Les enjeux de demain : parité et diversité, points noirs du numérique français ?

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Yan Labêche pour FranceSoir
Publié le 08 juin 2021 - 14:18
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Loubnaa Al-Haddad, créatrice d'Egalitech
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Loubnaa Al-Haddad, créatrice d'Egalitech
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Sous Emmanuel Macron, il n’est pas rare d’imaginer la France comme une « Start-Up Nation ». Pour autant, des chiffres alarmants concernent le secteur du numérique hexagonal. Les femmes et la diversité y sont très minoritaires ce qui entrave la productivité et rentabilité de la Tech française.

Le constat est éloquent. À peine 16% de femmes dans le numérique, 11% dans la cyber sécurité et 7% dans les fintechs ! Loubnaa Al-Haddad dirige le think tank, Egalitech. À majorité féminine, celui-ci vise à sensibiliser les décideurs politiques et économiques sur les questions de diversité et de parité dans le numérique. « C’est très peu, je dirais même, trop peu. La parité est une donnée qui n’est que peu prise en compte dans le numérique. Dans les postes de Comex ou d’Assemblée Générale, il y a très peu de femmes. Pour la diversité des origines ethniques ou sociales, ses chiffres sont encore plus faibles. »
 
Plus d’étudiantes ingénieures au Maghreb qu’en France
 
Cette difficulté à s’insérer dans les instances du « monde de demain » numérique, serait liée à l’avant start-up. En effet, cette faiblesse française commence dans la période scolaire des étudiants ingénieurs ce qui n’est pas le cas ailleurs. Ainsi, les trois pays du Maghreb forment de 40% à 50% femmes ingénieures par an, selon un rapport de l’Unesco. « En France, on atteint le chiffre de 14%, se désole Loubnaa Al Haddad. L’absence de femmes dans le numérique est à chercher dans l’éducation. En France, on ne pousse pas les femmes dans ce secteur à dominance masculine. Une étude de Xavier Jaravel (prix 2021 du meilleur jeune économiste, ndlr) montre qu’il y a un « manque de diversité dans la Tech tricolore ». Pour lui, il existe une grande disparité en fonction des origines sociales des innovateurs, mais aussi de territoires. « Ces différences sont liées au niveau financier des parents. Il ne faut pas se leurrer. Il faut des moyens pour une école de commerce ou d’ingénieurs. Avec un diplôme, il ou elle peut briser le plafond de verre et passer du coté cadre. »
 
Pourtant, selon une étude de Mac Kinsey, « les entreprises les plus inclusives en terme de diversité ethnique et culturelle, affiche une hausse de rentabilité de 36% ». Loubna Al Haddad en sait quelque chose. Dans un portrait au Courrier de l’Atlas, on découvre son parcours de « rescapée » irakienne après la 1ère Guerre du golfe, qui l’a mené à devenir, au sein de plusieurs grandes entreprises de la tech (Oracle, Qlink, Celonis), une cadre commerciale plusieurs fois primée. Polyglotte, elle a su mettre en avant ses expériences professionnelles et son bagout plus qu’un diplôme d’ingénieur ou d’école de commerce. « Une entreprise plus diversifiée peut attaquer des nouveaux marchés plus facilement. On a aussi accès à des parcours aux projets innovants qui ne sont pas cantonnés à une case ou à un diplôme spécifique. »
 
Sensibiliser plutôt que contraindre
 
Pour briser ce mur, Loubnaa Al-Haddad a mis en place avec une centaine de membres du numérique, Egalitech. Le think tank souhaite trouver des solutions pour changer la donne. Quand on parle de discrimination positive ou de quotas, Loubnaa Al-Haddad indique tout de suite « ne pas aimer ce terme ». Pour elle, « il faut changer les mentalités, diversifier les sources de recrutements et ne pas les cantonner à une case. Le talent n’est pas l’apanage uniquement des écoles d’ingénieurs. Il y a un vivier chez les femmes et les habitants des territoires oubliées (quartiers populaires, milieu rural et péri-urbain). Nous devons permettre à ces talents de leur faire accéder à des postes plus élevés en fonction de leurs soft skills. »
 
Loubnaa Al-Haddad estime que la piste du tutorat est un « bon moyen d’ancrer les candidats dans le réseau. Il faut faire croire aux femmes qu’elles ont le potentiel. » Le think tank travaille sur des webinaires, séminaires et rencontres avec les décideurs politiques et économiques comme la participation à Vivatech lors d’une table ronde « Parité et Diversité » le 19 juin 2021 à 14h30 en présence du secrétaire d'État à la Transition numérique et aux Communications électroniques, Cédric O.
 
Autre point sensible : celui de l’entrepreneuriat. En effet, 40% des entreprises françaises sont créées par des femmes. Dans le numérique, les femmes représentent moins de 10% des dirigeants de start-up. Egalitech envisage d’aider à changer la mentalité chez les financiers, business angels et autres sources de financement. « Nous voulons pousser la BPI par exemple ou d’autres, à faciliter les projets menés par des femmes. L’élaboration d’un label « Egalitech » pour encourager aux bonnes pratiques, est aussi une piste sur laquelle nous travaillons. Les femmes manquent de ressources pour monter leurs entreprises. » 
 
Intelligence artificielle et biais algorithmiques
 
D’autant que l’emploi de demain est à chercher dans les big data, l’intelligence artificielle,… très masculine. Dans cette filière, « la France manque cruellement de compétences et accuse un réel retard. Les profils sont rares et les entreprises peinent à recruter », selon Sacha Kalusevic, directeur chez le recruteur Michael Page. De plus, la construction des algorithmes qui vont définir nos vies de demain, est confiée à des hommes occidentaux qui ne tiennent pas compte de la parité et de la diversité. Une fois établie, nos possibilités de changement dans l’algorithme sont compliquées à modifier. 
 
Diffusé à Sundance en 2020, l’excellent documentaire « Code Bias, algorithme et discrimination » sur Netflix, suit le travail de la chercheuse du MIT Media Lab, Joy Buolamwini. Elle montre que les programmes de reconnaissance faciale disponibles dans le commerce présentaient des sérieux biais algorithmiques contre les femmes et les personnes de couleur. A titre d’exemple, en 2015, le GAFAM, Amazon lance un algorithme secret basé sur l’intelligence artificielle pour le recrutement de ses effectifs. L’algorithme, construit par des hommes occidentaux, rejetait systématiquement toutes les candidatures féminines. La présence d’un « volley féminin » en hobbie suffisait à faire l’affaire ! 
 
Le scandale a été tel que la société Amazon a retiré son système automatisé de recrutement. « Nous devons rester vigilants sur ces questions, explique Loubnaa Al Haddad d’Egalitech. L’intelligence artificielle va nous emmener vers des nouveaux mondes où les discriminations existantes vont être prises en compte par l’algorithme. On aura alors affaire à une boite noire. Nous devons sensibiliser sur ces questions pour que ces biais ne soient pas appliqués. »
 
7 licornes françaises dans les 490 mondiales
 
Le défi de la parité et de la diversité de notre « Start-up Nation » doit être relevé rapidement dans une économie digitale plus internationale. D’autant que L’Hexagone n’est pas une grande nation numérique. En octobre 2020, le cabinet de conseil CB Insight a étudié les 490 licornes mondiales (entreprises qui sont valorisées à plus d’1 milliard de dollars). Largement dominée par les Etats-Unis (235 soit près de la moitié !), la Chine fait office de challenger avec ses « 119 start-ups milliardaires », soit près d’un quart des licornes mondiales. La France pour sa part, en a 7 (BlaBlaCar, Mirakl, Deezer, Voodoo, Doctolib, OVH, Meero). Soit 1,4% des licornes mondiales !
 

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