avoir choisi la police pour « aider les autres ». Un de ses collègues confie que son père rêvait d’embrasser cette profession et cette passion a fini par gagner son fils. Une troisième fonctionnaire raconte que ses oncles étaient policiers au Maroc et que la vocation l’a gagnée alors qu’elle leur rendait visite durant les vacances.

Les réponses s’enchaînent pour satisfaire au mieux la curiosité des jeunes questionneurs.

Oui, il y a du racisme dans la police, comme dans le reste de la société. Oui, ils l’ont parfois l’entendu s’exprimer. Une policière exprime son désarroi et son sentiment d’impuissance face au problème. Son collègue, au contraire, explique avoir « pris entre quatre yeux » un policier raciste. Et il insiste, « il ne faut jamais vous laisser rabaisser, personne n’a le droit de le faire. »

On est content lors d’une arrestation, parce que derrière, il y a des victimes qui attendent. Cependant, ce ne sont pas les policiers qui décident de mettre les gens en prison, mais les juges.

Oui, on a peur face au danger ; il s’agit de dépasser cette peur.

Oui, la police est laïque ; pas de signe ostentatoire de religions chez les professionnels dans les commissariats.

Les policiers sont un peu tristes qu’on ne les aime pas parce que « c’est comme si je disais que tous les jeunes sont bêtes. Toi, comme tu ne l’es pas, tu trouverais ça injuste »… 

Certaines questions deviennent très pratiques. Des vocations qui naissent ?

« Quel genre de BAC il faut pour être policier ? », « Combien vous gagnez ? », « Quels postes peut-on avoir dans la police ? », « Comment fait-on pour travailler avec un chien ? »

Les policiers expliquent qu’il y a plus de mille métiers dans la police. Que tous les bacs sont éligibles pour cette profession, et qu’il existe même des voies permettant d’embrasser ces métiers sans le BAC. Qu’il faut une formation spéciale pour devenir maître chien, et il y a des chiens d’attaque et des chiens choisis pour leur flair.

Et qu’il faut être lucide : on ne devient pas policier pour être riche, les salaires ne le permettent pas ! Et les horaires peuvent rendre la vie de famille compliquée quand on est affecté à certains postes. Le fait que les enfants de policier soient parfois victimes de violences à l’école peut aussi constituer un obstacle à un climat familial serein.

Les adolescents écoutent silencieusement. Parfois, des réactions fusent. Un « wouha ! » admiratif, quand une policière explique avoir sorti son arme lors d’une intervention sur un braquage. Amusées, quant à la question « vous êtes-vous déjà déguisé pour attraper quelqu’un », la réponse est oui. Puis outrées quand les jeunes apprennent que le criminel à confondre était un pédophile (l’enquêtrice s’était fait passer pour une étudiante attendant le bus pour observer le pervers à l’arrêt de bus où il sévissait).

Un murmure de réprobation parcourt l’assemblée quand les adolescents apprennent que les forces de l’ordre ne sont pas dotées de « fléchettes pour endormir les chiens dangereux », mais que face à une attaque, ils sont malheureusement obligés d’abattre l’animal. Alors, une fonctionnaire explique : « je dois protéger ma vie. Un chien comme un pitbull peut me tuer ». L’explication fait son effet, avec son lot de prise de conscience. « Il y en a un en bas de chez-moi…» murmure un jeune participant.

Une compassion mêlée d’inquiétude semble naître « Vous avez le droit d’emmener votre arme chez vous, parce que des policiers sont attaqués quand même ? ». La réponse est oui, dans certaines conditions, mais la prudence reste de mise. Une policière explique qu’elle est venue avec un manteau civil pour recouvrir son uniforme. Elle va rentrer chez elle toute seule, et il « faut éviter les ennuis ».

Quand on leur demande s’ils sont susceptibles d’arrêter un délinquant en flagrance même quand ils ne sont pas en service, les policiers acquiescent, mais tempèrent aussitôt : ça va dépendre des circonstances. Ils peuvent être avec leur famille, ils ne sont pas des super héros, et il s'agit souvent pour eux aussi « d’appeler la police », comme il est conseillé aux adolescents de le faire.

Le message passe très bien. À la question, posée pendant le goûter, « est-ce que cette journée a changé l’idée que vous aviez des policiers ? », la réponse est affirmative. « Moi, je pensais que les policiers étaient méchants, mais en fait, ils ont aussi des bons côtés ». « Je trouvais les policiers violents, parce qu’on les voit avec des grosses armes et des chiens, mais ils ne sont pas tous comme ça en fait ». « Ça a un peu changé mon regard, même si j’avais déjà une bonne image de la police »…

Tous les jeunes sont visiblement très contents de l’expérience, et tous affirment qu’ils participeraient à nouveau à une telle journée si la possibilité leur en était offerte. Un vœu partagé par Réda Didi qui espère pouvoir continuer à organiser ces rencontres aux quatre coins de France.

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